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Les sanglants incidents de Chaumont : Une fois encore les Algériens sont victimes de la haine et du racisme policiers

Article paru dans L’Algérie libre, n° 79, 11 septembre 1953, p. 1 à 3

LE sang de nos frères tués le 14 juillet place de la Nation n’avait pas encore séché qu’un autre Algérien est tué par la police pour avoir voulu exercer son droit de grève. Messaoud DAFI, qui laisse une veuve et trois enfants, ajoute son nom à la longue liste des Algériens qui, depuis le 23 mai 1952, sont tombés sous les coups de la police.

Voici les faits exacts dont nous venons d’être informés. Le mois d’août a été marqué par de puissants mouvements de grèves. Nos frères, surtout dans le secteur privé et nationalisé, se sont joints au mouvement et ont associé leurs revendications particulières à celles de leurs camarades français. Nos compatriotes employés par l’entreprise Avogadri pour les travaux le long des voies dans la région de Chaumont (Haute-Marne) s’étaient tous mis en grève le 27 août, et présentèrent des revendications dont nous donnons la liste par ailleurs.

Vingt-quatre heures après le début de la grève nos compatriotes qui se trouvaient rassemblés sur le chantier furent encerclés par plusieurs centaines de C.R.S. sous les ordres du commandant Picot et, sans aucune discussion préalable, celui-ci donna l’ordre d’attaquer les grévistes. La police usant de la crosse s’acharna contre nos frères dont la plupart étaient assis ou allongés. Les témoins français ne purent cacher leur indignation et intervinrent pour aider nos compatriotes à se dégager de la flicaille déchaînée et leur permettre de se réfugier dans les demeures environnantes. Les barbares en uniforme poursuivirent nos frères jusque dans les appartements n’hésitant pas à violer les domiciles.

On releva plusieurs dizaines de blessés dont 6 dans un état grave (fracture dorsale, fracture de têtes et de jambes), 22 grévistes furent hospitalisés et l’un d’eux Messaoud DAFI, originaire du douar Maouklane, dans la commune mixte de Guergour, devait décéder le lendemain des suites de ses blessures.

La sauvagerie de l’agression policière devait soulever une émotion considérable dans la région et provoquer la protestation de toutes les organisations syndicales sans distinction (CFTC, FO, CGT, Enseignants autonomes).

Dès que la nouvelle des incidents parvint à Paris, la Délégation permanente du MTLD publia une énergique protestation. Une délégation comprenant les représentants de la Fédération de France du MTLD ainsi que du CSVR et à laquelle s’était joint le frère OMAR de la Commission nord-africaine confédérale (CGT) fut constituée. Cette délégation ainsi que les frères représentants les sections de la région de l’Est du MTLD se rendirent à la Préfecture et arrachèrent l’autorisation du transfert du corps de Messaoud DAFI à la Mosquée de Paris.

Le 31 août après-midi, la levée du corps à l’hôpital de Chaumont devait être l’occasion d’une magnifique manifestation de solidarité de la population française. On évaluait à plus de 6.000 le nombre de français qui se joignirent à nos compatriotes et formèrent un imposant cortège qui traversa la ville. Avant le départ du corps vers Paris, une manifestation eut lieu au cours de laquelle prirent la parole les représentants des Unions départementales CFTC, FO et CGT ainsi que le frère OMAR et un représentant local des travailleurs algériens.

Le corps fut accueilli à la Mosquée de Paris, où il arriva par la route, par des militants de la région parisienne du MTLD. Le cercueil enveloppé du drapeau algérien fut veillé toute la nuit par des militants du MTLD.

Le corps fut exposé dans la matinée du mardi, à l’intérieur de la Mosquée, entouré d’une garde d’honneur constituée par des militants du MTLD, brassard vert au bras. Après la prière des morts, le corps fut transporté au cimetière musulman de Bobigny où il fut inhumé près des tombes provisoires d’ILLOUL et de DAOUI, tombés le 14 juillet place de la Nation. Signalons la présence à la Mosquée de Paris et au cimetière de Bobigny de délégations du PCF, de la CGT et de la municipalité de Bobigny aux cotes de représentants de la délégation permanente, de la Fédération de France et de la région parisienne du MTLD.


REMERCIEMENTS

Le Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques en Algérie, représentant authentique de l’émigration algérienne en France, remercie vivement la population et les organisations syndicales politiques et progressistes, CGT, CFTC, FO, Syndicat autonome des Instituteurs, de l’UFF, PCF, SFIO, etc … de Chaumont, pour avoir partagé en ce jour de deuil la douleur qui frappe la famille du défunt et le peuple algérien en général. L’indignation soulevée dans tous les milieux de la population de Chaumont qui s’est caractérisée par des arrêts de travail, dans les PTT, la SNCF, le bâtiment et d’autres corporations ; l’imposante démonstration de solidarité manifestée par cette population lors du transfert du corps de l’hôpital au cimetière de Clamart où a eu lieu avant le transfert à Paris une cérémonie groupant plus de 6.000 personnes, hommes et femmes, Algériens et Français, contribuera à renforcer l’unité de nos deux peuples en lutte contre le même oppresseur et exploiteur et pour des conditions de vie meilleures.

Les Sections MTLD de la Région de l’Est


APRES LA TUERIE DE CHAUMONT

Nous donnons par ailleurs la relation exacte des faits de la sauvage agression dont ont été victimes les grévistes algériens de l’entreprise AVOGARDI de Chaumont.

Nos compatriotes avaient cessé le travail par solidarité avec les travailleurs français. Aux revendications générales de ces derniers, ils avaient ajouté leurs revendications particulières. Nous publions ci-dessous la liste de celles-ci, afin que chacun puisse juger du « crime » de nos compatriotes. Les brutalités policières devaient soulever une émotion considérable dans la région et provoquer la protestation des organisations syndicales : CFTC, FO, CGT, Enseignants et Autonomes.

Le crime raciste de Chaumont a été perpétré à l’égard de travailleurs qui ont voulu exercer leur droit de grève. Venant après les massacres du 14 juillet dernier, il rappelle à tous ceux qui oublient, que le salut pour tous les Algériens réside dans la destruction du régime colonial qui asservit notre pays.

Les faits quotidiens nous prouvent que les rapports qui nous régissent avec l’impérialisme français sont identiques à ceux de 1830. Ils sont toujours basés sur la haine, le racisme et l’exploitation des Algériens.


Liste des revendications posées par les représentants syndicaux au nom des ouvriers algériens de l’Entreprise AVOGADRI

1°) En ce qui concerne les salaires, l’entreprise n’est pas ignorante des accords nationaux et départementaux qui ont été signés entre les représentants des organisations ouvrières et patronales.

Ces accords et les prix payés dans la région, telle qu’à l’entreprise Dahé à Chalindrey, donnent les tarifs suivants :

Terrassier : 107 frs de l’heure (prix minima en ce qui concerne les chantiers de pose de voies :

Pour les poseurs, coupeurs, ramasseurs, etc … ouvrier spécialisé 3ème échelon : 120 frs de l’heure ;

2°) En ce qui concerne l’indemnité de panier, les ouvriers demandent que celle-ci, vu les conditions de travail pénibles, soit portée à 250 frs pour tous, sans exception, étant bien entendu que les ouvriers grands déplacés conservent entièrement leur indemnité de grand déplacement.

3°) La direction ne doit pas ignorer que l’accord national prévoit que les hommes d’amplitude doivent être payés sur la base de 70 % de l’ouvrier qualifié 3ème échelon, c’est-à-dire, en ce qui concerne, 64 frs par l’heure d’amplitude.

Les ouvriers qui partent à 7 heures le matin et qui rentrent à 20 heures le soir peuvent prétendre à 4 heures d’amplitude. Dans ce cas, l’amplitude doit être par jour de 335 frs.

Les ouvriers demandent que le rappel de l’amplitude soit fait depuis l’ouverture du chantier.

4°) Les ouvriers demandent que les journées de grève perdues par suite de la grève des Cheminots soient intégralement payées, les travailleurs n’étant pas responsables de cette grève.

5°) Les ouvriers demandent des primes de salissure ou des primes afférentes, en ce qui concerne certains travaux durs tels que la coupe et la pose des voies, le dégarnissage, le port des traverses. Cette prime en aucun cas, ne peut être inférieure à 5 % du salaire horaire.

6°) En ce qui concerne l’hygiène, les ouvriers demandent à être couchés sur des matelas, avoir des draps et des oreillers. Ils demandent, en outre, qu’on leur installe un wagon aménagé pour faire la cuisine et que l’entreprise détache un cuisinier nord-africain pour préparer les repas. Ils demandent, en outre, qu’un gardien, payé par l’entreprise, soit affecté en permanence à la garde des locaux.

Les représentants ouvriers sont prêts à discuter avec l’entreprise sur toutes ces questions qui lui sont soumises.