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Claudine Inductor : En France, ils ont trouvé le racisme et la misère. L’odyssée de Sliman, agriculteur algérien

Reportage de Claudine Inductor paru dans Droit et Liberté en six parties : n° 49 (155), 10-15 novembre 1950 ; n° 50 (154), 17-23 novembre 1950 ; n° 51 (155), 24-30 novembre 1950 ; n° 54 (158), 15-21 décembre 1950 ; n° 55 (159), 22-28 décembre 1950 ; n° 56 (160), 29 décembre 1950 – 4 janvier 1951

« Visitez l’Algérie, le pays des contes des Mille et une Nuits ! » Si vous partez en voyage, courbé sous le poids des valises, tout en essayant de vous faufiler à travers la foule, vos yeux s’extasient devant ces magnifiques paysages aux bleus et roses si délicats. Le visage réjoui des gosses, les couchers de soleil derrière les palmiers légèrement penchés et couverts de lourds régimes de dattes vous donnent envie de connaitre ce beau pays où la vie ne doit être qu’un rêve merveilleux.

Et pourtant …

– Caïd, dit Sliman, regarde ! Le percepteur me demande 50.000 frs de ma bicoque. Tu sais bien qu’elle en vaut à peine 10.000.

– Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse, dit le Caïd, c’est l’administrateur qui a fixé le montant de tes impôts. Va le voir.

– A quoi bon, puisqu’il a pouvoir de vie ou de mort sur moi, ma famille, mes bêtes, et mes plantes. 50 mille francs à verser et je n’ai pas un sou…

– Tu n’as qu’à travailler.

– Je travaille, mais la terre ne veut rien donner. Ma femme, mes gosses n’ont que des haillons sur le dos. C’est la misère noire.

– Qu’est-ce que tu attends pour aller travailler en France. Tu gagneras 1.000 francs par jour. Ici t’es moins que rien. En France, t’es payé comme un européen. Tu travailles en homme, t’es un homme comme les autres, on te dit : « Monsieur Sliman ! »

– Et qu’est-ce que je vais faire de ma bicoque, alors ?

– Tu n’as qu’à la vendre. Tiens, le colon te l’achètera bien 10000 frs.

– Et ma femme, mes enfants ?

– Quand tu seras installé là-bas, tu n’auras qu’à les faire venir.

Sliman a cédé à l’attrait du mirage. Poussé par sa femme, il finit par liquider ses dernières bêtes.

Paysan de la région de Tlemcen, Sliman quitte donc sa terre où il ne peut plus vivre, son ciel bleu, son soleil, tout ce qui était cher à son cœur, pour venir en France.

La misère se lit sur le visage de ces enfants du Constantinois.

Etape dans le Gard

Confiant dans les horizons nouveaux qui s’ouvrent à lui, il débarque à Marseille avec son baluchon.

Sliman, terrassé par la fatigue ne trouve pas de chambre.

Comment faire pour gagner Paris ?

Couchant ceci, delà dans les gares, il met ses derniers billets de mille dans le voyage.

En route apprenant que l’on embauche dans les mines du Gard, il s’y présente.

– Qu’est-ce que tu sais faire ?

– Je suis cultivateur ….

– Bon, tu descendras au fond …

Dès qu’il a quelques sous en poche, il continue son voyage.

Huit jours plus tard, Sliman pousse la brouette dans un chantier du Rhône.

Ainsi, quelques semaines se passent et Sliman arrive à Paris, se rend dans un café fréquenté par ses compatriotes nord-africains, s’assoit, ne consomme pas et écoute parler autour de lui. Sans un sou en poche, il attend.

– Alors, frère, tu viens du pays ?

– Oui.

– Tu as une chambre ?

– Non.

La conversation s’engage. Sliman comprend vite que tout ce qu’on lui a fait miroiter n’était qu’illusions et qu’il reste un malheureux parmi beaucoup d’autres.

(A suivre.)
Claudine INDUCTOR.


Une grande enquête de « D. L. » : En France, ils ont trouvé le racisme et la misère…

L’ALGERIEN SLIMAN CHERCHE DU TRAVAIL A PARIS

SLIMAN, dans un café arabe, a retrouvé Ali. Malheureux, sans travail ni logement, ils décident d’aller chercher ensemble de l’embauche. A deux, on a plus de courage.

– Je suis prêt à faire n’importe quoi, dit Sliman, en essayant de sourire. Et toi ?

– Moi aussi, mais regarde la pancarte : « Citroën embauche professionnels qualifiés. » Ce n’est pas pour nous, qui n’avons jamais travaillé que la terre. Les colons ne nous ont pas permis d’apprendre un métier. Faisons la queue quand même.

Une voix acariâtre :

– Rien pour les manœuvres.

– Au bureau de placement, peut-être aurons-nous plus de chance.

Rue de Picardie, une boutique, porte une inscription en lettres noires :

« Ministère du Travail, Office de placement des Travailleurs Nord-Africains ».

Déjà, une vingtaine d’Algériens attendent. A tour de rôle, chacun passe au guichet, explique sa situation.

– Toi, mon gars, voyons … tu sais lire ?

– Non.

– Qu’est-ce que tu sais faire ?

– Je suis ouvrier du bâtiment.

– Bon, dit l’employé, eh bien, je vais essayer de te trouver du boulot, mais ce ne sera pas de tout repos.

– Tant pis, je sais qu’il est dur de travailler sur un chantier.

– Bon, reviens jeudi matin.

Pour les manœuvres, navré, c’est fini. Il n’y a plus rien, qu’ils reviennent demain.

En sortant, Sliman et Ali sont découragés.

– On profite largement de mon ignorance observe Ali, les larmes aux yeux. On me roule sur toutes les coutures. Embauché le dernier dans une usine de produits chimiques, j’ai été le premier liquidé. Et pour retrouver du travail, ce n’est pas une petite affaire.

Les contremaîtres vont jusqu’à leur faire payer du bakchiche pour les employer.

Dans certaines usines, sans raisons plausibles, on refuse d’embaucher les Nord-Africains : « Rendement trop faible » déclare-t-on. Cet argument est d’autant moins valable que l’on fait accomplir par des hommes les moins adaptés aux conditions de vie de la « métropole » les travaux les plus pénibles : fonderie dans les usines métallurgiques comme chez Citroën, travail de fond dans les mines, manipulations dangereuses dans les entreprises de produits chimiques, telles chez Watelez, à Colombes, où ces pauvres malheureux gagnent à peine 6.500 francs par quinzaine, un salaire de famine.

Touchent-ils une indemnité de chômage ?

– Pour toucher, il faut produire un certificat de résidence d’un an dans la même ville et une attestation de 6 mois de travail … Comment nous les procurer, nous qui travaillons trois jours ici et trois mois là-bas ?

Devant chez Citroën…

Dans la carrière

Tous les matins, les premiers métros pour Clichy et pour Saint-Ouen emmènent nombre d’Algériens vers les usines et les chantiers de banlieue.

Sur le chantier de bâtiment Poliet et Chausson à Argenteuil, vous reconnaissez tout de suite les Nord-Africains, même de loin, même de dos. Pour la plupart, ils n’ont pas de bleus.

Je patauge dans la carrière et arrive au pied de l’immense grue. Une trentaine d’Algériens travaillent. Il y en a des jeunes, d’autres plus âgés tous maigres et tristes. Je m’approche. Certains piochent la terre, en extraient des pierres, d’autres le transbordent dans les immense grues.

– Je creuse la terre pendant des heures me dit Benchouilla, la voix lourde.

– Combien gagnez-vous ?

– 74 francs de l’heure.

– Et au pays ?

– Quand le caïd donnait du travail, je gagnais 25 francs de l’heure, ce qui me faisait 200 francs par jour. Dans le département de Constantine, la vie est presque aussi chère qu’ici. En plus, il fallait payer les impôts.

– A combien s’élevaient-ils ?

– Pour avoir travaillé 15 jours le caïd m’a réclamé 250 francs par personne vivant avec moi. La vie était intenable. J’espérais qu’il en serait autrement ici. Hélas !

Ainsi, plus de 100.000 travailleurs Nord-Africains, qui résident actuellement dans le département de la Seine ont pris contact avec une dure réalité : la misère, l’exploitation éhontée, les mesures racistes vexatoires !

(A suivre).
Claudine INDUCTOR.


Une grande enquête de D. L. (3)

SLIMAN payé 4.000 fr. par mois pour dormir (sur un lit de camp) de minuit à six heures du matin

SLIMAN a quitté son village algérien, pour venir travailler en France, où l’on gagne, paraît-il, mille francs par jour. Mais la misère, le chômage l’attendent. Il a retrouvé Ali, un ami de son village, et tous deux déambulent de bureaux de placement en usines. Pas de débouchés …

– Tenez, voici une lettre de recommandation. Filez à Boulogne, Renault emploie des Algériens …

En effet, 3.000 Algériens travaillent à la Régie. Et chaque jour, des centaines d’autres viennent chercher de l’embauche. Il n’y a pas de place pour tout le monde. Seuls, dit-on, ceux qui peuvent se procurer une recommandation ou une carte du R.P.F. ont une chance d’être embauchés et ils paient parfois très cher (7.000 à 10.000 francs).

Ah, là là ! s’exclame le contremaître. Et naturellement, vous ne savez rien faire ?

– Nous sommes prêts à faire n’importe quoi.

Bon, conclut le contremaître, vous serez démouleurs.

C’est à l’atelier 62, que les Algériens surnomment « le camp d’extermination », que Sliman et Ali travaillent au démoulage des pièces de fonderie. Un des coins les plus pénibles, sans aération, l’atmosphère y est irrespirable. Torses nus, par 65° de chaleur, dans un hangar de 10 m. de large, hermétiquement fermé, ils dégraissent les voitures à l’acide. Les plus résistants ne peuvent pas y rester plus de quatre mois et doivent être mutés dans un autre atelier.

Sliman et Ali ont payé bien cher le droit de se faire exploiter. Et quelle exploitation !

Parmi la grande famille des 110.000 Nord-Africains de la région parisienne, Sliman et Ali entrent désormais dans le groupe des 55.000 qui ont du boulot.

Sous un pont …

Ils avaient dû quitter la chambre qu’ils partageaient avec six de leurs compatriotes dans un hôtel de Saint-Denis et se résigner à aller coucher sous un pont.

Payer 4.000 francs par mois pour dormir de minuit à 6 heures du matin, sur un petit lit de camp, ce n’était plus possible.

Les logeurs ont mis au point de véritables roulements : lorsqu’un part au travail, un autre rentre et se couche dans son lit. Ainsi, les lits ne refroidissent jamais et le profit est doublé. Ce système, rapporte aux hôteliers 25 à 30.000 francs par mois.

Sous le pont de Saint-Ouen, ce n’est pas bien joli, mais le loyer n’est pas trop cher.

– Comment, il faut encore payer ?

Bien sûr, il y a un type qui loue ça 500 francs par mois.

Et une trentaine d’Algériens vivent là. Les voûtes du pont forment le plafond, des planches, clouées de ci de là, les murs, et une couverture constitue la porte.

Que ce soit pour habiter dans une écurie désaffectée, dans un bidonville de la banlieue ou dans un de ces « hôtels », où ils couchent à 4 ou à 6 dans la même chambre, à même le sol, il faut toujours payer très cher.

Entrez donc, me dit Ben Ralah, venez voir comment nous vivons.

Mes yeux ne peuvent en revenir. Que des humains habitent dans un tel taudis, c’est incroyable. Et pourtant.

Elle n’y est pour rien …

Dans une lamentable baraque en bois, qui a bien trois mètres de large et cinq mètres de long, la « pièce » sert en même temps de cuisine, de chambre. Dans un coin, on a monté un fourneau, dans un autre on loge du charbon.

Mutilé de guerre, depuis bientôt un an, Ben Ralah n’a plus de travail.

La vie est aussi dure qu’au pays. Voyez cette paillasse : mes trois enfants dorment dessus.

Pour la location, on exige de cette famille 1.200 francs par mois, et on ne discute jamais réparations, bien entendu.

De l’autre côté de ce ghetto de Nanterre, sur une longueur d’environ 700 mètres, s’alignent de vieilles roulottes désaffectées, chacune d’elle comprend trois lits de camp loués 700 francs chacun.

Continuant ma promenade à travers le camp, je rencontre une jolie petite fille, toute frisée, portant un filet à provisions dans sa petite menotte. Je m’approche d’elle :

– Où vas-tu comme ça ?

Acheter des pommes de terre et du lait chez le marchand, là-bas.

– Et ton papa, où est-il ?

Il est parti ce matin de très bonne heure. Il est allé chercher du travail pour rapporter des gros sous à ma maman. Tu sais, elle n’en a plus.

Cet enfant n’a pas demandé à venir en France. Mais maintenant qu’il y est, le laissera-t-on, l’estomac vide, exposé aux maladies contagieuses ? Nous n’avons pas choisi le cas Sliman, de Ben Ralah ou de cette petite fille.

Au hasard, nous sommes rentrés dans une baraque, avons discuté, regardé et c’est tout.

Vous serez logés, vous aurez du travail, leur avait-on dit au départ.

Eh bien oui, ils sont logés … , ils ont du travail …

(A suivre).
Claudine INDUCTOR.


En France, ils retrouvent le racisme et la misère (4)

SLIMAN n’a pas encore pu envoyer d’argent à sa femme

ATTIRE par le mirage, l’Algérien vend la terre, la maison, et s’en va en France grossir le nombre de ses frères malheureux. Les premiers contacts avec la réalité sont décevants : la misère, encore et toujours …

Sliman, ce soir-là, se dit que tout ne tourne pas pour le mieux, ni pour le bien des Nord-Africains dans le monde des « illusions ».

Les pièces de fonderie, l’acide, les carrosseries furent les choses essentielles de sa vie pendant des semaines et des semaines.

– Tu as envoyé de l’argent à ta femme ?

– Pas encore : Impossible avant que j’aie remboursé toutes mes dettes.

As-tu des nouvelles ?

– Oui. Elle n’a plus un sou, plus de quoi nourrir le gosse, et l’Administration la harcèle à tout instant avec de nouveaux impôts.

Et les allocations pour le petit ?

– Les allocations, ça prend du temps, je compte dessus pour les lui envoyer. Mais il en faut, des papiers.

Sliman a dû faire appel à un écriturier pour rédiger une lettre à sa femme qui, à son tour, en cherchera un autre pour la faire lire, fera des kilomètres à pied et d’interminables queues pour obtenir les pièces demandées.

Une fois le dossier constitué, les allocations sont transmises à la Caisse algérienne qui se charge de leur répartition. Ce processus prend, suivant le cas, six mois, un an ou quelquefois plus. Et lorsque la femme est payée, sur la base du système algérien, elle perçoit des sommes bien inférieures à celles attribuées aux travailleurs français.

Prenons exemple de deux travailleurs de la région parisienne, l’un Français, l’autre Algérien, travaillant tous les deux dans la même entreprise, ayant chacun quatre enfants.

Tandis que la famille de l’ouvrier français perçoit 12.250 francs, celle de l’Algérien, demeurée en Algérie, ne reçoit que 7.500 francs. En outre, pour la famille du travailleur algérien, il n’y a aucune prime de salaire unique, aucune allocation prénatale, aucune prime de maternité, pas d’allocation-maladie, aucun remboursement sur les soins médicaux.

Cependant, les mêmes cotisations sont payées.

Deux travailleurs algériens à Paris

Future brimade ?

Des milliards sont ainsi volés aux travailleurs algériens.

Et, pour compliquer encore les choses qui le sont pourtant suffisamment, avant le 31 décembre, tous les travailleurs algériens doivent se faire recenser dans les mairies, sous peine de suppression des allocations familiales.

A cet effet, des feuilles sont distribuées dans les entreprises et usines, à l’intention de ces travailleurs dont 80 pour cent ne savent pas lire.

– Qu’est-ce que cela veut dire ?… Pourquoi se faire inscrire ?… Qu’est-ce qu’il faut comme papiers ?…

Autant de questions posées par les Algériens. On se demande en effet pourquoi …

Ce qui est certain, c’est qu’un grand nombre d’entre eux n’entendront jamais parler de cette circulaire et, un jour, sans savoir ni pourquoi ni comment, on leur supprimera les allocations.

On profite largement de l’ignorance dans laquelle un régime colonialiste les a sciemment laissés pour les rouler sur toutes les coutures.

Sliman est au bout du rouleau et le sent. Il tousse, tousse sans arrêt.

– Le travail à l’usine me tue. Il fait froid et je n’ai pas d’argent pour me procurer des vêtements chauds. Et dire que ma femme, au pays, est aussi malheureuse que moi.

Combien de travailleurs algériens n’ont pu revoir leur beau pays ! Ils sont morts ensevelis dans une terre inconnue où tant de jeunes compatriotes ont versé leur sang dans les différentes guerres. Et cela, bien souvent, après avoir été victimes de mesures discriminatoires.

Récemment, un Algérien Mohamed Haddad, atteint de tuberculose pulmonaire très grave, a été mis à la porte du sanatorium de Brévannes « pour mesure disciplinaire ». Quelques jours plus tard, le malheureux tombait dans la rue et a dû être transporté à l’hôpital Lariboisière dans un service de médecine.

« Ici, dans ce service, me dit-il, je me vois périr, mais je ne voudrais pas mourir en vain. »

Au centre de post-cure de Fontainebleau, la direction n’accepte plus de Nord-Africains sous le fallacieux prétexte qu’un d’entre eux s’est battu …

Sliman, en sortant de l’hôpital, avant de partir pour le sana, s’est rendu au cimetière franco-musulman de Bobigny. Des tombes blanches, bien alignées, sans aucune fleur, portent une simple inscription : Mohamed … Saïd … Ali … , emplissent des allées et des allées.

Mais Sliman n’a pas pleuré en se recueillant sur la tombe de son compatriote.

Bien au contraire, il a serré les poings, relevé la tête. Il a senti qu’une voix l’appelait à lutter, avec tout le peuple, pour obtenir le droit à une vie digne.

(A suivre).
Claudine INDUCTOR.


Une grande enquête de D. L.

La conspiration raciste contre le bouc-émissaire algérien

VICTIMES d’un rêve qui ne devient que bien rarement réalité, les Algériens ne retrouvent pas seulement la misère en France, mais aussi le racisme. La grande presse a attiré l’attention sur les « Nord-Africains », il y a quelque temps. Mais ce n’est pas sur la situation pénible dans laquelle ils se débattent qu’elle a mis l’accent. Une campagne soigneusement orchestrée les rend – comme le baudet de la table – responsables de tous les maux, agressions, vols et autres actes de gangstérisme.

L’Epoque du 5 octobre 1949 : « Pour enrayer l’invasion de Paris par les Nord-Africains indésirables. » Le Figaro du 13 septembre 1949 : « Agressions et vols, les Nord-Africains continuent leurs exploits. » Le Populaire du 19 septembre 1949 : « Il semble que les jeunes voyous et les Nord-Africains se soient donné le mot pour battre leurs propres records. » On pourrait multiplier les citations.

Ainsi, sous le fallacieux prétexte qu’il y a aussi quelques Arabes qui volent et dévalisent les passants attardés, d’aucuns ont préconisé le rétablissement de l’ancienne brigade nord-africaine.

Ce n’est pas par des « polices spéciales » que sera résolu le problème des Nord-Africains, mais par un juste emploi.

Brimades et injustices

Pour ne pas mourir de faim, des Algériens ont recours aux métiers ambulants. Certains vendent des fruits dans de petites voitures de marchand des quatre-saisons. D’autres – mais ils deviennent rares – déambulent à la devanture des cafés avec des étalages de tapis. Là encore, les brimades les poursuivent.

Récemment, place Maubert, un vieux marchand de tapis tentait d’intéresser à sa marchandise les clients assis à une terrasse de café, lorsque le patron de l’établissement, un raciste, le chasse d’une façon brutale :

Allez, décampe ! ta place n’est pas ici !

Voyez, me dit ce brave homme, le patron me renvoie comme un chien. Je ne demande qu’une chose : la tranquillité pour gagner ma vie. J’ai neuf enfants. Ils sont en Kabylie, comment faire pour les nourrir ? Ce patron me dit que ma place n’est pas ici. Mais si nous avions des usines en Algérie, si nous trouvions à gagner notre pain là-bas, nous ne délaisserions pas nos enfants pour venir faire ce travail de misère.

Qu’on nous laisse travailler en paix. Le commissariat de police s’acharne sur nous. Il nous garde des 10 et 20 heures an poste chaque fois qu’il le peut. Et, par-dessus le marché, il nous confisque notre marchandise.

Brimades, coups et injustices ne sont pas épargnés à ces paisibles travailleurs.

Et pourtant, dans la lutte contre les racistes hitlériens, les Algériens ne furent pas les derniers.

Sous l’occupation, nombreux furent ceux qui se joignirent aux F.F.I. Ils prirent une part active à toutes les manifestations qui préparèrent l’insurrection parisienne. Leurs faits d’armes sont nombreux. C’est le lieutenant F.F.I. Abd-el-Kader, d’Oran, qui tua, boulevard de la Gare, trois Allemands et en fit deux prisonniers. C’est le lieutenant F.F.I. de 20 ans, Amouche, de Sétif, qui, après six citations gagnées dans les F.T.P., en reçut une autre du maire de Montrouge pour avoir fait à lui seul sept prisonniers allemands.

Nous pourrions citer bien d’autres exemples.

Nombreux furent ceux qui payèrent de leur vie leurs actes héroïques. Tels ces quatre Algériens tombés boulevard Diderot en donnant l’assaut à la gare de Lyon occupée par les Allemands.

Nombre de ces combattants de la liberté d’hier sont aujourd’hui enfermés dans les prisons d’Algérie et de France ou d’aucuns essaient de reprendre en main le drapeau du racisme et de l’oppression que brandissait Hitler.

En plein cœur de Paris, un dimanche après-midi, on se croyait revenu au temps des S.S.

– Allez, suis-moi, « sale bicot » !

– Mais, je n’ai rien fait ; je me promène …

– On s’en fout, monte là-dedans.

Ainsi, plus de 1.000 Algériens ont été arrêtés et embarqués en plein sur les boulevards. Ils avaient, selon les policiers, le « type algérien ».

A quoi étaient dues ces injustifiables opérations racistes ?

Des Algériens étaient venus manifester devant l’immeuble de la S.N.E.P., rue Réaumur, pour réclamer la levée des mesures qui empêchent la parution du journal L’Algérie Libre. On ne s’est pas contenté d’empêcher la manifestation. La police s’est livrée pendant tout l’après-midi à des provocations racistes.

Et chaque jour se renouvellent les arrestations, les provocations et brutalités à l’égard des travailleurs algériens.

Claudine INDUCTOR


L’enquête de D. L. sur les Algériens…

… pour redoubler d’ardeur au combat

PRES d’un demi-million de Nord-Africains, chassés de leurs pays respectifs par la faim, la misère et le racisme, sont venus chercher du travail dans la métropole. Croyant aux fabuleuses promesses, dès qu’ils arrivent sur le sol de France, c’est pour chacun d’eux un désenchantement. L’exploitation continue.

A un régime particulier dicté par des considérations raciales viennent s’ajouter les campagnes anticonstitutionnelles, ayant pour but d’essayer de dresser la population contre ces paisibles travailleurs, afin que soient prises à leur égard des mesures discriminatoires aggravées.

Mais, bien au contraire, les travailleurs français ont de l’amour pour leurs camarades algériens. Et les Algériens le savent.

Contre la surexploitation …

Dans la campagne de signatures pour l’appel de Stockholm, ils n’ont pas été les derniers. Le jeune Zebbar Mustapha a fait signer, à lui seul, 1.620 de ses compatriotes, mineurs à Firminy. En grand nombre, ils ont participé à la préparation des Assises de la Paix. Ils étaient présents à Aix-en-Provence, dans le Nord, la Loire, et à la grande assemblée de la Porte de Versailles

Plus récemment encore, c’est dans l’union la plus large que s’est tenue, sous l’égide de la Confédération Générale du Travail, avec l’appui du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques, une conférence où les 100.000 travailleurs algériens, tunisiens et marocains de la région parisienne ont affirmé, par la voix de leurs 988 délégués, leur volonté de tutter contre la surexploitation dont ils sont victimes.

« La nécessité de la lutte, nous n’avons pas besoin qu’on nous la démontre, devait s’écrier un jeune délégué sous les applaudissements : chacun de nous n’a qu’à penser à sa situation personnelle pour redoubler d’ardeur au combat. »

Et combien étaient vigoureux les applaudissements des délégués quand l’un d’eux s’est écrié :

« Nous ne voulons pas de casernes, mais des écoles, des hôpitaux, des dispensaires pour notre peuple. »

Impossible de tout dire

Cette conférence s’est fixée pour but d’étudier les moyens de faire triompher les revendications matérielles particulières de ces travailleurs, et notamment :

  • le salaire égal à travail égal ;
  • l’indemnité de chômage à 250 francs par jour et frais de transport à tous les sans-travail ;
  • le paiement des allocations familiales au même taux que les travailleurs français et payées directement aux familles par les Caisses françaises, sans passer par les Caisses locales d’Algérie ;
  • la construction de logements et de foyers aux frais du patronat et des pouvoirs publics ;
  • le droit, en cas de maladie, de bénéficier, comme les travailleurs français, d’une convalescence, avec voyage aller et retour en Afrique du Nord ;
  • le cumul de deux années de congés payés et paiement de 50 % du voyage aller et retour en Afrique du Nord, avec garantie d’emploi au retour ;
  • reconnaissance de la légalité des fêtes musulmanes comme jour férié payé ;
  • et enfin, ouverture de centres de formation professionnelle aux travailleurs nord-africains, et création de cours du soir pour analphabètes.

J’ai écrit cinq articles dans les quels j’ai essayé de montrer comment ils se battent avec la vie. J’ai vu le marché d’esclaves, l’usine camp de concentration, l’asile et le taudis où rodent la mort lente et la mort brutale. Je ne peux tout vous raconter, il me faudrait des semaines et des semaines. Il y a tellement de choses à dire !

Le moment est venu d’écrire le mot

FIN

Mais si mon reportage se termine aujourd’hui, l’histoire de la misère des Algériens en France ne s’achèvera que lorsqu’on leur donnera les moyens de vivre une vie digne dans un monde de paix.