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Madeleine Pelletier : Les intellectuels et la révolution

Article de Madeleine Pelletier paru dans Le Libertaire, deuxième série, deuxième année, n° 92, 24 octobre 1920, p. 2

Madeleine Pelletier (Source : Maitron)

Dans le numéro du Soviet, M. Durgat critique le rôle des intellectuels dans le parti socialiste et les organisations révolutionnaires.

Sortis de la bourgeoisie pauvre, dit-il, ils ne voient dans le socialisme que le moyen de gagner de l’argent, ils se font une situation en se hissant sur le dos des ouvriers qu’ils trahissent ensuite.

Cela est parfaitement vrai, mais à qui la faute sinon aux ouvriers eux-mêmes, ils n’ont que les chefs qu’ils méritent.

S’ils avaient voulu faire effort pour se cultiver l’esprit, ils distingueraient tout de suite les gens sincères des fripouilles.

Les intellectuels arrivistes ne sont pas tous des Machiavel, tant s’en faut, leur jeu se voit tout de suite ; il est la plupart du temps très grossier. Avancés quand la classe ouvrière paraît vouloir aller à gauche, ils ne vont jamais cependant jusqu’à la parole qui nous classe comme un véritable ennemi de la bourgeoisie. Si les ouvriers ne semblent pas décidés, on les voit exécuter un mouvement de recul, toujours plus ou moins masqué.

Dans les années qui ont précédé la guerre, on a pu assister à cette comédie, l’anti-militarisme, mais, ce n’était pas du tout ce qu’on croyait, on n’avait pas voulu méconnaître la patrie ; la patrie, on l’aimait au contraire, au moins autant que [les] radicaux. La conclusion était que le premier devoir d’un antimilitariste, c’était de voler à la frontière au premier coup de canon. On sait combien les antimilitaristes firent leur devoir.

Certes, je ne veux pas excuser les canailles, mais tout de même pourquoi les masses sont-elles aussi bêtes de les suivre. Écouter un discours, lire un article, ne force aucunement d’en accepter les idées : on réfléchit, on pense par soi-même et, selon le cas, ou accepte, on repousse, on fait des réserves.

De quoi est faite la puissance néfaste des chefs actuels de la C. G. T. sinon de leur troupe. Si les ouvriers avaient un peu de caractère, il y a beau temps les auraient jetés par-dessus bord.

M. Durgal dit que le remède est dans l’égalité, et [qu’il] ne faut pas mettre les intellectuels au-dessus des ouvriers.

C’est un remède purement verbal.

Que de fois n’ai-je pas entendu, dans le P. S. U., dire que l’orateur et l’écrivain socialistes n’étaient pas supérieurs au simple militant qui ne peut que venir aux réunions et payer ses cotisations.

Cela n’empêchait pas les arrivistes de faire leur beurre. Ils étaient, au contraire, les plus acharnés à s’aplatir devant les masses. — Citoyens, je ne suis rien, je ne suis qu’une unité dans le Parti, c’est du Parti que je tiens la lumière, etc.., etc…

Les gens sincères gardent leur quant à soi, conservent à leur personnalité sa dignité : mais les arrivistes disent tout ce que l’on veut : cela leur est bien égal.

L’intellectuel n’est pas dangereux par lui-même et l’évolution des chefs cégétistes nous montre que les arrivistes ne sont pas tous avocats et médecins : on peut être ouvrier et être une crapule.

I.e seul remède à l’arrivisme est dans l’éducation du prolétariat : éclairé, les leaders ne seraient pas dangereux, car celui qui flancherait serait discrédité tout de suite.

Une organisation ne peut se passer de gens sachant parler et écrire : c’est en eux que l’unité de volonté se réalise. Sans cette unité, il n’y a que confusion et impuissance.

Seulement il ne faut pas être des suiveurs aveugles.

Le « leader », si leader il y a, n’a pas pour mission de penser pour les masses, mais seulement de les inciter à penser. Si on voit`qu’il a des velléités d’entraîner le prolétariat dans un mauvais chemin, on le flanque à la porte. C’est ce qu’on fait, paraît-il, en Russie.

Doctoresse PELLETIER.

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