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Aristide Lapeyre : Aubervilliers de Jacques Prévert et Eli Lotar

Article d’Aristide Lapeyre paru dans Monde nouveau, n° 5, juillet 1946, p. 2

Peu de personnes, à Marseille sont parvenues à voir le dernier documentaire de Prévert : Aubervilliers. Certains films sont du genre parents pauvres, antipathiques et malsains, on nous les cache de préférence. Ce documentaire n’ayant pas l’honneur d’être patronné par quelque mouvement bien pensant : ligue bourgeoise pour le soutien de la famille, parti communiste français ou autres, sa publicité s’en ressent. Qui aurait bien pu savoir qu’il passait la semaine dernière au Capitole avec la Bataille du Rail ?

Quel manque de tact d’ailleurs : de braves gens ne purent ainsi l’éviter et cette mauvaise plaisanterie dut leur être infligée. Heureusement la direction du Capitole prit des mesures et préserva ses habitués dominicaux d’un spectacle d’un goût aussi douteux. Un film si peu r-présentatif ! Que va-t-on penser de la France à l’étranger ? Allons, Monsieur Prévert, un peu de pudeur, s’il vous plaît ! Et d’ailleurs, comme le faisait remarquer un spectateur de bonne foi, il est fort possible que tout cela ne soit que trucage, ces gens des studios sont si habiles. Ne parviennent-ils pas jusqu’à donner quelques lueurs d’intelligence au visage d’un Bidault ou d’un Fernandel ?


Aubervilliers est un documentaire comme on en voit peu et comme nous souhaitons en revoir. C’est un spectacle qui nous change des habituelles pleurnicheries sentimentales et des infâmes défilés patriotiques. Prévert commente ces prises de vues remarquables, en évitant sans difficulté l’emphase et le trémolo dans la voix. Le contraire nous eût étonné. Ses poèmes, sur une musique de Kosma, sont simples, tristes et teintés d’un humour qui n’est pas toujours rose. Jacques Prévert est certainement un des poètes les plus libres et les plus sympathiques qui soient ; il est de la race des Raymond Queneau et des Benjamin Péret ; et nous sommes heureux de le voir affirmer une fois de plus qu’une société telle que la nôtre doit inévitablement disparaître.

En attendant de pouvoir flanquer dans la gueule des bonnes dames patronnesses et autres grands cœurs de profession leurs aumônes et leurs pour-ne-pas-boire, félicitons les auteurs d’Aubervilliers qui leur auront déjà fait passer un mauvais quart d’heure.

A. L.

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