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Antifascisme ?

Article paru dans Nous voulons tout !, n° 6-7, 1983, p. 12-13

Michel Rocard lors d’un rassemblement de soutien à la démocratie à Dreux le 9 septembre 1983, France. (Photo by Laurent MAOUS/Gamma-Rapho via Getty Images)

« A Dreux, nous avons refusé le silence. Et nous nous sommes battus, parfois physiquement contre ces jeunes gens en treillis et rangers, protège-dents aux mâchoires et matraque à la ceinture. Depuis des mois. Aussi, lorsqu’à la fin du scrutin quand nous avons vu et entendu le premier secrétaire du parti socialiste dire sur nos écrans de T.V qu’il n’y a pas aujourd’hui de danger fasciste en France, nous avons regretté qu’il ne soit pas venu faire un tour à Dreux… Faut-il rappeler que dans les années trente déjà, la SFIO tentait de minimiser la montée du nazisme parce que la France n’était pas l’Allemagne » (Nouvel Obs. 22/09/1983).

Ça y est : le grand mot vient d’être lancé ; il y a bien danger fasciste en France… numérotez vos abattis et tous derrière la gauche contre la peste noire…

Essayons plutôt de raisonner objectivement. Depuis que des listes « d’honnêtes gens » sont apparues pour exiger un supplément de flics et dénonçant plus ou moins explicitement les immigrés comme principaux fauteurs de trouble, la Gauche nous a offert une cacophonie d’une rare qualité. Si la présence d’une liste dénonçant les immigrés comme facteur de risque social est signe de fascisme larvé (même si le terme est faux le raisonnement est correct) alors Defferre est un petit Laval en puissance…En effet, c’est lui qui a fait alliance avec une de ces listes douteuses ; c’est lui qui, alors qu’il avait le feu aux fesses entre les deux tours, a claironné à qui voulait l’entendre sur les médias nationaux et dans son cher « Provençal » qu’il n’y avait jamais eu autant d’expulsions ; c’est lui enfin qui a contacté le décidément malheureux ministre de la justice pour que les expulsions soient plus systématiquement prononcées et qu’elles soient suivies d’effet.

Sans doute l’expérience de Dreux a-t-elle été vécue comme un réel traumatisme pour toute une frange de la gauche ; celle qui croit encore à un humanisme et entre cette gauche-là et celle plus réaliste incarnée par Defferre le fossé est profond. Certes il résulte d’une inadaptation totale de la Gauche à la pratique de l’attaque primaire mais à bien des égards gageons que le P.S est en train de formuler un discours à géométrie variable ; une « stratégie du panier de crabes » dans laquelle le ministre de l’Intérieur et de la décentralisation est depuis longtemps passé maître. Pour le parti aujourd’hui il s’agit de ratisser larges dès lors il est intéressant, électoralement de laisser les Joxe, les Gaspard et autre Badinter dispenser un discours généreux ; on les laisse périodiquement s’indigner pour prouver que la Gauche humaniste – et légèrement utopique – existe encore. Pendant ce temps, intervenant en tant que responsables économiques, militaires ou chefs des flics, on restructure, redéploie, contrôle, capitaux, troupes, flics. Pour séduire l’électorat l’heure est à la « grandeur de la France » à la légitimation de la doctrine gaullienne de l’Etat par un exercice total des prérogatives de l’exécutif.

Toutefois on peut douter des chances de succès d’une telle cuisine électorale ; la stratégie a, certes, été utilisée par les Radicaux à partir de 1873 pratiquement jusqu’en 1940, soit durant toute la IIIème République, mais peut-on rééditer une telle série de compromis. La « stratégie du panier de crabes » inaugurée depuis peu doit faire face à des institutions différentes, une plus grande rigueur dans le jeu des partis, une mobilité relative de l’électorat, mais également à une tentative de récupération de la gauche extra-parlementaire, LCR en tête qui trouve une occasion de redorer son blason, faisant appel à ses orgasmes militants des années 70 et – enfin – découvrant un thème à exploiter (le vide dialectique de la crise du gauchisme l’ayant porté à un inquiétant étiage militant).

Enfin – last but not least – au sein de l’extrême droite, nul doute que les nazillons vont affiner leur argumentation à mesure que se développera leur « recomposition ». Les mots d’ ordre nous les connaissons tous : millions d’immigrés = 2 millions de chômeurs ; rétablissement de la peine de mort ; auto-défense ; anti-marxisme…

Dire en matière de réponse que les immigrés ont été importés par les multinationales et qu’ils ont une fonction bien précise dans l’économie (cf rapport du plan 1976 : « cet effet de l’immigration – augmentation de l’élasticité de l’offre de main d’oeuvre – permet un taux d’augmentation de la productivité et satisfait aux conditions propices à la réalisation simultanée de l’équilibre extérieur et intérieur ») ne sert à rien ; par contre il est tout une série de mouvement de coulisse qu’il importe de savoir pour mesurer les progrès de la recomposition de l’extrême droite.

Il semble qu’il y ait deux blocs concurrents.

I) CNI + PFN qui entretiennent un échange régulier de militants ; le Centre National des Indépendants semblant être la garantie de respectabilité pour les membres du Parti des Forces Nouvelles en quête de respectabilité. Par exemple, Pascal Gauchon ex-leader du PFN a laissé sa place à Roger Girard pour aller au CNI. Parmi les personnalités du PFN on trouve bon nombre d’anciens de l’OAS ou peu ou prou liés à elle ; Me Tixier-Vignancour défenseur attitré ; Joseph Ortiz ancien organisateur des premiers groupes-feu de l’OAS à Alger, cofondateur du Comité de salut public dans cette même ville. On en trouve également au CNI à commencer par Pierre Sergent qui eut un rôle important lors des deux putsch et à partir de 1958 ; pour chassé par les barbouzes il était avec Degueldre l’un de ceux qui avaient mené les mutineries des REP. Gracié de sa condamnation à mort ce sont les socialistes qui l’ont réhabilité. Enfin notons qu’en 1981 le PFN et Fuerza Nueva ont tenu un meeting commun où un dénommé Servando Balguer a déclaré :

« La nouvelle droite, cela ne veut pas dire que nous regardons le passé (NDLR : Fuerza Nueva est franquiste) ; il s’agit seulement d’une adaptation stratégique. Comme on dit chez nous, il faut mettre son vin dans des outres différentes ».

Dernière remarque le CNI a été invité par le syndicat fasciste des flics (FPIP), son représentant était Alain Robert ex-membre du « bureau politique » du PFN…

II) Front National + FPIP + Légitime Défense.

Des deux blocs c’est sans doute celui-ci qui représente l’ensemble le plus cohérent. Une aile politique : le FN ; une aile catégorielle : la fédération professionnelle indépendante de la police (FPIP) ; une caisse de résonance : légitime défense. Des mots d’ordre : trop d’immigrés (FN), la peine de mort (FPIP), le droit du citoyen à se défendre (LD).

Les trois formations par réciprocité sont très liées : le 3.6.1983, Le Pen était en tête de la manif de flics impulsée par la FPIP ; François Romério président de légitime défense est également président d’honneur de la revue « Police et sécurité » qui n’est autre que le bulletin de la FPIP ; enfin le FN et LD lors des municipales se sont toujours trouvés des convergences objectives. En ce qui concerne les données brutes sur Paris rappelons que le FN a « fait » 13,6 % aux dernières municipales (mars 83) dans le XXème, que le directeur de publication du « National » (organe du FN) n’est autre qu’un dénommé Chiappe, fils du préfet fascisant qui refusa de mâter l’émeute des ligues patriotiques le 6/2/1934… comme quoi ça tient de famille. Quant à la FPIP, elle a recueilli aux élections catégorielles 12,41 % des voix sur Paris surtout dans les brigades de nuit ; par ailleurs 85 officiers et commandants de police sur les 856 que compte la capitale ont voté pour elle. Accessoirement elle est liée à une association : « association de soutien à la police » qui doit compter du beau monde parmi ses adhérents et est également en rapport avec une revue qui s’adresse au monde judiciaire : « Hapax de Magistrats ». Évidemment tout ce petit monde se retrouvera lors du congrès de la FPIP le 19/6/1983…

Enfin cédons devant une citation qui mérite toute notre attention même si l’organisation évoquée fricote avec le FN et le PFN selon les cas ; il s’agit donc du communiqué du GUD après les succès du MSI en Juin 1983 :

« Les nationalistes européens s’affirment une fois de plus comme étant la seule alternative. Alors que l’Italie et l’Europe se préparent à célébrer la naissance de Benito Mussolini (NDLR : ce fut un bide), à Rome comme à Paris, les nationalistes sont et seront en fer de lance des luttes populaires pour la grandeur de la nation et la justice sociale ». Le Monde 29/6/1983.

No comment.

Faut-il dans l’état actuel des choses parler comme F. Gaspard de l’émergence d’un phénomène fasciste ? Plusieurs remarques préliminaires
s’imposent.

Le mot fascisme a été trop galvaudé ; tout juste peut-on dire qu’il existe une réelle tentation totalitaire dans des couches encore restreintes de la population. Dans le XXe arrondissement ou à Dreux il n’y a pas encore de chemises brunes chassant l’allogène. Toutefois le caractère autoritaire de l’idéologie justifie pleinement une réaction appropriée. Quel que soit le nombre, nous sommes irrémédiablement et définitivement opposés à ce genre de pensée comme étant totalement antagonique, dans le fond et dans la forme, à la nôtre.

Il ne faut pas comme la ligue faire de l’antifascisme un adversaire unique ; délaissant par ailleurs tout projet politique. Abstraitement la tentation du totalitarisme intervient en période de crise du capital ; lorsque certains conflits ne peuvent plus être médiatisés selon le schéma ordinaire. La tentation totalitaire ne saurait être, donc, soustraite à son contexte ; un désordre interne du capital.

Fascisme ou pas il est en tout cas certain que de nouvelles notions politiques sont en train d’apparaître. En premier chef le discours de l’extrême droite est articulé autour d’une doctrine de la sécurité nationale. Sécurité individuelle et son droit à l’auto-défense ; sécurité locale avec un accroissement des effectifs de répression et la recherche de bouc-émissaires ; sécurité nationale enfin avec la campagne très récemment engagée par le FN sur les abris anti-atomiques débouchant logiquement sur la peur du Rouge et la recherche inhérente d’un ennemi politique intérieur .

En fin de compte ce n’est pas tant le nombre d’individus liés à l’extrême droite qui est dangereux ; aujourd’hui encore il demeure négligeable, mais le fourmillement d’échange, d’interventions, de bancs d’essai de mots d’ordre qui seront tôt ou tard repris par la droite classique par le biais des transfuges et du discours légitimant et pseudo-scientifique de la nouvelle droite.

La diffusion, dans le corps politique « légal » ou « historique » (UDF-RPR) de la droite parlementaire, des autoritaires (racisme, extension des pouvoirs répressifs de l’Etat, empiètement du policier sur le judiciaire) semble bien être le principal danger. Il faudra dès lors choisir entre l’argumentation objective – type PS – ou la pratique systématique du désordre de rue comme réaction induite de toute menée « fascisante » comprise comme avertissement à toute tentative ultérieure de généralisation du phénomène.

(correspondance)

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