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Une enfance algérienne : La grande maison, de Mohammed Dib

Article signé P.-M. P. paru dans Franc-Tireur, 12e année, n° 2 591, 27 novembre 1952, p. 4

DIRE oui, toujours. Dire oui à la peur et à la misère, oui à la faim et à la maladie, oui au patron et au gendarme. Mais pourquoi ? Pourquoi du travail et pas de pain, pourquoi le froid et pas de feu ? Autant de questions qui inquiètent Omar, le petit héros du roman de Mohammed Dib. Poussé dans le tumulte de « La Grande Maison » (1), parmi les hurlements des enfants en haillons, les criaillements des femmes, les « braillements » de la faim, parmi cette rumeur bourdonnante et ininterrompue que déchire parfois un cri de désespoir, le petit garçon regarde les grandes personnes avec une curiosité angoissée.

Attentif, sensible au malheur des siens, Omar devine « qu’on lui cache quelque chose ». Le monde qu’on lui propose, donné, irrécusable, opaque pour lui mais ordonné par quelque puissance supérieure. Ce monde sonne faux. Ce malaise, il l’a éprouvé d’abord à l’école franco-arabe. Quand l’instituteur musulman n’a pas pu dire à ses élèves ce qu’est « la Patrie ». Parlant arabe pour la première fois, M. Hassan leur a confié d’une voix basse où perçait une violence contenue :

« Ça n’est pas vrai, si on vous dit que la France est votre Patrie. »

Omar a déjà compris que tout est mensonge ici. Celui qui sait le mieux mentir, « le mieux arranger son mensonge est le meilleur de la classe ». Ainsi des lectures : le cercle de famille dans un intérieur bourgeois, le joyeux laboureur, l’arbre de Noël, le mouton de l’Aïd-Kebir et les gâteaux de l’Aïd-Seghir. Pour le petit garçon, il n’y a jamais eu autre chose qu’un morceau de pain, les taloches d’une mère épuisée de travail et la chambre sordide ou tous s’entassent. N’empêche, il convient de faire « comme si » … Ainsi éclate le scandale d’une éducation fondée sur le mensonge : au lieu d’ouvrir le monde aux enfants, on le leur cache ; au lieu de les préparer à leur rôle d’hommes libres, on en fait les instruments dociles d’une politique d’exploitation : on les aide avec sollicitude à ne pas penser et à obéir.

« Notre malheur est si grand qu’on le prend pour la condition naturelle de notre peuple. Il n’y avait personne pour en témoigner, personne pour s’élever contre ? »

Avec quelle sympathie heureuse et quelle confiance, Omar découvre qu’il y a Hamid Saraj : lui, a le courage de formuler tout haut les revendications que chacun tait prudemment. Naturellement, Hamid va en prison. Mais il a des compagnons prêts à poursuivre la lutte : décidés à défendre leur droit à la vie, leur droit de manger à leur faim, de récuser une justice faite pour les mater. La faim donne des idées … de drôles d’idées, vraiment !

Nous sommes en 1939. C’est la guerre. La foule des Tlemcéniens s’assemble sur les places. Ce malheur nouveau l’a-t-il réveillée ?

« A présent surgissait devant eux, pleine de menaces, obscure, têtue, leur propre aventure … ils commençaient à rire de se retrouver ensemble … »

Et parmi eux, Omar cesse un instant d’être un petit garçon : il sent monter en lui cette grande force qui fera de l’enfant un homme libre.

N’imaginez pas le livre de Mohammed Dib plein de discours. Il ouvre seulement les portes de La Grande Maison. A le suivre, nous nous émerveillons des gestes de tendresse, de délicatesse, de l’atmosphère de sympathie humaine qui naît parfois dans l’excès de la misère. Car, le plus souvent, l’injure masque l’amour, un amour impatient de secouer le joug et de s’épanouir au grand jour de la liberté.

P.-M. P.


(1) Ed. du Seuil.

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