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Boris Souvarine : Après la défaite bulgare. Déclarations de Kolarov

Article de Boris Souvarine paru dans L’Humanité, vingtième année, n° 7253, 6 novembre 1923, p. 3

Boris Souvarine (vers 1920) cc Studio Dorit, Paris (Source)

Nos camarades Kolarov et Dimitrov, les chefs de l’héroïque et malheureuse insurrection ouvrière et paysanne bulgare, sont arrivés le 24 octobre à Moscou.

Dans la Pravda du 26, nous lisons des déclarations de Kolarov qu’il est intéressant de résumer pour les ouvriers français.

La presse gouvernementale bulgare, dit Kolarov, essaie de présenter les événements de septembre en Bulgarie comme fomentés par des agents de puissances étrangères, en premier lieu de la Yougoslavie et de la Russie Soviétique ! Cela ne prendra pas.

Le 12 septembre, le gouvernement tentait par une répression inouïe de détruire le parti communiste sous prétexte que celui-ci préparait un soulèvement armé pour le 16. Ce mensonge n’a pu être étayé sur rien, malgré la saisie des archives du parti où ne se trouvait nulle trace de pareil projet.

Quelques jours avant l’insurrection, j’avais demandé l’autorisation officielle de sortir du pays, ce que je n’aurais jamais fait si je m’étais attendu à un soulèvement. L’autorisation me fut refusée, évidemment parce qu’on projetait de m’arrêter en même temps que les autres dirigeants du parti.

Les préliminaires

Il n’est pas un gamin bulgare qui ignore que l’Union agraire et le Parti communiste ont pour eux l’écrasante majorité de la population en Bulgarie et que le gouvernement, voulant faire légaliser le coup d’État du 9 juin, ne pouvait aller aux élections sans écraser d’abord ses adversaires.

Après le 9 juin, la masse paysanne, comprenant l’erreur de Stambolisky, évolua considérablement vers la gauche, se rapprocha des communistes et le mot d’ordre du front unique conquit rapidement la majorité paysanne. L’union des paysans et des communistes incita le pouvoir à entreprendre l’anéantissement des organisations politiques à lui opposées.

A la terreur gouvernementale, le parti décide de répondre par une grève générale et des meetings de protestation. Et quand Tsankov commença d’écraser par les armes ces protestations, il ne resta plus qu’une issue : la défense armée des ouvriers et des paysans.

Ajoutons à cela que la situation économique devenait intenable, que la terre était reprise aux paysans, la journée de huit heures supprimée. Et que de plus, la politique extérieure de Tsankov menaçait de provoquer une nouvelle guerre balkanique. (Ne pas oublier que ce sont les responsables des deux guerres antérieures qui sont au pouvoir.)

L’insurrection

L’insurrection surgit avec une force élémentaire, une unanimité rare, et embrassa vite presque tout le pays. Après le meeting sanglant du 14 septembre à Sofia, dans les rayons de Kazanlak et Pazardjik eurent lieu des mouvements armés, et le 19 août tout le district de Stara-Zagora était insurgé.

Devant cette situation de fait, le parti ne pouvait laisser les masses sans direction. En pleine connaissance des défauts d’organisation des insurgés et des difficultés de la lutte, le Comité Central du Parti prit la résolution d’une insurrection générale.

Le soulèvement fut dans la pleine acception de l’expression une levée en masse. Les femmes allèrent au combat aux côtés des hommes. La ville et la campagne étaient insurgées.

La répression

La répression dépassa en sauvagerie tout ce qu’on peut imaginer. D’après la presse gouvernementale, qui a intérêt naturellement à en cacher l’ampleur, il y eut 5.000 exécutions et 15.000 arrestations ! A Pazardjik, 20 communistes en vue furent tirés de prison et tués ; parmi eux, l’ancien député Popov. A Samokov, le député communiste Sotirov eut les yeux crevés, les oreilles et la langue coupées, et fut tué ensuite. A Lom, plus de 2.000 et paysans furent arrêtés et une partie exterminée.

Des villages connus comme d’esprit communiste furent entièrement détruits par de l’artillerie, comme par exemple Perouchitz, autrefois incendié par les bachi-bouzouks et aujourd’hui par les « patriotes ».

Les horreurs de cette répression indicibles.

L’ignominie des social-démocrates

Quant à la conduite des social-démocrates, il n’y a pas de nom pour la qualifier. Même le journal social-démocrate de Vienne, Arbeiter Zeitung, a dû flétrir les Bulgares de la IIe Internationale.

Le ministre social-démocrate Kazasov a été le plus actif élément de répression. C’est le parti social-démocrate qui a le premier préconisé la mise hors la loi du parti communiste. Même le parti réactionnaire « national-libéral » s’est montré plus tendre pour nous.

Maintenant, le soulèvement est noyé dans le sang. Les élections du 18 novembre auront lieu sans la participation des partis communiste et agraire. La grande majorité de la population ne sera pas représentée au Parlement. Il n’y aura plus de paix dans le pays tant que ne sera pas créé un gouvernement ouvrier et paysan.

Telles sont les principales déclarations de Kolarov. Nous aurons à y revenir bientôt, pour éclaircir définitivement les événements bulgares et en tirer l’enseignement dont profiteront les travailleurs d’Occident.

Honte aux bourreaux, social-démocrates bulgares et à leurs complices, les socialistes de la 2e Internationale, les Longuet et les Paul Faure de tous les pays ! Que le sang de nos malheureux frères écrasés retombe sur eux ! – BORIS SOUVARINE.

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