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Technique Xavier Vallat : En plein Paris, rafles de Nord-Africains « au faciès »

Article paru dans Droit et Liberté, n° 70 (174), 6-12 avril 1951, p. 1 et 3 ; suivi de « Après les rafles au faciès » paru dans Droit et Liberté, n° 71 (175), 13-19 avril 1951, p. 3

– En voilà un autre !

Et, du car bleu, descend une nuée de policiers, qui se ruent sur un promeneur, lequel est « embarqué » sans douceur.

Ce promeneur avait la peau mate, les yeux sombres, les cheveux noirs. Il a été repéré « au faciès ». Il a été décrété Nord-Africain. C’est pour cela qu’on l’emmène au poste. Ainsi, sous l’occupation, étaient « embarqués » les Juifs victimes des brigades « spéciales ».

Quatre heures durant, dimanche après-midi, les fourgons bleus de la police ont patrouillé dans différents quartiers de Paris. Il s’agissait d’empêcher un meeting qui devait avoir lieu à la Mutualité, et interdit la veille au soir par les autorités préfectorales. Mais les rafles, qui rappelaient les temps sinistres de Hitler et de Pétain, se déroulèrent souvent à des kilomètres de la Mutualité. En réalité, c’est à des manifestations purement racistes que se sont livrés les agents et les C.R.S.

Pendant une partie de l’après-midi, les cars de police ont ainsi sillonné le boulevard Saint-Michel, rôdé autour de la Bastille et de l’Hôtel de Ville. Un grand nombre de ponts de la Seine étaient coupés par des barrages, et il fallait, pour passer, montrer … peau blanche.

Chaque fois que les Nord-Africains interpellés élevaient la moindre protestation ou circulaient trop lentement au gré des policiers, ceux-ci jouaient de la matraque. Non seulement ils arrêtèrent de paisibles promeneurs qui ignoraient tout du meeting de la Mutualité, mais ils pénétrèrent en force dans plusieurs cafés habituellement fréquentés par des Nord-Africains.

Au 18, rue des Trois-Portes, les vitres furent brisées à coups de matraques. On compte de nombreux blessés, dont trois sérieusement.

Au 3, rue de Bièvre, le restaurant fut aussi l’objet d’une expédition punitive. Tous les clients qui mangeaient là furent emmenés sans exception.

Au total, plus de 250 personnes ont été arrêtées. Trois arrestations ont été maintenues.

Le meeting qui devait avoir lieu à la Mutualité, à l’appel d’organisations nationales d’Algérie, du Maroc et de Tunisie, avait pour but de protester contre les récents événements du Maroc.

La délégation permanente à Paris du M.T.L.D. (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques en Algérie), l’une des organisations ayant appelé au meeting, a élevé une vigoureuse protestation.

Le M. R. A. P. a publié une résolution où l’on peut lire :

Ces méthodes rappellent celles des « spécialistes » de la Gestapo qui, sous l’occupation, arrêtaient les Juifs également « au faciès » et elles sont d’autant plus dangereuses qu’elles sont la récidive de rafles racistes qui ont eu lieu en septembre dernier.

Le Secrétariat du M.R.A.P., à sa réunion du 3 avril, après avoir pris connaissance des faits, élève une protestation indignée contre ces méthodes racistes employées par les autorités.

Il appelle instamment tous les habitants de notre pays à exprimer leur réprobation contre cette violation de la Constitution et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Exprimez votre protestation par des lettres, motions, pétitions, envoyées à la Présidence du Conseil et aux parlementaires de votre secteur.

Le Secrétariat du M.R.A.P.


Après les rafles « au faciès »

Deux des Nord-Africains arrêtés le dimanche 1er avril au cours de la rafle raciste qui eut lieu dans divers quartiers de Paris, ont comparu devant la 12e chambre correctionnelle.

Hamouche Mohamed et Boudourmi Larbi étaient tous deux poursuivis pour « violences à agents ».

Hamouche se vit infliger 15 jours de prison ferme et 5.000 francs d’amende. Il est à noter qu’il portait la trace de nombreux coups reçus.

Boudourmi lui, eut un mois de prison avec sursis et 5.000 francs d’amende.

Voilà bien un jugement raciste, puisque le délit dont sont soi-disant coupables les deux Nord-Africains est sanctionné d’ordinaire par des peines symboliques …