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Regard sur un engagement pro-algérien : Maurienne le déserteur du djebel

Interview de Jean-Louis Hurst alias Maurienne réalisée par Sylvain Eischenfeld et publiée dans Le Monde libertaire, n° 842, 24 au 30 octobre 1991.

A l’heure où l’on célèbre les trente ans de la fin du conflit algérien, Jean-Louis Hurst, alias Maurienne, animera un forum à la librairie du Monde Libertaire, le samedi 26 octobre, à 16 h 30.

Ce forum aura pour base son livre, Le Déserteur, publié en 1960 aux éditions de Minuit, et réédité dernièrement par Manya.

En avant-première, l’auteur, nous livre son sentiment sur son engagement au côté de la résistance algérienne et sur le non-engagement, conférant à une criminelle passivité, de la société française de l’époque.

Le Monde libertaire : Pourquoi ce livre ? Est-ce un roman ou une autobiographie ?

Maurienne : Ce n’est pas un roman, c’est Jérôme Lindon, le directeur des éditions de Minuit qui a marqué roman sur le livre, espérant avoir moins d’ennuis. Il en a quand même eu. Ce n’est donc pas un roman ; tout ce qui est écrit dedans est réel. J’ai simplement inventé un personnage supplémentaire. Ce texte est totalement autobiographique, avec comme complément d’information un individu fictif que, Gérard Meyer (Alain dans le livre) et moi, nous avons rencontre cent fois et qui est schématisé dans le personnage de Bernard.

J’ai écrit ce livre parce qu’en Suisse j’ai découvert qu’il y avait des déserteurs complètement paumés. En particulier, les communistes qui sont exclus de leur parti pour s’être « coupés du peuple »… Car le peuple partait dans les djebels. J’en parle donc au réseau Jeanson, qui me répond qu’il y a des actions plus urgentes pour l’instant. Je rédige donc ce texte, Le Déserteur, en me disant : « ça servira peut-être à faire un travail sur les casernes ».

ML : Peux-tu nous parler de l’attitude du mouvement ouvrier pendant la guerre d’Algérie ?

Maurienne : Ces pitoyables « socialistes » français entamèrent la pacification algérienne de peur de passer pour de mauvais patriotes, pour des traîtres à l’Occident, à sa sacro-sainte « mission civilisatrice ». Voilà qu’ils rechutent 35 ans plus tard, dans la « pacification » du Golfe pour les mêmes raisons, strictement les mêmes ! Aucun discours de Caucun (1) n’y changera rien. La boucle est bouclée, et le masque, je le souhaite, est définitivement tombé.

Pour les communistes (je parle de ce qui est de mon expérience : je suis un instituteur en monde ouvrier dans les mines d’Alsace – prolétariat alsacien, polonais et maghrébin), je suis un intellectuel descendu dans la classe ouvrière.

J’entre au PCF en 1955. Le Parti représente alors le parti d’avant-garde du fait de son action au sein du Front populaire, la Résistance et de par son attitude lors de la guerre d’Indochine. A chaque fois qu’on voulait aller au plus radical, au plus révolutionnaire, on entrait au PCF. La question lancinante, que je me pose, est de savoir pourquoi, dans le cas présent de la guerre d’Algérie, le PCF, c’est-à-dire l’élite de la classe ouvrière, refuse d’intervenir. A partir du moment où le PCF ne bouge pas, c’est la que je me suis rendu compte que l’anarchisme était peut-être une chose juste ; à savoir que les individus se font mener par le bout du nez quand ils sont ensemble, et qu’il est donc important, à certains moments, de fonctionner par soi-même.

ML : Pour quelle raison le PCF n’intervient-il pas ?

Maurienne : Pour ce qui était du Viêt-Nam, c’était simple parce que la révolution vietnamienne était dirigée par les communistes, alors qu’en Algérie, c’était plus ambigu. On ne savait pas qui dirigeait. Vraisemblablement une bourgeoisie arabo-islamique, qui une fois l’Algérie indépendante se livrerait aux États-Unis. Ce schéma recouvrait autre chose devant les hésitations du PCF, la classe ouvrière algérienne s’était organisée de manière autonome.

ML : Quelle a été l’attitude des anarchistes pendant la guerre d’Algérie ?

Maurienne : Les anars de Mâcon sont les tous premiers que j’ai rencontrés ; ils ont peu fait parler d’eux, mais ont été les meilleurs soutiens aux Algériens dans la région Rhône-Alpes. Leur rôle a été aussi important que celui des trotskystes de Pablo (NdlR une tendance de la IVe Internationale).

ML : Pourquoi, ton insoumission ?

Maurienne : C’est un mélange de politique et de psychanalyse. Tous ceux qui ont déserté avaient eu un parent dans la Résistance, et je me suis rendu compte que si l’on a été très peu à s’offusquer pendant cette guerre, c’est parce que très peu de personnes avaient eu un parent dans la Résistance. La résistance était hyper minoritaire. Pour nous, c’était encore plus compliqué, car il y avait un racisme anti-arabe, et que seuls ceux qui avaient eu un rapport personnel ou affectif avec le monde arabe étaient amenés à faire le pas. Ce qui me renvoie à ma propre histoire. Je suis parti en Algérie quand les nazis sont arrivés, et j’ai vu mon père, résistant, remplir ses camions de tirailleurs algériens pour venir libérer la France. Donc, j’avais une idée claire et nette à l’âge de 10 ans : la France avait été libérée par les Arabes. Nous avions une dette à leur encontre.

ML : Dans le roman, tu montres une évolution. Tu n’en viens pas directement à l’idée de déserter. Tu évolues, c’est un acte réfléchi.

Maurienne : Gérard Meyer et moi, avons évolué lentement, parce que, d’une pan, la quasi totalité du peuple français ou bien était en accord avec cette guerre, ou bien fermait sa gueule ; et de toute façon ce peuple s’était couché. Quand le peuple avec lequel tu vis ne réagit pas, tu es en droit de te demander si tu ne deviens pas fou. Un tel consensus ne s’est vu qu’en Allemagne nazie. Par la suite, nous avons rencontré des gens d’exception, comme Mandouze, le docteur B. H., qui disait : « J’étais résistant, je dois résister au côté des opprimés ». C’est à ce moment que nous basculons. Après, se pose la question des modalités : comment déserter en restant efficace. Là aussi, c’est une lente évolution. Tout comme la guerre d’Algérie, qui débute en 1954 par quelques actions en Algérie pour prendre une réelle importance avec les révoltes du Constantinois en 1955, date à laquelle les Algériens prennent conscience de leur force. En France, la maturation sera encore plus longue et plus difficile. Le ras-le-bol est réellement apparu lorsque les gens se sont rendus compte que l’armée pouvait faire basculer les choses ; il exista un début de révolte antimilitariste.

ML : Comment s’est constitué « Jeune Résistance » ?

Maurienne : « Jeune Résistance » (JR) est une idée Hurst-Curiel au cours d’une discussion au bord du lac de Genève. « Jeune Résistance » travaillait à l’estomac. Ce fut un coup de bluff. On a fait croire que c’était un mouvement, alors que nous l’avions créé à quatre. « Jeune Résistance » répondait à un besoin énorme. Le nom « Jeune Résistance » a une importance capitale, car nous vivions dans la mythologie de la Résistance, qui était sacrée. En prenant le terme « Jeune Résistance » nous voulions dire que nous reprenions le flambeau, mais à notre manière. Ce fut l’étincelle, qui eut une action psychologique redoutable.

ML : Quelle a été ton évolution par rapport à l’indépendance ?

Maurienne : Nous, les Français anticolonialistes, nous ne connaissions que les Algériens qui nous ressemblaient. Ils n’avaient qu’une seule envie : devenir universitaires, dépasser la tradition pour comprendre le monde dans lequel ils vivaient. Pour ce que nous connaissions des ouvriers algérien, qui s’étaient « gauchis » au contact des organisations françaises, nous avons vécu sur une illusion, qui était de croire que les Algériens nous étaient excessivement proches. En 1962-63, nous découvrons que les 4/5e de ce peuple vivaient sur une autre planète. Ils s’étaient repliés sur eux-mêmes pour tenir tète à l’envahisseur en maintenant la tradition et le conformisme. Là, on découvre une autre Algérie. Pour ceux qui sont restés, nous avons pu découvrir que c’était un peuple fabuleux, même s’il n’avait pas la gouaille ni l’ironie de nos copains de Barbès.

ML : Et si c’était à refaire ?

Maurienne : La vraie question est de savoir pourquoi nous avons été si peu à soutenir le FLN. Mille tout au plus ! Mon drame actuel est de voir que les quelques uns que nous étions sont encore capables, à l’occasion de la guerre du Golfe, de s’entredéchirer ; que Jeanson ne comprenne pas le danger Bush. Nous, les derniers des « justes », nous avons été bouffés par les Kouchner et autres Glucksman. C’est là le drame. Quant à mon passé, je ne renie rien !

ML : Actuellement, on « célèbre » la fin de la guerre d’Algérie, qu’en penses-tu ?

Maurienne : Il y a deux choses qui jouent : une génération qui découvre qu’il faut trente ans pour poser les vraies questions ; c’est le cas de l’équipe de « Au nom de la mémoire » et de son travail autour des ratonnades d’octobre 1961. De l’autre côté il y a l’industrialisation des médias – cette espèce de Big Brother – et pour qui trente ans est l’opération qu’il ne faut pas rater commercialement. C’est le cas de Benjamin Stora et de ses Années algeriennes, où il fait passer la guerre franco-algérienne derrière une guerre franco-française et algéro-algérienne. Tout s’embrouille. Stora, PS (tendance Lang), nous annonce que la vérité historique est beaucoup plus complexe que l’on croit. Qu’il faut entrer dans les contradictions. A partir de là, on n’y comprend plus rien. Alors que d’un côte un peuple se battait pour sa dignité, les Français s’étaient prostitués. Stora veut brouiller les cartes. Je dis non ! Il y avait une guerre entre un peuple pute et un peuple téméraire.

ML : Crois-tu qu’en France, on peut maintenant assumer le passé ?

Maurienne : Nous n’en sommes plus là : les Américains ont sorti Apocalypse Now, les Français Avoir vingt ans dans les Aurès. Je pense que les vraies questions doivent être posées. Sur le 17 octobre 1961, je pense que c’est le cas avec les livres de Tristan et d’Einaudi. Pour ce qui est du refoulement français, le problème est de savoir pourquoi est-il si fort. Ce pays ouvre la voie au monde entier en 1789 ; bouleverse tous les révolutionnaires et se cramponne le plus longtemps sur son empire colonial et, enfin, voilà qu’il tombe dans le social-lepénisme, que nous vivons actuellement. C’est le meilleur et le pire. Le Déserteur, c’est l’expression de cette dualité. Il est impossible de désespérer d’un pays pareil. Quand je cite, deux fois, un poème paru dans El Moudjahid (NdlR : organe du FLN), celui-ci fait sans arrêt référence à la France et à la Résistance. Les Français font exactement l’inverse de l’Algérie. Ce pays est excessivement intéressant par ces contradictions.

Interview réalisée et retranscrite par Sylvain Eischenfeld
(groupe Flores-Magon – Paris 13e)


(1) Célèbre discours de Mitterrand en faveur du tiers monde, tenu il y a une dizaine d’année au Mexique.

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