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La mal vie…

Article paru dans La Voix des travailleurs algériens, n° 7, février 1979, p. 13

Durant la semaine du « dialogue » (de sourd !) de Stoléru, nous avons pu voir à la télévision (A2) la projection du film « LA MAL VIE… » de D. Karlin (avec la collaboration de T. Laine et T. Ben Jelloun).

Ce film résume de manière générale le quotidien du travailleur émigré :

L’angoisse d’une vie mutilée, pour un grand nombre d’entre nous, qui avons, un jour, quitté femmes et enfants, rompant ainsi avec une vie « normale ».

La peur dans les grandes villes comme Marseille, rendue tristement célèbre, à nos yeux, par les attentats racistes de 1973, l’année sombre…

La misère accentuée par le chômage, lorsqu’il nous atteint. Plus de possibilités d’envoyer de l’argent à nos familles restées au pays. Et encore moins de les faire venir ici, en France, sur cette « terre d’asile », « terre si accueillante »…

Les brimades au travail ; le racisme où nous nous trouvons ; la misère dans les foyers : les expulsions, constituent les ventés criantes de ce que nous vivons en France, accompagnés de nos problèmes qu’engendre la distance entre nous et le pays, entre un homme et sa famille…

Certes le film, dont nous parlons, appréhende de manière assez profonde les problèmes que rencontrent deux travailleurs émigrés algériens. Mais le livre (du même auteur) élargit bien plus le champ de notre vie quotidienne sur les chantiers ; dans les « chambres », dans les moments de solitude ; pendant les contrôles de flics ; dans les bistrots, etc. En voyant ainsi défiler les images quotidiennes de notre comportement dans ces endroits, dans ces lieux ou dans ces moments, nous ne pouvons imaginer que la réalité et de nous dire que ce récit et cette description sont destinés aux Français, ou plus exactement aux travailleurs français. Qui bien souvent sombrent dans le racisme, que beaucoup de gens nient dans les faits, entretenu depuis fort longtemps par les gouvernements successifs.

Ce film, ce livre, tentent, par des « interviews » de décrire la situation des travailleurs émigrés face à le crise du capitalisme et aux problèmes qu’engendre cette crise, et d’amener les travailleurs français à reconnaître dans leurs voisins étrangers : leurs semblables. Cela est confirmé par le fait que D. Karlin et ses collaborateurs ont mis plus d’un an pour produire ce film, ce livre. Plus d’un an d’enquêtes successives, d’entretiens, de rencontres quelques fois troublantes, et aussi des déceptions…

On peut regretter que les deux travailleurs dans le film, moins dans le livre, se présentent en dehors de leur communauté, sans parler en terme d’organisation, mais simplement le village qui se reconstitue très souvent dans l’immigration. Cette dimension est vitale pour tout émigré qui y puise chaleur, réconfort et courage.

Cependant, les côtes positifs de « LA MAL VIE… » sont nombreux. L’un des premiers est cet aspect de dialogue entre un homme, en l’occurrence D. Karlin, et « ces étrangers qui persistent à rester ici en pleine période de récession ». Un dialogue bien différent de celui qui nous a été proposé par Stoléru. Un dialogue dont la profondeur ne ne peut laisser indifférent le spectateur ou le lecteur… La surprenante description des problèmes par l’auteur (et les acteurs) contraste nettement avec les analyses classiques de l’immigration. Dans ce film, dans ce livre, ce sont les problèmes humains qui sont posés. Comment réagissons-nous face à la misère sexuelle ? Face au racisme et aux contrôles de flics ? Face aux difficultés de notre retour au pays ?

Ou alors, et tout simplement, comment vivons-nous ici en France ?

A ce titre, c’est une contribution importante pour construire une solidarité véritable entre les émigrés eux-mêmes et avec les travailleurs français. Cette solidarité est basée sur une compréhension et une connaissance en profondeur de ce que nous tommes et de ce que nous vivons, ce n’est pas une addition de force pour des revendications communes, mais un enrichissement mutuel qui nous transforme et nous renforce.

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