Article paru dans Rouge, n° 293, 28 mars 1975, p. 4

Mohammed Laïd Moussa est mort. Abattu chez des amis par un tueur professionnel dans la nuit du 18 au 19 mars à Marseille, le jeune algérien n’a pas repris conscience. Un nom de plus sur la liste des victimes des ratonnades en France, « terre de liberté ». Mohammed Laïd « exécuté à l’OAS », froidement, contre un mur. A ajouter au palmarès de tous les Dupont lajoies, de tous ceux qui ne peuvent entrevoir une peau brune ou des cheveux longs sans loucher vers un fusil de chasse.
Mohammed Laïd venait de sortir de la prison des Baumettes, condamné à un an de prison pour homicide involontaire.
MOHAMMED LAID MOUSSA, NOTRE FRERE…
Instituteur en Algérie, Mohammed Laïd était venu en France pour y poursuivre ses études. Comme tant de travailleurs immigrés, séjournant dans la région marseillaise, il se retrouva à Fos-sur-Mer en tant que manœuvre.
Un soir, alors qu’il tentait de dormir, ses voisins font hurler l’électrophone.
Epuisé, il monte leur demander de faire moins de bruit. Il est accueilli à coups de poings et da pieds. Affolé, Mohammed Laïd sort un opinel et frappe au hasard. Un jeune homme est touché mortellement.
Transféré aux Baumettes ses premiers jours d’incarcération sont un enfer. Ses co-détenus le maltraitent, lui faisant bien sentir qu’il n’est pire crime « qu’un raton qui tue un blanc ».
Aux Assises devant lesquelles, il comparaît, un an après, chacun s’accorde à reconnaître sa douceur et sa gentillesse. Le Jury va le condamner à une peine couvrant son temps de détention. Mohammed Laïd est donc libre.
Aux yeux de la « société » il est « blanchi ». « Il a payé sa dette »
Mohammed Laïd Moussa avait grand, durant la guerre d’indépendance. Comme tant des siens, il croyait révolu les temps où à Oran, à Alger, les Européens abattaient les « melons » comme on prend un petit déjeuner.
Ses amis le conjurent de repartir pour l’Algérie. A Marseille sa sécurité n ‘est pas assurée. Il refuse, le soir du 18 mars, il dîne chez des amis. Tard dans la soirée, on sonne à la porte. On ouvre. Un homme au visage recouvert d’une cagoule fait irruption. Il fait aligner les personnes présentes contre un mur et froidement tire sur Mohammed Laïd.
Sa détermination, sa connaissance des lieux démontrent que le tueur n’est pas un amateur. Il a fallu qu’il suive Mohammed durant des jours. Il n’a pas tenté de l’abattre dans la rue. Il a agi à la façon de l’OAS en 61 : pour impressionner et être sûr de tuer.
Mohammed Laïd est mort parce qu’il était algérien, comme sont morts des dizaines de travailleurs immigrés à Marseille pendant l’été 73. Abattus pour la couleur de leur peau.
Quelle réflexion inspire au ministre de l’Intérieur une telle atmosphère de pogrom « c’est la loi du talion ». Entendons pas là que Moussa ayant tué, il était dans l’ordre des choses qu’il le soit à son tour.
Comment s’étonner alors que les milices anti-jeunes, anti-arabes ne deviennent légions. A Sommedieu, un maire a décidé, tout de go, de créer une armée de « citoyens » afin de tirer sans sommation sur des jeunes qui viendraient chahuter. Ligues armées tombant sous le coup de la loi de 36 ? Pensez-donc ! Pour Poniatowski, cet état de choses est certes inacceptable, mais il n’est pas exclu d’envisager que les « bonnes gens » créent des groupes d’intervention « en attendant la venue de la police ». Dès lors, jeunes de 12 à 40 ans, immigrés, chevelus prenez garde car passé le couvre-feu, c’est une balle que vous risquez de prendre dans le corps. A quand l’état d’urgence, monsieur le prince ?
Moussa a été assassiné. Mais l’exemple vient de haut, la brigade anti-gang n’avait-elle pas « caressé le crâne » de deux avocats algériens au cours d’une descente dans un café parisien ?
Avec de tels encouragements, on peut s’attendre à ce que les Dupont Lajoie récidivent. Mohammed Laïd n’est pas le premier à mourir sous leurs balles, il risque da ne pas être le dernier. Mais alors, que les tueurs « citoyens » se disent qu’un jour il se peut que beaucoup en aient plus qu’assez d’être pris pour cibles, de voir les fusils tirer toujours dans le même sens. Car si aujourd’hui ces pères tranquilles de la gâchette s’entrainent sur certains, il n’est pas absurde de penser que demain, ils pourraient le faire sur la classe ouvrière tout entière. A charge du mouvement ouvrier de méditer les exemples de l’Allemagne nazie et du Chili. A celle de Ponia de réfléchir au fait que le mot « auto-défense » ouvrière pourrait bien l’un de ces jours trouver un répondant chez les travailleurs français unis à leurs frères immigrés.
POLICIERS ET RACISTES
Noisy-le-Sec dans la nuit du 25 au 26 mai 1972 : deux officiers de police adjoints et cinq gardiens de la paix se rendent dans un café-hôtel où logent des travailleurs immigrés. Ils ont des matraques et des nerfs-de-bœuf. Ils font irruption dans l’établissement et cognent. Puis ils pendent un Algérien à une poutre à l’aide de menottes. Ils enfoncent la porte des époux AYACHI. Le femme est jetée à terre et bourrée de coups. Dialogue de flics :
– Laisse tomber, elle est Italienne …
– Rien à foutre, c’est la femme d’un raton !
Précisons qu’au passage, ces valeureux défenseurs de la veuve et de l’orphelin fauchèrent d’importantes sommes d’argent. Histoire de se dédommager. L’affaire est arrivée devant le 16ème Chambre correctionnelle le 20 mars 75. Trois ans pour instruire des actes pourtant clairs.
« Le racisme de certains policiers sera puni avec la dernière sévérité » disait Poniatowski. Un bon exemple que celui de Noisy-le-Sec.
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