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Paul Philippe : Le M.T.L.D. à la croisée des chemins

Article de Paul Philippe paru dans Le Libertaire, n° 397, 9 septembre 1954, p. 1-2

L’ALGERIE LIBRE (organe du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques en Algérie, M.T.L.D.) a publié récemment un communiqué relatant les décisions prises à la suite du congrès extraordinaire du M.T.L.D. qui s’est tenu en Belgique les 14, 15 et 16 juillet derniers. Ces décisions sont les suivantes :

« 1° Dissolution du comité central ;

« 2° Exclusion de principe des membres de l’ex-direction et ceux du comité central dissous, reconnus en même temps responsables de la déviation politique, des actes de désobéissance et de l’utilisation des fonds du parti ;

« 3° Restitution par les ex-dirigeants, ou tout autre détenteur, de tous les biens du parti, au président ou à ses représentants. »

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« La lutte pour des réformes dans un mouvement révolutionnaire doit être axée sur la recherche permanente du but suprême constamment réaffirmé … Mais c’est là que se présente un grand danger. Les solutions de facilité sont attrayantes et un mouvement révolutionnaire pourrait, s’il ne montrait une grande maîtrise, sombrer dans le réformisme absolu.

« Le second grand risque que court un mouvement révolutionnaire … est de se laisser tenter par un opportunisme et croire à la possibilité de ruser avec l’impérialisme, Cette tentation mène inévitablement à la compromission et au déshonneur … Croire aux sentiments d’humanité, de justice et de progrès que l’impérialisme affecte pour les besoins de sa cause, c’est tourner complètement le dos aux réalités aveuglantes de notre propre situation, désavouer l’expérience historique des peuples libérés, et qui plus est, renier ses propres principes et les fondements mêmes de la lutte. »

Ainsi, le M.T.L.D., qui regroupe l’immense majorité des travailleurs algériens, vient de faire une expérience extrêmement intéressante du point de vue révolutionnaire.

Depuis un certain temps, ce parti, en se bureaucratisant, avait subi une très grave déviation : conformisme, opportunisme, reprise plus on moins nette des méthodes conciliatrices des dirigeants du P.C.F. vis-à-vis de l’impérialisme français.

Le récent congrès de Belgique semble avoir fait reculer le mal, sous l’impulsion de la base révolutionnaire et aussi avec l’aide de certains dirigeants, dont Messali Hadj, qui ne désarme pas et se montre continuellement à l’avant-garde de la lutte.

Cependant, nous ne sommes pas de ceux que le fond du problème n’intéresse pas et nous posons la question suivante : comment se fait-il qu’un parti essentiellement composé d’un prolétariat surexploité puisse subir de telles déviations réactionnaires (car la déviation réactionnaire a pu se produire et, bien qu’elle ait été éliminée pour l’instant, rien ne prouve qu’elle n’aurait pas pu gagner la partie, ou qu’elle ne la gagnera pas dans un avenir plus ou moins éloigné) ?

La déclaration de l’« Algérie Libre » nous donne la réponse :

« La lutte pour des réformes dans un mouvement révolutionnaire doit être axée sur la recherche permanente du but suprême constamment réaffirmé … Mais c’est là que se présente un grand danger. Les solutions de facilité sont attrayantes et un mouvement révolutionnaire pourrait, s’il ne montrait une grande maîtrise, sombrer dans le réformisme absolu. »

Il est vrai que beaucoup de mouvements révolutionnaires, les uns après les autres, ont sombré dans le réformisme. Mais pourquoi ? Précisément parce que tous ont perdu de vue (dupés par les fausses libertés accordées par la société bourgeoise) « le but suprême », la société sans classes et sans Etat, la société communiste libertaire.

Et le parti de Messali Hadj n’échappe pas à la règle. Jamais il n’a défini ce qu’il entend par « but suprême ». Il est bien évident que, si ce but suprême n’est qu’une liberté relative dans le cadre du système capitaliste, toutes les compromissions, tous les opportunismes sont justifiés et, par exemple, les tractations entre Mendès-France et Bourguiba, sur le dos du prolétariat tunisien.

Définir ce « but suprême », le rappeler constamment, même au cours des luttes partielles, ce sera la meilleure garantie contre le réformisme.

Il est impossible que Messali et ses collaborateurs ne sentent pas ce problème.

Jusqu’à présent, en ne donnant pas au M.T.L.D. la base théorique révolutionnaire indispensable, en s’abstenant de définir le but suprême, ils laissent la porte ouverte, quelles que soient leurs positions et leur influence individuelles, à la collaboration et au réformisme.

Or, quel pout être le but suprême, sinon, par la Révolution sociale, la véritable société communiste ?

Nous nous félicitons, certes, de l’élimination des opportunistes, nous sommes chaque jour avec les travailleurs nord-africains dans la lutte contre l’exploitation, mais, tant que les dirigeants du M.T.L.D. ne prendront pas une attitude claire, condamnant sans équivoque le système capitaliste, nous restons sur notre position de « soutien critique ». Nous sommes résolument et à fond dans la lutte aux côtés des peuples coloniaux, tant contre l’occupant que contre les bourgeoisies locales, mais nous attaquerons et dénoncerons sans cesse tout compromis, tout opportunisme, quel qu’il soit !

P. PHILIPPE.

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