Article de Berlov paru dans L’Humanité, vingtième année, n° 7235, 19 octobre 1923, p. 1-2
Trois mois après la prise du pouvoir, la bourgeoisie bulgare n’avait encore rien pu faire pour ouvrir une ère nouvelle. Le Parti communiste avait étendu son influence dans les villes et les campagnes. Le nouveau parti bourgeois, celui de la Concorde démocratique, décida de faire un pas à gauche. Il s’agissait d’éliminer du gouvernement les nationaux-libéraux trop compromis et dont les social-démocrates demandaient. l’exclusion. M. Tsankov y consentit à contre-cœur, car bon nombre des militaires qui l’ont porté au pouvoir sympathisent avec ce parti de droite.
La provocation
Ce pas à gauche ne pouvait pas suffire pour assurer au gouvernement une issue favorable des élections parlementaires. On commença donc une campagne de destruction du communisme. Le 12 septembre au matin, dans tous les coins du pays, des milliers de militants communistes étaient arrêtés au saut du lit. On fermait tous les locaux du parti. On mettait sous scellés sa librairie, on supprimait sa presse. Il était question de prononcer la dissolution formelle du Parti communiste et de transmettre son avoir aux social-démocrates, selon l’exemple yougoslave.
La commission nationale du Parti se réunit, dans cette atmosphère de terreur blanche, pour constater que le gouvernement était décidé à écraser le Parti, que celui-ci acceptât ou refusât le combat ; que d’autre part l’indignation populaire rendait possible la conquête de trois centres importants au moins dans le nord et le sud du pays, ce qui pouvait être le prélude d’une victoire. Les délégués régionaux voulaient l’insurrection et s’engageaient à faire un effort décisif. Il fut décidé que la lutte commencerait le 22 septembre dans toutes les localités, sauf à Sofia où se trouvaient concentrées des forces gouvernementales importantes. La capitale devait être attaquée de l’extérieur. Mais dès avant le 22 de nombreux soulèvements spontanés se produisirent, et leur extension rapide obligea, le 17, le gouvernement à négocier un armistice avec le Comité Central du Parti.
1. Libération de tous les militants arrêtés depuis le 9 juin ;
2. Pas de représailles ;
3. Les ouvriers et paysans insurgés conserveraient leurs armes.
Le Parti communiste ne pouvait nullement se fier à la loyauté du gouvernement. Aussi ces négociations ne devaient elles pas empêcher le soulèvement qui éclata partout.
Les fautes
Le mouvement présenta, dès son début, deux défauts :
Il ne fut pas entièrement simultané. Depuis le 14 et le 15 septembre, l’insurrection battait son plein dans bien des campagnes, sans s’étendre aux villes où les ouvriers et les artisans restaient encore dans l’expectative. Il est à remarquer que les paysans (surtout communistes) ont été plus actifs que les ouvriers.
En second lieu, les insurgés suivaient dans leur action la ligne de moindre résistance. Au lieu d’aller à l’assaut des chefs-lieux, ils se bornaient à conquérir les villages. Les chefs-lieux de district eussent pu cependant leur procurer des armes et des hommes pour former des contingents importants de gardes rouges, leur assurer des centres de liaison et des bases d’opération stables. Enfin, maîtres des villes, les insurgés empêchaient l’ennemi d’y former ses corps de volontaires. Ils n’en firent rien. Le gouvernement central réussit à les battre isolément dans les différentes régions.
Le soulèvement fur donc trop hâtif ; mais il ne pouvait pas en être autrement, les élections étant fixées au 4 novembre et le gouvernement étant décidé à écraser avant l’ennemi intérieur, le Parti communiste. Dans diverses localités, la politique de répression avait provoqué des révoltes spontanées. Lorsque le Comité central décida l’insurrection, celle-ci était déjà un fait en quantité d’endroits, et en retarder la généralisation eût été fatal. Le mot d’ordre d’insurrection fut lancé, avant qu’on ait pu élaborer un plan d’action détaillé.
La trahison de beaucoup d’autonomistes macédoniens permit au gouvernement de procéder, dans les grandes villes, à de nouvelles arrestations en masse. A Sofia, 1.200 personnes furent arrêtées, de sorte que divers ateliers durent fermer, presque tout leur personnel étant incarcéré. A Philippopolis, Plevna, Samokov, etc., il en fut de même. Les contingents communistes des campagnes, trop mal armés, n’osèrent pas attaquer les villes, dans lesquelles la passivité des ouvriers leur était incompréhensible. Sofia ne fit rien pour diriger le mouvement, ni même pour empêcher le départ des expéditions de représailles. Le gouvernement y constitua, comme dans les autres villes, des corps de volontaires de l’ordre, mobilisa les officiers de réserve, constitua des corps mixtes de soldats et de miliciens fascistes. Les grandes masses de la population des villes restaient inactives : seuls agissaient ou s’efforçaient d’agir les communistes et les sympathisants. A cet égard, l’analogie entre l’insurrection bulgare et l’action de mars 1921 en Allemagne est certaine.
L’héroïsme des communistes
L’insurrection connut néanmoins des succès réels et fit preuve d’un héroïsme véritable. La commune de Pestera résista pendant 12 jours à toutes les attaques des corps volontaires et des macédoniens. Entre Bévénitza et Ferdinandovo, les gardes routes conduites par Kolarov et Dimitrov tinrent pendant 6 jours en échec un adversaire numériquement très supérieur ; c’était l’unique formation communiste pourvue d’un canon et de trois mitrailleuses. Le contingent du camarade Pastarmadjiev, maire de Lom (Danube) réussit à opérer sa jonction avec le groupe Kolarov, près de Ferdinandovo. Notre camarade Georg Mikhailov, à peine arraché à un cachot, réussit à constituer une troupe excellente. Dans la Bulgarie méridionale, autour de Stara-Zagora, les gardes rouges de Petko Euieff opposèrent une belle résistance aux blancs. Partout, la lutte fut acharnée. Les femmes et les jeunesses communistes se battirent. Et c’est ce qui justifie pour la bourgeoisie l’horreur sans nom du massacre de la population entière de certains villages. D’autres villages entiers ont dû fuir.
La réaction
Les conséquences de cette défaite seront graves pour notre Parti et pour le peuple bulgare. La bourgeoisie se vengera implacablement d’avoir tremblé pendant dix jours devant la révolution. Elle « extirpera » le communisme par tous les moyens. Tout ce qui est communiste est traqué. Nos militants sont frappés dans leurs familles, dans leurs enfants. On a commencé l’épuration des postes et télégraphes dont le personnel nous était souvent acquis. La presse parle de l’épuration systématique des usines et des ateliers, sans toutefois indiquer le moyen de relever la production avec une main-d’œuvre décimée. Les social-démocrates s’attendent à hériter de tous les biens de notre Parti. Ils ont d’ailleurs une attitude écœurante. Ils participent à toute les campagnes anti-communistes de la bourgeoisie.
On sait qu’ils ont repoussé, en son temps, la proposition de front uni de notre Parti. La répression était d’ailleurs organisée par leurs hommes d’État Les socialistes français se sont étonnés, après le coup d’État Tsankov, qu’une section de la IIe Internationale soutint un gouvernement réactionnaire : vont-ils demander l’exclusion des socialistes « versaillais » de Bulgarie qui prêtent la main à l’étranglement d’une Commune prolétarienne ?
La bourgeoisie bulgare promet maintenant à la Yougo-Slavie d’enrayer le mouvement macédonien. Elle négocie laborieusement avec les social-démocrates au sujet des prochaines élections. Elle fera l’impossible pour s’assurer un mandat législatif de 4 ans. Les socialistes semblent vouloir présenter des listes séparées, ce qui prouverait seulement que leur moralité est affaire de spéculation électorale. Nous comprenons qu’ils soient peu disposés à présenter des listes communes avec les partis réactionnaires discrédités et détestés, leurs alliés de gouvernement.
Le Comité Central du Parti communiste bulgare consacre en ce moment tous ses efforts à rétablir la liaison entre les éléments communistes épars dans le pays. Il s’attachera sous peu à réorganiser l’activité générale du Parti.
BERLOV.
Sofia, octobre 1923.