Article de René Michel paru dans Le Libertaire, n° 174, 25 mars 1949, p. 3
Sous le titre « La Commune de Cronstadt, crépuscule sanglant des Soviets » (1), Ida Mett nous donne un exposé bref et saisissant des origines de Cronstadt révolutionnaire, de son insurrection contre la bureaucratisation bolchevique, de sa mort héroïque. On sait quel avait été, tant en 1904-1906 qu’en février et en octobre 1918, le glorieux passé révolutionnaire de la flotte russe, particulièrement en Mer Noire, dans la Baltique et à Cronstadt. Comment pourrait-on croire dans les accusations de Lénine, Trotsky, Staline, unis dans le mensonge, lorsqu’ils tentent de nous présenter le Cronstadt de 1921 qui exigeait la liberté des soviets, des ouvriers et des paysans, et la fin de la dictature d’un parti, celui des Bolcheviks, comme contre-révolutionnaire ? Ida Mett fait justice des calomnies venant d’un parti qui soutenait la bureaucratisation parce qu’il s’appuyait sur elle pour maintenir le peuple en esclavage, au nom d’un étatisme tout puissant.
Le livre met en relief combien la révolte de Cronstadt pour la liberté révolte de Cronstadt pour la liberté répondait à une aspiration générale de la Russie. Cronstadt entra dans la lutte à la suite d’une vague de grèves des ouvriers de Pétrograd ! Mais Pétrograd ouvrière était désarmée, et les Bolcheviks purent facilement la réprimer : tandis que Cronstadt était une île-forteresse !
Les Bolcheviks firent tout pour isoler Cronstadt. Ils achetèrent des vivres à l’étranger pour distribuer à la population de Petrograd et l’acheter ainsi. Mais ils ne purent empêcher la démoralisation et les désertions massives dans les troupes rouges qu’ils envoyaient « conquérir » l’héroïque Cronstadt. Ce n’est qu’au prix d’un mal inouï, en remaniant leurs effectifs, qu’ils purent prendre la ville, au milieu d’une horrible répression contre celles de leurs troupes qui refusaient un combat fratricide.
Cronstadt tombée, et avec elle les dernières chances d’un redressement de la Révolution Russe vers la liberté, tous les Bolcheviks s’employèrent à la calomnier. C’est là qu’éclate le plus visiblement l’essence même du Bolchevisme : la dictature étatique contre les travailleurs. Mais, avant de succomber, Cronstadt avait eu le temps de formuler le mot d’ordre d’une troisième révolution, succédant à février et à octobre : « A Cronstadt est posée la première pierre de la 3e révolution qui brisera les dernières chaînes liant les masses laborieuses et ouvrira une voie nouvelle pour la création socialiste » (Les « Izvestia » de Cronstadt, 8 mars 1921).
Cette 3e révolution est-elle celle que veulent les Anarchistes ? Certes, comme le souligne Ida Mett, « les Cronstadiens répétaient avec insistance qu’ils étaient pour le pouvoir des Soviets », alors que la plupart des Anarchistes russes avec Makhno ne parlaient pas « du pouvoir des soviets comma mot d’ordre à défendre. Sa formule était « les soviets libres », c’est-à-dire des Soviets où les différents courants politiques pourraient coexister, sans être dotés du pouvoir d’Etat ». Néanmoins, si l’on creuse au-delà des formules, si l’on prend en considération la propagande Anarchiste d’alors qui affirmait dans ses tracts à Petrograd : « La cause de Cronstadt est votre cause… Après la révolte cronstadienne, que commence la révolte de Petrograd ! Après vous, que vienne l’anarchie !… », si l’on envisage l’influence énorme des Anarchistes à Cronstadt, que souligne aussi Ida Mets, on peut dire, dépassant ses conclusions : « L’influence anarchiste sur l’insurrection de Cronstadt s’exerça dans la mesure où l’anarchisme propageait l’idée de la démocratie ouvrière », que Cronstadt était une insurrection populaire, libertaire, auto-agissante, comme la veulent les Anarchistes !
MICHEL.
(1) Cahiers « Spartacus », René Lefeuvre, éditeur.