Tract daté du 13 octobre 1988 à Paris
« Bien entendu nous n’allons rien faire. »
(Claude Cheysson, ministre des Affaires étrangères de Mitterrand, à propos du coup d’Etat en Pologne de décembre 1981.)
Dans le mouvement d’importantes grèves ouvrières, la jeunesse d’Algérie a pris la rue en dirigeant essentiellement ses assauts contre le Parti-État et les signes de sa domination : sièges du FLN, police, administrations, galeries marchandes du luxe — ces « vitrines de l’Algérie » —, et centres de distribution de la pénurie planifiée. Elle a attaqué les agences d’Air Algérie et d’Air France, accoutumées à transporter les jeunes Algériens au travail en France et les « délinquants » immigrés dans les geôles algériennes ou au travail forcé du service militaire.
Dans un tel moment, la communauté algérienne de France éprouve plus vivement sa solidarité avec la société algérienne ; elle ressent de façon plus aiguë les conditions économiques et policières qui en France lui interdisent de manifester cette solidarité : elle doit donc affirmer à la fois sa révolte contre l’État algérien et contre l’État français.
Pour sa part cet État français se trouve doublement pris à parti : en tant que protecteur économique, politique et diplomatique de la bureaucratie algérienne qu’il a suscitée comme colonisateur, et par ailleurs en tant qu’exploiteur des immigrés. Et cela survient alors qu’il rencontre justement de grands problèmes de maintien de l’ordre avec leur nouvelle génération. Telle est la raison du silence scandaleux mais bien prévisible du gouvernement français, de l’intelligentsia et des partis de gauche à l’égard des massacres.
De même, s’ils ont su se taire, il leur a fallu empêcher de parler, en interdisant les manifestations et en procédant à des arrestations lors des rassemblements. Maintenant qu’ils espèrent que l’ordre règne de nouveau en Algérie, après force tueries, ils peuvent discourir et manifester.
Plus spécialement les organisations patentées pour la récupération des mouvements d’immigrés ont sciemment gardé le silence afin de ne pas favoriser le développement d’une opposition réelle. Mais diverses manifestations incontrôlées (Marseille, Barbès, Saint-Ouen, Trocadéro) et quelques attaques contre des antennes de la bureaucratie algérienne en France (l’Amicale des Algériens en Europe, consulats) les ont contraintes à essayer de restaurer leur rôle au moment où celui-ci est explicitement condamné. Il faut dire que leur crédibilité était déjà fortement entamée, comme l’a montré cet été la lutte des jeunes de La Courneuve contre les bavures qui se multiplient.
Plus que jamais il est clair qu’on ne gagne pas la liberté en remplaçant un État par un autre, a fortiori construit sur la répression de mouvements révolutionnaires. Plus que jamais il est nécessaire que se constituent des coordinations autonomes algériennes et françaises contre la répression, condamnations et tortures en Algérie, interpellations, expulsions et bavures en France.
Paris, le 13 octobre 1988.