Article paru dans Travailleurs immigrés en lutte, n° 50, novembre 1981, p. 9
Dans la banlieue lyonnaise, ça bouge. Pour une fois, ce sont les jeunes des familles d’immigrés qui font parler d’eux, ceux qui sont nés en France, mais qui ne sont ni d’ « ici », ni d’ « ailleurs », la « deuxième génération », comme on l’appelle.
La presse bourgeoise s’est emparée de leurs « rodéos », de leurs vols de voiture, de leurs bagarres depuis plusieurs mois, et ont monté l’affaire en épingle. Résultat : des crédits supplémentaires ont été alloués aux flics du coin pour faire face à cette « racaille » : des voitures mieux équipées avec des phares giratoires, comme aux États-Unis, des patrouilles plus nombreuses, etc.
Mais pourquoi les élus « socialistes » de Lyon ont-ils tant à craindre des banlieues ouvrières, et pourquoi les jeunes immigrés se soulèvent-ils ?
POURQUOI LA RÉVOLTE ?
A Villeurbanne, Vénissieux, comme dans bien d’autres périphéries de grandes villes, la misère, l’arbitraire policier, le chômage, l’inaction, le béton sont le lot des jeunes des familles ouvrières. Dans les cités sinistres, en butte au racisme (certaines boîtes ou cafés leur sont interdits !), aux contrôles des flics, aux tabassages, fouilles, gardes à vue, ils ont eu la seule réaction qui leur restait : la colère. Et face à la police, les jeunes de toutes origines se sont regroupés, — même si ceux des familles immigrées sont particulièrement touchés — des Français aux Maghrébins en passant par les Antillais : parce que leur sort est le même, ou quasiment, vivre dans des « cages à lapins », dans la promiscuité, une vie misérable d’ennui et de désespoir, avec le racisme anti-jeune, et le racisme tout court… Alors pour tromper le temps, et pour lutter à leur manière, ils ont entrepris une chasse aux flics, à tel point qu’au moindre contrôle d’une mobylette, tout le quartier descend dans la rue !
DE QUOI LES BOURGEOIS ONT-ILS PEUR ?
En fait, ce n’est pas la crainte d’être eux-mêmes victimes des émeutes, des vols ou des dégradations qui hantent les bourgeois de Lyon : tant que cette « délinquance des ghettos » reste circonscrite à ces ghettos, et ne vient pas troubler l’ordre bourgeois des paisibles quartiers rupins, il n’y a qu’à accroître les cordons de police et à réprimer.
Mais c’est ce qui s’est passé à Brixton ces derniers mois qui leur fait peur : c’est l’ampleur des émeutes des jeunes anglais et immigrés des banlieues ouvrières de Londres contre les flics anglais.
Ils craignent que ces mouvements de colère sporadiques se multiplient, et prennent l’aspect plus marqué d’un conflit de classe. Ils redoutent que, dans leur colère commune, les jeunes français et immigrés d’origine ouvrière se solidarisent et luttent ensemble contre les manœuvres de division orchestrées par la bourgeoisie. Ils craignent que leur colère rejoigne celle des adultes immigrés et celle des ouvriers français victimes de la crise et du chômage. Bref, que le conflit s’enflamme et fasse voler les vieilles division de la classe ouvrière en France, entre jeunes et vieux, français et immigrés, chômeurs et ouvriers, hommes et femmes, etc.
Voilà pourquoi les jeunes de Lyon, comme ceux de Paris et des banlieues-ghettos en général, doivent organiser leur révolte, et porter des coups efficaces. Se défouler sur des flics, ça ne fait pas de mal et ça se comprend ; mais ce qu’il faut, c’est systématiser la colère contre cette société pourrie et sortir de l’isolement !