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Raphaël Valensi : L’antisémitisme, cri de guerre de la réaction

Article de Raphaël Valensi paru dans La Vérité, n° 194, 31 octobre 1947, p. 2

Un ex-déporté de Buchenwald, frère de l’un de nos camarades, derrière les barbelés d’un camp de Chypre.

Prenant la relève du « Pilori », « L’Epoque » réclame le « numerus clausus »

Certes, la presse réactionnaire ne peut encore se payer le luxe de manger ouvertement du juif, car les confrères qui l’ont précédée dans cette besogne sont un peu gênants. Le souvenir de « Je suis partout » et du « Pilori » est encore trop vivace. C’est pourquoi l’antisémitisme, arme traditionnelle de la réaction, n’est utilisée actuellement que d’une manière insidieuse. Lors du drame de l’« Exodus », « L’Epoque » trouva indécent que l’on pleure sur les rescapés des fours crématoires lorsque tant d’authentiques et valeureux Français moisissent encore à Fresnes.

Mais l’infâme torchon réactionnaire bien connu ne s’est pas arrêté là. Il s’est livré aussi à des astuces sur le nom d’un rédacteur de « Franc-Tireur », Jean-Maurice Hermann, dont la consonance révèle des origines impures. Enfin « L’Epoque » vient de terminer la parution d’une enquête sur la médecine française, « envahie par les métèques bessarabiens ». Et de nous faire savoir que le corps médical est submergé par les étrangers, on ne prononce pas le mot juif, mais par les noms cités, tout le monde comprend.

Toutes les saloperies prises dans les poubelles de « Gringoire » et de la presse nazie y passent. Les médecins marrons appartiennent à la race élue, l’avortement est une spécialité « bessarabienne ». etc. Vite le rétablissement du « numerus clausus » dans nos facultés, pour limiter le nombre d’étudiants étrangers ou juifs ! Pour que l’on puisse respirer « entre Français » ! Nous ne nous étendrons pas sur la valeur de ces ragots qui sentent la croix gammée. Ce qu’il faut noter, c’est le fait que l’antisémitisme réapparaît avec la montée du gaullisme. Bien sûr, le R.P.F. laisse pour le moment le soin de la propagande antisémite aux brochures dites clandestines vendues par les librairies de Saint-Germain-des-Prés. Mais qu’on ne s’y trompe pas, la logique de sa politique amènera le R.P.F. à reprendre les arguments des Streicher et des Goebbels. Tout ce que Paris compte d’antisémites se range déjà sous la bannière du général. Ce beau monde comprend que les glapissements antijuifs seraient mal accueillis deux ans après l’extinction des fours crématoires, mais on attend l’heure. Et puis, devant la révolte grandissante des petites gens exaspérées par la vie chère et la gabegie gouvernementale, comme il sera facile de faire du « Bessarabien » ou du petit tailleur juif, le responsable de tous les malheurs ! Cette tactique, qui consiste à détourner la colère du peuple des vrais responsables, est vieille comme l’injustice sociale elle-même. La bourgeoisie ne peut se passer de l’antisémitisme, qui va de pair avec le nationalisme.

Mais il n’est pas possible de passer sous silence le rôle de ceux qui ont apporté de l’eau au moulin du racisme. Ceux qui ont semé le chauvinisme dans les rangs ouvriers, qui ont annexé Jeanne d’Arc, chanté le drapeau et l’Empire et embouché la trompette de Déroulède, ont rendu la propagande raciste plus efficace. Celui qui sème le chauvinisme récolte l’antisémitisme et la xénophobie, car tous les deux sont les ficelles classiques de la réaction.

R. VALENSI.

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