Article signé G.G. paru dans Le Libertaire, troisième série, vingt-neuvième année, n° 1, 18 décembre 1923, p. 3
Les révoltes de paysans et d’ouvriers en Bulgarie sont déjà noyées dans le sang. La réaction gouvernementale ensanglantée a triomphé encore une fois sur les cadavres de milliers de victimes ! Et aujourd’hui, sur le fond sinistre de la répression féroce, le mouvement insurrectionnel nous apparaît dans toute son ampleur et toute sa profondeur. Loin d’être une simple résistance de la provocation autoritaire, ce mouvement a eu une beaucoup plus grande importance que ne peuvent le comprendre les politiciens de tout acabit. Ce fut une véritable insurrection populaire qui a secoué les profondes couches de la masse paysanne et ouvrière en Bulgarie.
Nous avons déjà sur les événements les précieux aveux de deux « communistes » bulgares : de Berloff (l’Humanité, numéro du 19 octobre) et de Kolaroff du P.C. bulgare et secrétaire de l’I.C. (l’Humanité, n° du 6 novembre). Kolaroff est aussi un de ceux qui ont pris part au mouvement.
Comme nous l’avons dit déjà dans notre précédent article (le Libertaire, n° 277) le mouvement a commencé par une protestation armée contre la répression du gouvernement de Zankoff. Aussi, dès son début, les révoltes eurent-elles une spontanéité remarquable. Cela est reconnu même par les « communistes qui ont toujours la prétention de décréter une insurrection ou bien une révolution. Les révoltes spontanées des paysans et des ouvriers bulgares ont souligné à gros traits l’impuissance révolutionnaire du P.C. bulgare. « Lorsque le Comité central du Parti décida l’insurrection », dit Berloff, « celle-ci était déjà un fait en plusieurs endroits ». Et nous comprenons aisément le rôle des partisans de la dictature qui tentent toujours de profiter de chaque mouvement populaire pour leurs buts autoritaires. D’ailleurs, Kolaroff le reconnaît lui-même : « Devant cette situation de fait (l’insurrection surgie), le Parti ne pouvait laisser les masses sans direction. En pleine connaissance des défauts d’organisation des insurgés et des difficultés de la lutte, le Comité central du Parti prit la résolution d’une insurrection générale. » (Kolaroff.)
Cette résolution et les essais faits par le P.C. pour s’emparer du pouvoir et pour proclamer la république des Soviets, dans plusieurs endroits, causèrent peut-être l’avortement de l’insurrection. Nous savons, par exemple, que dans une région tout entière — la Bulgarie du sud-ouest — grâce à la trahison des chefs « communistes », l’insurrection n’a pas pu éclater, à l’exception de Bobochevo et Gorna-Djoumaïa, où les masses sont sous l’influence des anarchistes, nulle autre village ou ville de cette région n’a pris les armes. Dans plusieurs autres localités, où les « communistes » ont joui d’une influence considérable, les révoltes ont pris un caractère dictatorial, et cela au détriment du soulèvement lui-même.
Mais, en général, le mouvement fut un soulèvement libertaire. Ce fut une levée des masses travailleuses, opprimées et pillées pendant des siècles, lesquelles ont pris les armes pour combattre non seulement l’autorité du bourreau Zancoff, mais l’autorité en général.
Le gouvernement de Zancoff, dès son avènement, a commis beaucoup d’horreurs et a mis ainsi à nu la nature de tout gouvernement. Après le régime barbare de Stambolisky, ce fut l’avènement d’une nouvelle ère d’extermination de tout ce qui est révolutionnaire. Le gouvernement des académiciens était le premier qui s’occupât sérieusement d’organiser le fascisme bulgare. A ses côtés il avait les bandes de brigands macédoniens, organisation qui fut toujours le support le plus sûr de tout régime d’oppression. C’est à l’aide de cette organisation et avec le concours de la ligue des officiers de réserve que fut effectué le pronunciamiento du 9 juin. Et la période des répressions, des tortures, des férocités inouïes fut inaugurée.
Les masses populaires qui étaient restées inactives lors du coup d’État du 9 juin, se préparaient pour la lutte. Cependant, elles étaient désappointées par le P.C. Celui-ci a trahi plusieurs fois l’élan révolutionnaire des ouvriers et des paysans. En outre, l’idée d’un gouvernement des Soviets a été de tout temps une idée étrange pour le prolétariat bulgare.
Malheureusement, les masses populaires n’étaient pas encore sur la voie d’une orientation révolutionnaire. Les idées de l’anarchisme ont déjà fait beaucoup de progrès. Mais c’est un grand dommage que dans sa majorité écrasante le prolétariat bulgare n’ait pas encore fait sienne l’idée anarchique et de l’organisation sans autorité.
Dans de telles conciliions on comprend sans peine pourquoi d’une part, les essais du Parti communiste de proclamer la république des Soviets ont échoué, et pourquoi, d’autre part, le mouvement fut écrasé sans pouvoir prendre l’extension d’une véritable révolution sociale.
Là où les masses étaient à même de faire un pas vers l’expropriation et l’organisation sur des principes libertaires, elles n’en firent rien. Sous l’influence prédominante des « communistes » autoritaires, elles se livrèrent à des excès inutiles, et proclamèrent des « communes soviétistes », des « républiques prolétariennes », en oubliant l’essence même de la révolution sociale.
Les anarchistes furent numériquement peu, et dispersés en petits groupes, ils n’ont pas pu déployer complètement leur action de destruction et de construction. Dans plusieurs endroits (comme à Bobochevo et Gorna-Djoumaïa), ils furent les seuls qui ont pris les armes et ils ont dû repousser seuls des attaques des forces militaires.
Toutefois, ce sont les anarchistes qui furent l’élément irréductible et le plus dangereux, pour les autorités. Celles-ci ne leur ménagèrent pas les coups qu’ils durent, ensuite, supporter. Envers les anarchistes la répression fut la plus implacable. Plusieurs groupes anarchistes furent presque anéantis. D’autres groupes sont dispersés complètement.
Mais la réaction ne ménagea pas non plus la population paisible. Le nombre général des victimes, même d’après les renseignements des journaux bourgeois, est énorme. Il y a près de 5.000 exécutions — seulement / Et cela en dehors des tués dans des batailles acharnées (plus de 10.000 personnes, dont des hommes, des femmes et des enfants furent tués. Et les exécutions continuent toujours.
Le rôle le plus traître dans l’écrasement de l’insurrection fut joué par les brigands macédoniens qui commirent des actes inouïs. Ce sont eux qui incendièrent des villages entiers, qui massacrèrent des femmes, des enfants, membres des familles révolutionnaires. Les « révolutionnaires » macédoniens ont acquis à juste titre la renommée de Bachi-Bouzoucks modernes…
Les événements de septembre en Bulgarie serviront de leçon. Le sang de 15 000 victimes a tracé ce dilemme catégorique. Pour le prolétariat bulgare ; ou bien se résigner et supporter toutes les formes d’exploitation et d’oppression que l’hérédité des siècles a accumulées ; ou bien, en se révoltant et en brisant le joug qu’il ne veut plus supporter, marcher jusqu’au bout sur le chemin de la révolution sociale et détruire tous les gouvernements.
Nous espérons que l’avenir, le proche avenir, ne manquera pas de montrer que la leçon sanglante n’a pas été inutile pour les paysans et les ouvriers bulgares.
G. G.