Editorial paru dans Lutte ouvrière, n° 262, semaine du 4 au 10 septembre 1973, p. 3

L’ASSASSINAT par un déséquilibré d’un traminot marseillais a fait surgir au grand jour le racisme latent qui existe aujourd’hui dans une partie de la population française, racisme qui s’est exprimé par la phrase, les écrits et les balles de revolver, des discours imbéciles sur les « étrangers qui ne sont pas comme nous » aux articles hystériques sur la « pègre algérienne » et aux assassinats aveugles de travailleurs nord-africains.
Ce racisme, nous le côtoyons tous les jours, dans la rue, au travail ou au café. Racisme imbécile, d’autant plus imbécile que ceux qui propagent ces idées d’un autre âge ne se rendent même pas compte que c’est aussi contre eux qu’ils travaillent. Racisme de certains petits commerçants juifs à qui le conflit du Moyen-Orient a fait oublier qu’ils seraient les premières victimes, toutes désignées, d’une montée du fascisme, comme ils l’ont été voici trente ans, et qui creusent allègrement leur tombe avec leur langue. Racisme de certains travailleurs inconscients qui oublient que l’utilisation politique du racisme a toujours consisté à faire trimer davantage les travailleurs, tous les travailleurs, à coups de triques, quelle que soit leur race ou leur nationalité, y compris ceux qui sont bêtement persuadés d’appartenir à une espèce supérieure.
Les seuls qui peuvent être des racistes conséquents sont ceux qui aspirent ouvertement à voir revenir le temps des camps de la mort et des fours crématoires, et à revêtir l’uniforme des bourreaux, SS et gestapistes en puissance. Les autres, tous les autres, qui ne sont « qu’un petit peu » racistes, ne sont que des imbéciles, mais de sinistres et dangereux imbéciles.
Mais, contre le danger mortel que représenterait une montée importante du racisme pour toute la classe ouvrière, les organisations ouvrières ne peuvent pas se contenter d’expliquer aux imbéciles en quoi réside leur imbécillité, ni de déclarations et de communiqués de protestation platonique. Le racisme doit se combattre, impitoyablement, tout comme son frère jumeau le fascisme.
Les assassins des travailleurs nord-africains, les crapules qui éprouvent une jouissance à assassiner lâchement, d’une voiture, la nuit, un Nord-Africain isolé, doivent rendre des comptes. Ceux qui, par leurs propos, encouragent et permettent ces actes ignobles en ont à rendre aussi. Ils n’en rendront peut-être pas aux tribunaux du pouvoir, de ce pouvoir qui laisse courir les assassins de travailleurs nord-africains et qui déploie ses forces policières contre les travailleurs immigres de Grasse … comme contre les travailleurs de Lip. L’Etat, la police, les tribunaux ne combattront pas le racisme, parce qu’ils sont là pour défendre une société qui sécrète tout naturellement le racisme et que les serviteurs de cet Etat savent que ce racisme leur est utile pour tromper la population, pour diviser les travailleurs, pour défendre les intérêts des classes possédantes.
C’est pourquoi les travailleurs conscients ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Mais les organisations ouvrières ont les moyens de mener la lutte, et elles doivent la mener. Les racistes ne sont qu’une infime minorité et doivent se sentir isolés. Tous ceux qui tiennent ouvertement des propos racistes, et à plus forte raison qui se livrent à des gestes hostiles vis-à-vis de travailleurs immigrés, doivent savoir que les organisations ouvrières ne peuvent avoir qu’une seule ligne de conduite face à ceux qui véhiculent la lèpre raciste : la mise au ban de l’opinion des travailleurs, voire s’il le faut l’anéantissement.
Car, consciemment ou inconsciemment, tous ceux qui, directement ou indirectement, participent aux pogromes contre les travailleurs, immigrés, ou s’y associent par des propos imbéciles, posent les premières bornes d’une route qui conduit tout droit aux camps de concentration. Et cela, aucun travailleur ne peut l’admettre, ne peut le laisser faire sans réagir. S’il l’admettait, s’il le laissait faire, il approuverait son propre esclavage.
Quand les syndicats cautionnent le racisme
TOUTES les organisations syndicales des traminots de Marseille, CGT, CFDT, FO et autonome, ont appelé à la grève des autobus et des trolleybus le 28 août, jour de l’enterrement du traminot assassiné par un Algérien, et ont pris place officiellement dans le cortège. Selon elles, il s’agissait par cette prise de position publique de « manifester l’amitié qu’elles portaient au disparu, mais aussi de protester contre les conditions d’insécurité dans lesquelles travaillaient les traminots marseillais ». D’ailleurs, les organisations syndicales ont demandé que soient augmentés les effectifs et qu’en particulier chaque chauffeur soit assisté d’un receveur à partir de 21 heures. En résumé, ce que réclament les syndicats pour assurer la sécurité des employés, c’est une augmentation des effectifs qui déchargerait le chauffeur de l’obligation de s’occuper à la fois de la conduite, de la vente des billets et du contrôle.
Il est vrai que le manque de personnel, aussi sensible d’ailleurs dans l’agglomération parisienne où les conducteurs de bus se trouvent dans la même situation que les traminots marseillais, met en cause la sécurité des employés et aussi celle des usagers ; et, de la part des syndicats, réclamer une augmentation de nombre des effectifs est une revendication légitime qui va dans le sens des intérêts des employés et des usagers des transports en commun marseillais.
Les organisations syndicales réclament aussi plus de policiers.
Mais on voit mal comment une multiplication de la flicaille, que réclament aussi les syndicats, pourrait améliorer les conditions de sécurité dans le travail des traminots ! Comme si les actes de délinquance étaient plus nombreux dans les autobus et les trolleys ou dans les transports en commun parisiens que dans n’importe quel autre lieu ! Comme si l’augmentation du nombre de flics permettait de lutter contre la délinquance ! Il n’y a jamais eu autant de crimes dont on ignore les coupables à Paris et dans la région parisienne et pourtant le flic y fleurit à chaque coin de rue !
Mais, surtout, ce qui est beaucoup plus grave dans l’attitude des organisations syndicales, c’est qu’elles n’ont rien fait pour se démarquer dans les faits des organisations fascistes et racistes qui ont exploité ce fait divers pour mener une campagne raciste des plus répugnantes, en s’appuyant sur les sentiments les plus bas de la population. Par cette attitude ambiguë, les organisations syndicales n’ont pas fait autre chose que de se laisser porter par le torrent de chauvinisme et de racisme que ce fait divers faisait renaître dans la population, et cela montre bien à quel point elles sont elles-mêmes gangrenées par le racisme.
Cette attitude est indigne d’organisations ouvrières dignes de ce nom, dont la préoccupation doit être la défense de la classe ouvrière tout entière, quelle que soit la couleur de sa peau.
Sylvie FREJUS.
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