Article de Raymond Guilloré paru dans La Révolution prolétarienne, n° 598, novembre 1973, p. 22-23

Voici un gros ouvrage qui, de 1930 à 1960, retrace l’agonie du colonialisme français. Pendant toutes ces années, l’auteur a été un militant de l’action de solidarité et de soutien qui, partant de la métropole, appuyait les divers mouvements qui devaient aboutir à la libération des colonisés. Une libération en tant que colonisés seulement, la libération en tant que travailleur et en tant qu’homme restant à accomplir, dans les pays nouvellement indépendants, comme dans les pays anciennement colonisateurs. L’auteur ne se fait pas d’illusions sur ce point.
Toute la deuxième partie de son ouvrage reprend les nombreux articles qu’il a écrits, pendant plus d’une quart de siècle, dans différents journaux et revues de la gauche et de l’extrême-gauche. Il nous plaît d’y retrouver plusieurs articles parus dans « la Révolution Prolétarienne ».
La première partie, c’est l’histoire de la lutte anti-impérialiste dans les anciennes colonies avec leur répercussion en France. La plus grande place est évidemment donnée à l’insurrection algérienne, à la répression bornée, cruelle et inefficace des gouvernements français, à l’attitude des intellectuels de gauche et, au-delà ou en deçà du mouvement ouvrier et socialiste dans la métropole.
Toute cette lecture est passionnante. L’intérêt ne faiblit pas pour tous ceux qui ont vécu ces années terribles. Nous y retrouvons des hommes que nous avons connus, des événements auxquels nous avons pris part et qui nous semblaient déjà lointains. On peut considérer cette première partie comme une histoire de la guerre d’Algérie vue d’Alger et de Paris. Rappelons-nous qu’elle a duré huit ans dont la moitié est à inscrire au passif du gouvernement de Gaulle, né au forum d’Alger pour l’Algérie française… pour finir par contresigner l’indépendance, après un passage par l’autodétermination. Pour ceux qui feraient encore du général de Gaulle le prétendu champion de l’anticolonialisme, il est bon que Daniel Guérin rappelle qu’en l’été 1961 encore de Gaulle faisait tirer, à Bizerte, sur les manifestants, en tuant plus de six cents.
Daniel Guérin donne une grande place à ce qu’il appelle la lutte fratricide F.L.N.-M.N.A. Beaucoup de lecteurs-militants de « la R.P. » seront sensibles à cette évocation. Pour eux, comme pour Daniel Guérin et pour l’histoire, Messali avait été le fondateur du mouvement d’indépendance algérienne. Ils ne pouvaient l’oublier, même si divers événements, scissions et exclusions incompréhensibles devaient montrer que le vieux leader tombait dans « le culte de la personnalité ». Ce fut une guerre civile à l’intérieur de la guerre anticolonialiste, aussi impitoyable. Des jeunes hommes que nous avons connus y ont laissé leur peau. Nous ne pouvons y penser sans émotion. Daniel Guérin, bien qu’ayant toujours préconisé une réconciliation des deux mouvements – d’ailleurs en vain – conserve, on le sent, beaucoup d’estime pour Messali, même si celui-ci a été assez dépassé par les événements pour qu’on n’en entende plus parler. L’histoire n’a peut-être pas dit son dernier mot. Nous avons connu depuis « l’Algérie caporalisée », comme l’écrit Daniel Guérin, le coup de force de Boumediene contre Ben Bella, tant d’événements qui, après l’indépendance, placèrent des militants anticolonialistes comme Guérin « entre le marteau et l’enclume », selon sa propre expression.
Si l’Algérie, pour bien d’évidentes raisons, tient la plus grande place dans l’étude de Daniel Guérin, les autres mouvements d’émancipation ne sont pas oubliés, ceux d’Indochine et du Maroc notamment. Le dernier chapitre de cette première partie s’intitule : « Ce qu’il reste à faire ». Car, pour Daniel Guérin comme pour nous, l’indépendance est loin d’avoir tout résolu ; il reste dans le monde et en Europe même des pays à décoloniser. « L’avenir est à la vraie, à l’entière décolonisation, conclut l’auteur, elle dépend de la renaissance d’un internationalisme révolutionnaire. » En effet, il reste beaucoup à faire.
R. G.
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