Article d’Auguste Gallois paru dans Le Peuple, organe officiel de la Confédération générale du travail, vingt-sixième année, n° 119, nouvelle série, 23 novembre 1946, p. 5

NE aux Indes en 1903, George Orwell représente pour l’instant en Angleterre l’écrivain d’action du genre de Malraux. Dans une vie déjà longue et bien remplie, cet auteur fut tout à la fois voyageur, romancier, journaliste, critique littéraire et même combattant pendant la guerre civile espagnole.
Panaït Istrati, qui s’y connaissait en misère, présenta jadis, de ce romancier, un livre d’un réalisme cruel, « La Vache Enragée », dans lequel Orwell raconte sa vie de souffrance et de dénuement à Paris et à Londres.
Aujourd’hui, dans la « Tragédie birmane », nous sommes transportés au plus profond du mystère des végétations de la steppe épineuse, des bois de teck, d’hévéas ou de coprah. Un pays de feu rongé par la clarté plombée de la lumière ou dilué sous les trombes d’eau.
« Sa chaleur, nous dit Orwell, s’exhale de cette terre comme le souffle d’un four. Les fleurs lassantes à voir flambent dans une orgie de soleil sans remuer un seul pétale. »
A côté de ce cadre neuf pour nous, dont nous subissons la violence et l’éclat, le créateur nous introduit dans la vie étriquée, pleine d’intrigues, d’un petit village isolé, à quelques centaines de kilomètres de Mandalay. Défiance dans les relations, rivalités de prestige, jalousie de femmes, envie, soupçons, ombrage, pour tout, pour rien. Un monde d’une étroitesse d’esprit presque indiscernable tant elle est affligeante, le monde de coloniaux anglais, ce monde dont il dit :
« C’est l’éternel sentiment d’être des mouchards et des menteurs qui nous tourmente et nous conduit à nous justifier nuit et jour. C’est au fond pour moitié à cause de notre bestialité envers les indigènes. Nous, Anglais de l’Inde, pourrions être à peu près supportables, si seulement nous admettions sans fumisterie que nous sommes des voleurs et toujours des voleurs … ».
Plus loin, il écrit :
« Le fonctionnaire écrase le Birman sous ses pieds, tandis que l’homme d’affaires, lui, fouille les poches … »
En certains passages fort virulents, il n’hésite pas à condamner la colonisation :
« Nous n’avons jamais enseigné aux Hindous une seule méthode de commerce utile. Nous ne l’osons pas, effrayés par la compétition industrielle. Où sont maintenant les mousselines hindoues ? Nous avons même écrasé diverses industries … ».
Et puis, nous aurons pour parfaire cette fresque splendide, une marqueterie de notules et de petites scènes qui contribue à l’embellissement du tout.
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