Article de Maurice Joyeux paru dans Le Monde libertaire, n° 352, 3 avril 1980
Voici un ouvrage qui, à plusieurs titres, nous replongera dans nos souvenirs ! Guérin, avec beaucoup de minutie, retrace non seulement ce que fut l’insurrection algérienne, mais également l’histoire de la constitution d’un parti nationaliste, dont la figure de proue fut Messali Hadj ! Naturellement, cette première partie nous introduit dans les querelles entre les tendances au sein du mouvement national algérien, querelles qui étaient inévitables au sein d’un parti où le communisme stalinien d’abord, le trotskisme, puis le nationalisme, s’agitaient dans un ensemble où le marxisme et l’Islam constituaient un mélange idéologique détonant. La gauche, et même l’extrême gauche romantique et naïve, fut étroitement mêlée non seulement à la libération du peuple algérien, mais à toutes les querelles de boutiques qui agitèrent le PPA. J’allais dire avec délices… ! En tout cas, elle y retrouvait tous ses fantasmes, ceux du jacobinisme, du blanquisme patriote et socialiste, celui de la fameuse période intermédiaire chère à Lénine, et j’en passe. Je suis toujours étonné de voir des militants ouvriers se laisser aller à un tel confusionnisme qui porte en lui l’échec et la responsabilité de tous les malheurs qu’ont subis les mouvements révolutionnaires depuis cent-cinquante ans, celui de l’Algérie comme les autres. Et pourtant, devant l’insurrection algérienne, et le livre de Guérin nous le montre, la situation était claire.
D’une part il existait un pays qui voulait se libérer du joug colonial et tout le monde se trouvait d’accord pour l’y aider, et d’autre part il existait des partis ou plutôt un parti qui manifestement n’avait pour but que de prendre la place du colonialisme pour exploiter le peuple algérien à son profit, ce qui, naturellement, s’est produit, et en aucun cas le mouvement ouvrier ne devait donner son aval à cette entreprise qui aboutirait à faire tuer des milliers d’hommes pour le plaisir d’être exploités par une classe politique « bien de chez eux ». Lutter contre le colonialisme français, contre l’envoi du contingent, pour le retrait de l’administration civile et militaire de l’Algérie, c’était une chose, mais appuyer telle fraction du nationalisme contre une autre, proclamer que le FLN était un parti révolutionnaire qui libérerait le peuple algérien, en était une autre !
Nous, les militants de la Fédération Anarchiste, nous l’avons dit et nous avons eu raison. Nous avions pris soin de jeter un regard sur l’histoire et nous nous étions aperçus que toutes les révolutions entreprises à la suite d’un accord avec la bourgeoisie s’étaient soldées après la victoire commune par le rejet dans le meilleur des cas, des aspirations du peuple ou par le massacre des travailleurs, dans le pire ! Et sur le fond, n’est-ce pas Guérin lui-même qui nous avait appris qu’après s’être servis des Enragés pour imposer leur politique, les Jacobins les ont faits monter sur l’échafaud pour asseoir leur pouvoir ?
Le livre de Daniel Guérin est précieux. Il nous apprend, un peu malgré lui, ce qu’il ne faut pas faire, même si Lénine l’a dit, c’est-à-dire mêler les intérêts du peuple à ceux du nationalisme, des confessions religieuses, des politiciens assoiffés de pouvoir. Si on se laisse entraîner dans cet amalgame, on a certes l’occasion de « jouer un rôle », mais on risque de se retrouver avec un goût amer dans la bouche.
Mais à propos, qui donc a calculé que le triomphe des révolutions bourgeoises nationalistes faisait reculer d’une génération le mouvement ouvrier qui avait commis l’erreur de s’y compromettre ?