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Aujourd’hui, deuxième tour des élections algériennes : « Nous voulons, me déclare Messali Hadj, donner la parole au peuple »

Interview de Messali Hadj réalisée par Jacques Brune et parue dans Franc-Tireur, n° 1151, 11-12 avril 1948, p. 3

AUJOURD’HUI, second tour des élections algériennes dans une atmosphère de répression et de corruption encore accrue. Cette consultation sera-t-elle l’occasion de dramatiques incidents ? A l’heure où l’on redoute le pire, quelle est l’opinion de l’homme qui est considéré comme le Gandhi des musulmans d’Algérie, Messali Hadj ? Saura-t-il surmonter l’irritation bien compréhensible causée par une répression et une fraude sans précédent pour faciliter, par une attitude constructive, l’œuvre de solidarité et de conciliation des démocrates français ? Nous sommes allés le voir dans sa retraite de Bouzaréa, d’où un cordon de police motorisée l’empêche de sortir.

1) Que pensez-vous des résultats des élections ?

Ce ne sont pas des élections, mais ce sont des distributions de sièges aux serviteurs patentés de l’administration algérienne, faites avec un semblant de campagne électorale pour abuser l’opinion publique de France peu instruite des méthodes coloniales.

2) Etes-vous d’avis, dans ces conditions, de recommencer les élections, après annulation ?

Nous comptons sur les démocrates de France pour qu’ils condamnent les méthodes et exigent avec nous de nouvelles élections sous le contrôle d’une commission formée de véritables démocrates capables de s’opposer aux pressions administratives. Déjà, le député Mezerna a déposé sur le bureau de l’Assemblée française, une demande d’interpellation au sujet des élections algériennes.

3) Quelle est votre attitude devant la répression et en particulier que pensez-vous des incidents sanglants d’Aumale ?

Il y a cinq mois, c’est-à-dire au lendemain des élections municipales qui ont été une victoire éclatante pour le M. T. L. D., la réaction de ce pays a plongé l’Algérie musulmane dans une répression féroce d’état de siège et de terreur. Il s’agissait non seulement de mater le peuple algérien et de le punir pour avoir voté M. T. L. D. aux élections municipales, mais encore il fallait coûte que coûte le mettre dans l’obligation d’abandonner cette voie. C’est pourquoi, tous les moyens de coercition furent employés y compris les rafales de mitraillette, les coups de matraque et les charges policières. C’est ce qui explique les tragiques évènements d’Aumale. Nous déplorons vivement ces évènements, mais nous rendons responsables le gouvernement général de ces morts. Ce qui est arrivé est la résultante de l’atmosphère de provocation et de terreur dans laquelle se sont déroulées ces élections sanglantes.

4) On tente de « justifier » cette répression contre vous en vous accusant de racisme et de séparatisme. Qu’avez-vous à dire au sujet de ces accusations ?

Ces gens-là sont vraiment trop mal placés pour nous accuser de racisme, car le peuple musulman est victime du racisme le plus abject depuis plus d’un siècle. Le régime colonial que nous subissons avec ses lois d’exceptions et l’absence totale des libertés démocratiques sont la preuve formelle du racisme.

5) Quelle est votre attitude à l’égard de l’Assemblée algérienne ?

Cette assemblée, de par sa composition est foncièrement antidémocratique puisque la représentation autochtone est proportionnellement neuf fois moindre que celle des gros terriens. En outre, ses prérogatives sont très réduites et font d’elle une petite chambre pour entériner les décisions du parlement français. Cependant, nos élus iront dans cette Assemblée pour faire entendre notre voix et pour faire triompher les aspirations nationales du peuple algérien.

6) Quelle est, dans le domaine de la politique générale, votre plan d’action ?

Notre plan d’action est toujours le même. Nous continuerons comme par le passé. Lutter pour l’instauration d’une véritable démocratie en Algérie, afin de permettre au peuple algérien sans distinction de race et de religion, de choisir ses institutions politiques dans une Constituante algérienne souveraine. Nous voulons donner la parole au peuple.

7) Ne croyez-vous pas que la tournure des événements va poser le problème de l’unité d’action des progressistes algériens ?

Je dois dire que la façon dont se sont déroulées les élections sanglantes et frauduleuses a profondément indigné le peuple algérien y compris certaines couches très modérées. Si le gouvernement croit avoir remporté une victoire, il commet une erreur très grave. C’est une victoire à la Pyrrhus, car le peuple n’est pas dupe de ces manigances. Oui la question de l’union est à l’ordre du jour, les résultats des élections, l’attitude de la réaction, de sa presse, et de son appareil répressif feront que l’union se réalisera dans un temps très proche.

8) Et maintenant quelle est votre attitude à l’égard du peuple de France ?

Le peuple de France honnêtement démocrate a toute ma sympathie, car durant plus de quinze ans, j’ai lutté avec lui dans la région parisienne contre le fascisme et le colonialisme. Hier, comme aujourd’hui et demain, je continuerai la lutte contre l’oppression coloniale, pour la libération nationale de l’Algérie. Cette haute mission à laquelle je reste fidèle, je l’ai commencée au bord de la Seine, au milieu de la sympathie du peuple de France. Je lui conserve, moi aussi, toute cette sympathie.

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