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Maylis O’Brian : Les égorgeurs, Benoist Rey

Article de Maylis O’Brian paru dans Le Monde libertaire, 30 septembre au 6 octobre 1999

Ma meilleure potesse me l’avait dit : si tu ne dois lire qu’un livre dans l’année, lis « les égorgeurs ». Bonne pomme, je suis donc allée à la rue Amelot et… Une tronche de milit (mal rasé, qui plus est) en première page, un bandeau noir éjaculant un grand prix « ni dieu ni maître » dont je n’avais jamais entendu causer, ça démarrait pas vraiment fort.

M’enfin, bon, ma potesse m’avait dit, et, donc…

Un couple (quand j’en vois un dans la rue je change de trottoir disait Léo) d’heures plus tard, après avoir donné à manger au chat, et en attendant un coup de fil de mon prince charmant, je me mis à…

D’emblée, la préface de Mato-Topé m’a laissée sur le cul.

La guerre d’Algérie, c’est clair, je ne connaissais pas vraiment, et j’ai dévoré ces vingt pages de remise dans le contexte écrites par un pied-noir dont c’est peu dire qu’il élève sacrement le débat. Et, dans la foulée, j’en suis arrive au texte de Benoist Rey.

Je n’en suis toujours pas sortie. Sur le fond, j’en pleure encore. Sur la forme, c’est pas dieu possible que d’écrire comme cela.

En septembre 1959, quand l’appelé Benoist Rey débarque en Algérie, il a vingt et un ans. Parce qu’il était apprenti typographe et, qu’à l’atelier ses camarades en parlaient… parce qu’il avait le cœur « à gauche » et avait participé à quelques manifs contre la guerre d’Algérie… parce que son meilleur pote lui avait conseillé de déserter… il n’était pas tout à fait sans savoir.

Mais, allez savoir pourquoi, il avait envie… d’aller voir !

Aussi, après des classes « mouvementées » en Allemagne (le Benoist éditait un feuillet subversif et gratuit intitulé « l’arme à gauche »), on l’envoya « voir » dans un régiment semi-disciplinaire. Et pendant une année, l’infirmier Benoist Rey eut l’occasion de voir ! De voir ! Et de voir !

Ce livre est le journal de bord de ce voyage au bout de l’enfer, du cauchemar, de l’horreur et de la honte. Il nous décrit, sans ambages le quotidien de meurtres, de viols, de pillages, d’incendies, de destructions, de tortures, de sadisme, d’imbécillité… d’une armée composée d’engagés (des pros de la boucherie) et… d’appelés. Il nous conte par le menu comment des braves gens de pauvres mômes en arrivent à… Il nous raconte l’insupportable de l’armée française pendant la guerre d’Algérie.

Ce livre, publié aux Éditions de Minuit, fut saisi, dès sa sortie, en avril 1961. À le lire on comprend pourquoi. Et on comprend pourquoi les éditions du Monde Libertaire ont fait le choix (le bon) de le republier quelques mois après que l’OTAN (et donc l’armée française) se soit essayée à nous vendre (au Kosovo) une guerre « propre » censée mettre un terme aux insanités d’un petit dictateur serbe disant et faisant exactement ce que le gouvernement et l’armée française disait et faisait en Algérie.

Ce livre « maudit », outre qu’il est d’une écriture rare de dépouillement (Camus eut pu le signer) et d’une lisibilité fascinante, nous rappelle, en effet, que toutes les guerres ont toujours été, sont et seront toujours des abominations, et que toutes les armées et tous les soldats du monde ont toujours été, sont et seront toujours des « Égorgeurs ».

Comme le disait ma potesse, si vous ne deviez lire qu’un livre dans l’année (et j’irais jusqu’à dire, dans votre vie), lisez ce livre. Vous vous ferez un plaisir comme c’est pas permis et (vu que les bénefs de la vente de ce bouquin vont à la librairie libertaire de Lyon « la Plume Noire » qui a été incendiée par les fachos en 1997) vous vous ferez un plaisir utile.

Plaisir, utile…, merci à Benoist Rey, aux éditions du Monde libertaire, au groupe Los Solidarios (qui est à l’initiative de cette publication), et à la Plume Noire, pour ce bonheur d’un rêve qui n’est pas dépourvu de réalité !

Maylis O’Brian


Les Égorgeurs, Benoist Rey, préface de Mato-Topé, éditions du Monde libertaire, 144 pages, 60 F En vente à la librairie du Monde libertaire, 145 rue Amelot, 75011 Paris (chèque l’ordre de Publico : 66 F avec le port).

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