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Les racistes font la guerre aux travailleurs : la classe ouvrière doit anéantir cette vermine

Editorial paru dans Lutte ouvrière, n° 277, semaine du 18 au 24 décembre 1979, p. 3

QUATRE morts, seize blessés, dont plusieurs seront définitivement mutilés : tel est le sombre bilan de l’attentat contre le consulat d’Algérie à Marseille.

Quels que soient les calculs politiques de ses auteurs et de ses inspirateurs, cet attentat, des plus ignobles et des plus lâches, parce qu’aveugle, parce que destiné à frapper des Algériens, n’importe lesquels, simplement parce qu’Algériens, est l’œuvre directe du racisme. Qui peut en douter, à part les pouvoirs publics français, dont la scandaleuse passivité devant chaque crime raciste – la police n’a pas trouvé un seul des assassins d’une douzaine d’Algériens tués durant l’été dernier – est elle-même le premier encouragement à tous les tueurs racistes ?

Les morts, les blessés de Marseille sont tous des travailleurs, comme l’étaient tous ceux qui ont été abattus lors de la vague d’attentats racistes de l’été. Ce n’est pas un hasard. C’est plus qu’un symbole. C’est que le racisme est dirigé contre les travailleurs, tous les travailleurs, quelles que soient leur race ou leur nationalité, qu’ils soient Français ou immigrés.

Le but ultime des tueurs, comme de ceux qui les commandent et de ceux qui les protègent, dans la police ou ailleurs, est bien clair. Il s’agit, en spéculant sur les préjugés les plus imbéciles, de diviser toute la population laborieuse, de désigner aux travailleurs français un bouc émissaire en la personne de leurs camarades immigrés, de dresser une fraction de la classe ouvrière contre une autre, de diviser pour mieux régner.

Les hommes politiques français, de droite ou d’extrême-droite, qui inspirent la campagne raciste, ceux qui la laissent faire en espérant en tirer parti, tous ceux-là sont prêts à armer les tueurs ou à fermer les yeux devant les agissements de ceux-ci, n’ont d’ailleurs pour ennemis arabes que les seuls travailleurs. Si demain les intérêts qu’ils défendent, ceux de la bourgeoisie française, l’exigent, ces mêmes hommes politiques seront prêts à s’entendre avec Boumediene, Bourguiba, le roi du Maroc ou celui de l’Arabie Saoudite, avec n’importe quel dictateur ou féodal arabe.

Malheur aux travailleurs français qui se laisseraient abuser ! Malheur à ceux qui, en adoptant une attitude raciste ou en colportant des propos racistes, encourageraient les assassins ! Malheur même à ceux qui, tout en désapprouvant le racisme, le laisseraient agir et ne s’y opposeraient pas activement ! Par là, en tombant dans les préjugés les plus vils et les plus stupides, ou en restant passifs devant ceux-ci, c’est à eux-mêmes qu’ils porteraient des coups.

Le racisme doit être combattu à tous moments, en tous lieux, partout où il ose se montrer, mais d’abord dans nos propres rangs à nous, travailleurs. Nous ne devons tolérer aucun propos raciste ni dans la bouche de notre voisin de palier, ni dans celle de l’épicier du coin, mais encore moins dans l’atelier ou dans le bureau.

En attendant, les tueurs racistes de Marseille, leurs inspirateurs et leurs protecteurs doivent savoir que les travailleurs refusent de se laisser diviser entre Français et immigrés. Ils doivent savoir que c’est à l’ensemble de la classe ouvrière, unanime, qu’ils se heurteront et qu’ils auront affaire, puisque c’est à elle qu’ils s’attaquent en réalité.

C’est pourquoi nous devons participer massivement à toutes les actions de protestation qui peuvent avoir lieu dès ce lundi contre l’ignoble attentat de Marseille, quelles qu’elles soient, grèves, rassemblements, meetings, manifestations, à l’appel des organisations politiques de gauche ou des syndicats qui pourraient et qui devraient en prendre l’initiative.

Face aux racistes d’extrême-droite, la riposte unie de la classe ouvrière s’impose.


A Marseille, des milliers de manifestants protestent contre ce crime odieux

VENDREDI à 11 heures, a eu lieu un attentat odieux au consulat d’Algérie à Marseille. Une charge très forte de plastic (certains disent 10 kilos) a été déposée dans le hall où de nombreux Algériens attendaient pour diverses démarches administratives. L’explosion de la charge a fait quatre morts, quatre blessés graves (certains ont été amputés d’une jambe, l’un a été amputé des deux). Il y a eu en outre une vingtaine de blessés plus ou moins atteints.

Cet attentat supposait une grande préparation. La méthode employée rappelle les méthodes de l’OAS. On se pose également des questions sur le fait que le consulat n’était plus gardé depuis plusieurs semaines alors qu’il y avait auparavant un car de police en permanence. Cela est d’autant plus curieux que les menaces de mort reçues au consulat étaient fréquentes et nombreuses.

Les criminels racistes qui ont perpétré cet attentat ont agi de façon délibérée en voulant tuer le maximum d’Algériens : l’heure choisie et le poids de la charge sont probants.

L’organisation d’extrême-droite qui revendique cet ignoble attentat porte le nom significatif de « Charles Martel », ce qui veut dire (et leur acte l’a prouvé) que leur but est d’assassiner et de terroriser les travailleurs algériens en France.

Mais la riposte a été vive et immédiate.

L’annonce de l’explosion a soulevé une vive émotion dans la ville, notamment dans la population algérienne.

Tout l’après-midi de vendredi, il y eut des Algériens massés devant le consulat. Dans quelques chantiers, les travailleurs arabes, dès qu’ils connurent la nouvelle de l’attentat, cessèrent le travail.

Ce fut aussi le cas sur le port dans un certain nombre de compagnies, où les dockers algériens furent parfois suivis par leurs camarades français : ensemble ils cessèrent une heure le travail.

Pendant ce temps, la CGT du port se contentait d’appeler « tous les travailleurs du port à être vigilants et à déjouer toutes provocations et manœuvres de division ».

D’autre part, une manifestation de deux cents étudiants eut lieu vendredi après-midi à Marseille, une autre à Aix en regroupait cinq cents.

Samedi dès 14 heures, à l’appel de l’Amicale des Algériens, deux mille Algériens se regroupaient en silence devant le consulat.

A 16 h 30, une manifestation se déroulait à Marseille à l’appel de nombreuses organisations dont le MTA, Lutte Ouvrière, Rouge, Révolution, l’UCF, Témoignage Chrétien, la CIMADE, le Comité de soutien aux travailleurs immigrés, les Comités anti-racistes, la Gauche Révolutionnaire, l’Humanité Rouge, etc. Elle regroupait mille cinq cents personnes environ, dont plus d’un tiers de travailleurs arabes. Conduites par les familles des victimes, elle descendit la Cannebière puis remonta à travers le quartier arabe jusqu’à la place d’Aix. Elle se déroula sans incident, la police s’étant limitée à protéger le journal raciste Le Méridional qu’elle pensait menacé.

La manifestation dense et résolue affirmait sa volonté de ne pas tolérer le racisme :

A bas le racisme qui divise les travailleurs ;

Français immigrés, une même classe ouvrière ;

Français immigrés, mêmes patrons, même combat ;

– Méridional, journal raciste, assassin ;

Ils ont encore assassiné, racistes, fascistes, assassins.

La manifestation se dispersa, place d’Aix, après qu’ils ont été demander aux manifestants d’être présents dimanche à la levée des corps des victimes.

Le dimanche, c’est une manifestation de plus de dix mille personnes qui a traversé dimanche la moitié de la ville et accompagné les corps des victimes à l’aéroport. Elle était essentiellement formée de travailleurs algériens, venus de Marseille et de nombreuses autres villes. Parmi les Français, assez peu nombreux, on comptait surtout des étudiants.

La manifestation était précédée des voitures transportant les corps des victimes qui devaient être ramenés par avion, en Algérie. Elle s’arrêta à l’entrée de l’autoroute qui conduit à l’aéroport. A la fin de la manifestation, les représentants de plusieurs organisations prirent la parole et un appel à la grève générale pour lundi fut lancé pour tous les travailleurs arabes par plusieurs organisations, dont le MTA.

Cette puissante manifestation reflète la volonté des travailleurs, arabes en particulier, de mettre un terme aux exactions racistes.

Correspondant L.O.