Article de Marceau Pivert paru dans La Revue socialiste, n° 106, avril 1957, p. 446-447
KOESTLER (Arthur). – L’ombre du dinosaure. Traduit de l’anglais par Denise Van Moppès. P., Calmann-Lévy., Collection « Liberté de l’Esprit ». 1956. 21,4×14,3, 272 pages.
Dans une brève préface l’auteur indique que ce recueil d’articles parus entre 1946 et 1955 constitue un « adieu aux armes ». Il n’a plus rien à dire sur les questions politiques : son pessimisme même était trop modéré : les questions essentielles de l’âge atomique se posent « à l’ombre du dinosaure ».
Certaines de ces études ont déjà paru : l’ « anatomie du snobisme », le petit manuel des névroses politiques, sur la France « pays de pain et de vin », sur George Orwell. Un essai sur les Juifs « Juda à la croisée des chemins » (dont on retrouve des passages dans son roman « La Tour d’Ezra »). Enfin, quatre interventions au Congrès pour la Liberté de la Culture : le droit de dire « Non » ; deux méthodes d’action ; un dilemme dépassé. « Dans le passé, les socialistes ont toujours combattu le paroissialisme, le chauvinisme, le nationalisme agressif, et ont prêché l’internationalisme, le cosmopolitisme, l’abolition des barrières idéologiques et politiques entre les nations. Mais le font-ils encore ? … le socialisme a perdu son droit à prétendre représenter les aspirations internationales de l’humanité » (1). Questions et réponses (tract que vendent « les amis de la liberté »). Enfin « l’ombre du dinosaure » est une sorte de panorama de l’histoire de la civilisation : une ascension de puissance matérielle vertigineuse coïncidant avec un déclin spirituel également stupéfiant les habitudes de pensée ne sont plus appropriées à la situation actuelle de l’humanité. Kœstler souhaite « un nouveau type de foi ». Chaque époque et chaque culture ont eu leur foi « sur mesures ». Est-ce que l’homo sapiens prendra la route du dinosaure ou mutera vers un avenir plus stable ?
… Après avoir été militant communiste, Kœstler n’a pas retrouvé
le chemin d’un socialisme internationaliste et libertaire qui répond pourtant, dans la réalité complexe d’aujourd’hui, aux angoisses de l’écrivain aspirant à une sorte de nouvelle religion universelle de l’humanité. Mais au cours de la période dangereuse du stalinisme n’aurait-il pas commencé à désespérer de l’humanité en se résignant à la seule réplique militaire contre le fléau totalitaire ? Que pense-t-il aujourd’hui de ses frères les intellectuels et travailleurs hongrois, de leurs répliques à eux, de leurs conseils ouvriers et de leur grève générale ? Est-ce que les tanks soviétiques n’ont pas affronté là pour la première fois la véritable réplique révolutionnaire : celle des consciences décidées à refuser le mensonge en construisant le socialisme et la liberté ?
M. PIVERT.
(1) Pp. 197-194