Article paru dans L’Humanité, 12 mai 1945 ; suivi de « Les événements d’Algérie : Il est juste temps de réparer les erreurs criminelles », 13 mai 1945 ; « Pour mettre fin aux troubles en Algérie : Donner du pain et non des bombes ! Arrêter les vichystes ! », 15 mai 1945 ; « Après les graves événements d’Algérie : Un communiqué officiel qui n’apporte rien », 16 mai 1945.

Depuis dix mois, le journal communiste français « Liberté » d’Alger dénonce les méthodes employées en Algérie pour affamer les populations musulmanes. Il a fourni, en particulier, de terribles précisions sur la manière dont on maintient stocké le peu de vivres qui existe, en particulier les dattes et les figues, alors que la population est affamée.
Le journal « Liberté » dénonce dans cette attitude abominable la main des traîtres à la France, toujours installes au gouvernement général, entre autres celle de M. Berque, directeur des Affaires indigènes, et celle de M. Balensi, directeur des Affaires économiques, ainsi que la poignée de vichystes enrichis dans l’armement et l’approvisionnement des armées Rommel, les Borgeaud, les Abbo (celui qui a dit : « Alger n’est pas Paris »), les Froger, etc … Ouvertement, ils mettent tout en œuvre pour accentuer la famine en Afrique du Nord. En même temps, ils constituent ouvertement des groupes fortement organisés et possèdent d’énormes stocks d’armes et de munitions.
Au mois de mars dernier, Etienne Fajon, député de la Seine, revenant d’Algérie, a dénoncé à l’Assemblée consultative les préparatifs de la cinquième colonne en Algérie, faciles à discerner : susciter des révoltes de la faim des populations musulmanes ; en profiter pour écraser les éléments démocratiques de la population et, en conséquence, instaurer en Afrique du Nord une dictature militaire fasciste, versaillaise, qu’on pourrait diriger, le cas échéant, contre le peuple de France.
Depuis que sont connus en Algérie les résultats du premier tour des élections municipales, nous voyons se réaliser point par point la provocation préparée au Gouvernement général avec l’aide de quelques policiers de bas étage et, naturellement, de quelques éléments provocateurs au sein des populations algériennes.
En effet, une dépêche de l’A.F.P. annonce que des événements graves se déroulent à Sétif, département de Constantine. La population musulmane, complètement affamée, a été facilement poussée par quelques provocateurs bien connus de l’administration à des violences : on compte des morts.
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Apres les incidents sanglants du 1er mai à Alger et à Oran, voulus et préparés par des fonctionnaires français vichystes, les mêmes criminels qui ont trahi la France mettent en œuvre les mêmes méthodes que la Gestapo pour empêcher l’union entre les populations musulmanes et le peuple français et trouver prétexte à l’instauration d’une dictature séparatiste.
Le ministre de l’Intérieur, dont dépend l’Algérie, va-t-il continuer une telle politique anti-musulmane et anti-française ?
Voudra-t-on entendre la voix des communistes algériens, celle de la raison : dans l’intérêt de l’Algérie et dans l’intérêt de la France, châtier les traitres et les provocateurs et pratiquer à l’égard des populations musulmanes une politique d’humanité et de démocratie dans notre intérêt commun ?

Les événements d’Algérie
Il est juste temps de réparer les erreurs criminelles
Un communique du gouverneur général de l’Algérie, en date d’hier, sur les troubles de Sétif, Canrobert, Bougie, Philippeville, Blida, déclare entre autres :
« Des éléments d’inspirations et de méthodes hitlériennes se sont livrés à des agressions à main armée sur les populations qui fêtaient la victoire dans la ville de Sétif et dans les environs. La police maintient l’ordre et arrête les responsables. L’armée lui apporte son concours. Les autorités sont bien décidées à prendre toutes dispositions utiles pour réprimer toutes tentatives de désordre. »
De quelles dispositions utiles » s’agit-il ? Arrête-t-on les vrais coupables ?
« Alger Républicain » publiait le 27 février dernier, une importante résolution de la Conférence des représentants des Partis communistes algérien, tunisien et marocain, tenue le 27 février sous la présidence d’Etienne Fajon, membre du Bureau Politique du Parti Communiste Français.
Celle-ci déclarait :
« Cette conférence constate que les efforts des organisations ouvrières et démocratiques en vue de développer cette participation de l’Afrique du Nord au combat pour le triomphe de la démocratie, se heurtent au sabotage, aux menées provocatrices et aux manœuvres de division exercées par les complices de l’hitlérisme en Afrique du Nord : les Seigneurs de la terre, des mines, de la banque, les féodaux nord-africains et les hommes de Vichy placés trop souvent encore à certains postes de commande de la haute administration.
La conférence dénonce à ce sujet l’état de famine organisée dans la campagne nord-africaine, comme une tentative délibérée des éléments fascistes en vue de susciter des émeutes de la faim et des troubles qui pourraient dans leur esprit favoriser l’Allemagne hitlérienne, nuire à l’union des populations de l’Afrique du Nord avec le peuple de France, et justifier une répression sauvage et la suppression des premiers et récents progrès accomplis dans la voie de la démocratie.
Dans ces conditions, la conférence considère que la solution rapide du problème du ravitaillement et la satisfaction des légitimes revendications des populations nord-africaines sont indispensables pour assurer l’union de ces populations avec le peuple français et leur participation efficace à l’effort de guerre. »
Voici donc plus de trois mois que les dirigeants des Partis communistes nord-africains, – c’est-à-dire des seules organisations qui ont mené la lutte contre l’occupant hitlérien et les vichystes, – dénonçaient nettement la provocation qui se préparait. Tout s’est passé exactement comme l’avaient prévu les communistes nord-africains. Et voilà qu’aujourd’hui le gouvernement général rejette l’entière responsabilité des troubles, uniquement, sur des éléments musulmans. Qu’il y ait parmi eux quelques hitlériens, c’est d’autant plus évident que le chef pseudo-nationaliste tunisien Bourguiba était en Allemagne au moment de la capitulation hitlérienne et vient d’arriver dans un pays d’Afrique du Nord. Mais le nœud de la provocation vient du gouvernement général d’Algérie et des résidences du Maroc et de Tunisie. C’est là que se trouvent les affameurs des populations musulmanes. C’est de là que l’on oriente les provocateurs, des deux côtés, pour faire verser le sang. Le but recherché a été avoué, voici plus d’un an, par un dénommé Cerda, collaborateur notoire. Ne déclarait-il pas : « Alger n’est pas Paris », ce qu’il commentait ainsi :
« La libération de la France par l’effort de son peuple et son orientation démocratique nous amèneront à nous séparer d’elle. »
Et pour commencer, ces messieurs voudraient créer en Afrique du Nord un refuge et une base pour les fascistes traîtres à la France. Les mesures à prendre doivent être immédiates et rapides. Il en est trois urgentes :
1° Il faut immédiatement donner à manger aux affamés. Puisque le gouvernement provisoire a jugé utile de reprendre des relations « amicales » avec l’Argentine pro-fasciste, la première mesure est d’amener des bateaux de blé d’Argentine en Afrique du Nord :
2° Il faut destituer immédiatement les hauts fonctionnaires du gouvernement général de l’Algérie qui, volontairement ou par leur incapacité, ont été à la source des incidents du 1er mai à Alger et à Oran et des troubles de Sétif et autres lieux. Le premier à destituer est M. Berque, directeur des affaires musulmanes, et le deuxième est M. Balensi, directeur des affaires économiques, tous deux vichystes notoires ;
3° Il faut mettre hors d’état de nuire les traîtres, ceux qui ont ravitaillé les armées de Rommel, ceux qui ont accumulé en Algérie les mêmes crimes que leurs pareils en France et qui s’appellent : les Cent Seigneurs de la Terre, des Mines, de la Banque, et les autres collaborateurs comme les Borgeaud, les Cerda, les Abbo, tous inspirateurs de bandes fascistes armées.
Ainsi, seulement sera véritablement « rétabli l’ordre en Afrique du Nord », surtout si, conformément aux promesses faites, les libertés démocratiques élémentaires sont enfin établies en Algérie et si les élections municipales et cantonales permettent aux Français et aux Musulmans de débarquer traîtres et vichystes.

Pour mettre fin aux troubles en Algérie
Donner du pain et non des bombes !
Arrêter les vichystes !
Donner à manger aux affamés, arrêter immédiatement la poignée de grands propriétaires affameurs qui sont à la source des troubles, relever de leurs fonctions quelques hauts fonctionnaires vichystes, annoncer sans nouveaux délais la date des élections municipales et cantonales. Voilà les premières mesures à prendre d’extrême urgence, les seules qui puissent « rétablir l’ordre en Algérie », et voilà ce que déclarèrent vendredi les communistes algériens au gouverneur général.
Il y a trois semaines en effet, le dénommé ABBO, grand propriétaire foncier, fasciste et collaborateur notoire, a déclaré publiquement :
« Il y aura de tels troubles en Afrique du Nord que l’ordonnance du 7 mars ne pourra pas être appliquée. »
Il s’agit de l’ordonnance qui accorde à une partie de la population musulmane le droit de vote aux élections municipales.
Ces propos sont parfaitement connus au gouvernement général : en particulier, de M. BERQUE, directeur des affaires musulmanes, et de quelques anciens vichystes qui occupent des postes auprès du gouverneur. M. ABBO aurait du, pour le moins, être mis en résidence surveillée, voici longtemps. Mais ce sont des musulmans que l’on arrête.
A Constantine, en ce moment, les vichystes organisent, avec l’assentiment du préfet, ce qu’ils appellent des « Milices d’Ordre ». Ces messieurs disposent d’armes, y compris des mitrailleuses qu’on n’a pas données à l’armée française. Ainsi se réalise point par point ce que les communistes d’Afrique du Nord avaient prévu dès le 27 février dernier, à savoir :
On affame les masses musulmanes, on les prive de tout tissu, au point que les femmes de l’intérieur re peuvent sortir, car elles sont pratiquement nues, et, sur une masse affamée qui constate la non réalisation des promesses faites du point de vue démocratique, agissent quelques agents provocateurs.
Ces agents provocateurs sont parfaitement connus de l’administration algérienne, dit le communiqué d’une délégation communiste reçue au gouvernement général le 11 mai. Or on ne les a pas arrêtés ! Il est clair que dans ces conditions, les troubles ne pouvaient qu’éclater.
Or, comme par hasard, ces troubles se sont produits au lendemain du premier tour des élections municipales en France, qui ont créé en Afrique du Nord un immense espoir de libertés démocratiques et antifascistes.
C’est dans ces conditions qu’une délégation du Parti Communiste algérien, avec des représentants en Afrique du Nord du Parti Communiste français, a demandé au gouvernement général l’arrestation des provocateurs d’Algérie qui sont parmi les cent seigneurs fascistes d’Algérie, comme les dénommés Abbo, Borgeaud et Serda entre cinquante autres, parmi lesquels de hauts fonctionnaires de Vichy maintenus dans l’administration, l’armée et la police.
La délégation communiste a insisté auprès du chef du cabinet politique du gouverneur général pour que sans nouveaux délais soient immédiatement distribués les 7 kilogrammes 500 de céréales promis aux populations, et les produits contingentés de mai. Elle a exigé que soient débloqués les légumes secs et autres denrées qu’on laisse pourrir comme les dattes et les figues, sous prétexte de les conserver pour la métropole. Elle a demandé que l’allocation militaire soit payée régulièrement aux femmes musulmanes, et surtout que les traîtres vichyssois soient immédiatement épurés et arrêtés. Et que le dénommé Berque, responsable au premier chef des incidents, soit immédiatement suspendu de toute fonction. De même, elle a demandé que les officiers vichystes et leurs protecteurs soient immédiatement destitués.
Les renseignements qui nous parviennent de tous côtés sur la situation en Afrique du Nord indiquent que la seule politique possible, à l’heure actuelle, est d’appliquer immédiatement les mesures proposées par les communistes algériens et particulièrement l’ordonnance du 7 mars, accordant quelques libertés démocratiques essentielles. Toutes autres mesures, et en particulier, les violences systématiquement préconisées encore à l’heure actuelle, auront des effets exactement contraires.
D’ailleurs, une campagne de calomnies infâmes est menée contre la direction du Parti Communiste Algérien, et en particulier contre notre camarade Amar Ouzegane.
3 lignes censurées
Car des communistes algériens ont été blessés ou gravement mutilés en essayant de montrer à la foule surexcitée que ses vrais ennemis n’étaient pas les Français en général, mais les vichystes et quelques caïds voleurs, protégés par la haute administration.
Au lendemain du deuxième tour des élections municipales en France, qui confirme l’orientation nettement démocratique et antifasciste que le peuple réclame du gouvernement, il est possible de rétablir en Afrique du Nord le calme, par des mesures de sagesse et non pas des mesures de force, qui discréditeraient la France non seulement en Afrique du Nord, mais aux yeux du monde entier.

Après les graves événements d’Algérie
Un communiqué officiel qui n’apporte rien
Une note d’hier du ministère de l’Intérieur rejette la responsabilité des troubles de Sétif et de Guelma « sur des éléments du Parti Populaire Algérien et sur certains éléments du mouvement Les Amis du Manifeste ».
On persiste donc à rejeter sur des musulmans la responsabilité des troubles qui se sont produits.
En revanche – fait très grave – l’Intérieur « oublie » les vrais coupables, les vichystes et les fascistes français.
Le communiqué officiel attribue à la sécheresse les difficultés du ravitaillement en blé.
Or, toute l’Algérie sait que, dès 1943 les vichystes que sont les cent seigneurs d’Algérie ont systématiquement réduit chaque année leurs ensemencements ; ils ont fait plus le fils d’un gros propriétaire, interné administrativement pour trahison, a, voici un an, fait jeter dans la Tafna 300 quintaux de blé. L’affaire a été dénoncée publiquement dans la presse, entre dix autres.
Aucune sanction n’est intervenue à l’égard de ce misérable et son père a été libéré, parce que partisan actif de « l’ordre nouveau ». Tout collaborateur déclaré est en effet protégé par de très hauts fonctionnaires vichystes.
Voilà donc les premiers responsables de la famine : ils ne sont pas frappés.
Le communique officiel reste muet sur les mesures nécessaires à l’égard de ces affameurs : la confiscation pure et simple pour crime de trahison de leurs terres et leur distribution aux fellahs affamés.
Une seconde mesure s’impose : le désarmement immédiat des organisations fascistes et vichystes d’Algérie, formées par les mêmes individus anciens bailleurs de fonds du P.P.F., doriotiste, responsables essentiels des troubles. Laisser les armes entre les mains des « milices d’ordre » constituées à Constantine, c’est aller à des incidents encore plus graves : c’est armer ouvertement la cinquième colonne.
Le communiqué officiel accuse des éléments du mouvement « Les Amis du manifeste » d’avoir poussé à la révolte. En supposant qu’il y ait du vrai dans cette affirmation, pourquoi donc le Gouvernement général a-t-il autorisé la parution du journal de cette organisation (« Egalité ») dont nous possédons le numéro du 4 mai ?
Le directeur des Affaires indigènes, M. Berque, tient donc à ce qu’on fasse appel à la révolte ; sans doute pour avoir l’occasion de la réprimer et d’instaurer un régime de dictature militaire, que désirent les vichystes séparatistes comme les Serda. La provocation apparaît donc organisée d’en haut des deux côtés.
Et d’autant plus que la même direction des Affaires indigènes interdit au Parti communiste algérien de faire paraître son journal en langue arabe : « L’Algérie Nouvelle ». Parce que le Parti communiste algérien mène la lutte en plein contre les vichystes traîtres à la France et oppresseurs de l’Algérie et pour l’union des populations musulmanes avec le peuple de France contre leurs ennemis communs les 100 seigneurs de la terre, fascistes en grande majorité, comme certains de leurs protecteurs et serviteurs du Gouvernement général, fascistes actifs.
En d’autres termes, le communiqué de l’Intérieur ne dit pas un mot sur les mesures essentielles qui peuvent arrêter les troubles ; le châtiment des traîtres vichystes et fascistes (anciens P.P.F. entre autres) en Afrique du Nord, et surtout la confiscation de leurs terres non ensemencées pour les mettre au service des affamés, enfin la réalisation effective des promesses faites par l’ordonnance du 7 mars 1944, c’est-à-dire la fixation immédiate des élections municipales et cantonales.
Le communiqué déclare :
« L’ordre a été rapidement rétabli par les forces de police assistées de détachements de l’armée et de l’aviation, le nombre des victimes dépasse la centaine.«
Cela suffit à indiquer la gravité des événements. Nous voulons espérer que, dans ce domaine comme dans celui de la politique intérieure française, le Gouvernement provisoire pratiquera enfin une politique correspondant à la volonté démocratique et antifasciste nettement exprimée par la nation française et qui est la seule à l’heure actuelle qui puisse sauver la situation.
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