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La chasse aux Algériens

Article paru dans L’Observateur, 2e année, n° 83, 13 décembre 1951, p. 3-4

Sur l’initiative des Algériens de Paris, un comité s’était formé le 18 novembre dans le but d’organiser des réceptions en l’honneur des délégations arabes et musulmanes aux Nations unies. Assurant la représentation la plus large de tous les Algériens de France, ce comité comprenait des membres des partis politiques, des organisations syndicales et des personnalités indépendantes.

La réception populaire fut prévue pour le 8 décembre, au Vélodrome d’Hiver. La veille, la préfecture de police, après l’intervention pressante de membres de la commission de l’intérieur menés par M. Quilici, interdisait la réunion. On prétexta que celle-ci était en fait une manifestation politique organisée par le M.T.L.D. Les affiches et les invitations étaient pourtant fort explicites.

La réunion devait avoir lieu à 20 heures. De nombreux délégués à l’O.N U. avaient accepté de s’y rendre. Dès 18 heures, plusieurs milliers de policiers, de C.R.S. et de gardes mobiles prenaient position autour du vélodrome, établissant des barrages de véhicules interdisant toute circulation. Le dispositif imaginé par M. Baylot comportait en plus, l’établissement, à plusieurs kilomètres du lieu de réunion, sur toutes les voies d’accès, de véritables « bouchons » de policiers chargés de filtrer la circulation et d’appréhender tous les Nord-Africains.

Cela donna lieu à des scènes odieuses et comiques à la fois. Au carrefour du pont de la Concorde, devant le Palais Bourbon, une section de gardiens de la paix arrêtait tous les véhicules, provoquant un embouteillage monstre. Les agents s’approchaient des voitures et s’ils devinaient qu’un occupant était Nord-Africain, ils l’en extrayaient sans ménagement pour le jeter dans un car qui l’emmenait immédiatement vers un des points de triage prévus par les autorités.

La préfecture de police comptait ce soir-là sur une nombreuse « clientèle » ; des centres d’identification avaient été installés dans tous les commissaires de Paris, dans les sous-sol du Grand Palais, à la caserne Beaujon jusque dans le parc Monceau où les Nord-Africains interpelés furent concentrés derrière des réseaux de chevaux de frise. Dans chaque centre, des fonctionnaires munis d’impressionnantes piles de fiches se livrèrent jusqu’à l’aube à des vérifications d’identité.

On ne s’était d’ailleurs pas contenté d’arrêter les Nord-Africains qui semblaient se diriger vers la réunion. Des rafles eurent lieu en même temps, dans tous les quartiers de Paris et dans les localités de banlieue habités par des Nord-Africains.

Dans certains départements, les compagnies de transport routier avaient été « priées » par les autorités de ne pas louer leurs autocars aux Nord-Africains qui désiraient se rendre à Paris. Des cars venant de Sochaux, de Belgique, du Nord, furent arrêtés sur la route et leurs occupants détenus toute la nuit par la police locale. Les trains furent, de même, méthodiquement fouillés et les Nord-Africains qui s’y trouvaient, « invités » à descendre.

Au total, près de quinze mille personnes furent ce soir-là arrêtées dans Paris parce que d’origine nord-africaine et comme telles, susceptibles de se rendre à la réunion. Des parlementaires comme Ahmed Boumendjel, conseiller de l’Union française, eurent droit au même traitement.

Et pendant ce temps, M. Brune, ministre de l’Intérieur, inaugurant les foyers des usines de Wendel parlait très paternellement de « la communauté d’idées et de sentiment et de l’attachement à la patrie ». de la « main-d’œuvre nord-africaine ». Singulière manière qu’a la patrie de traiter une partie de « ses fils ».