Catégories
presse

En Algérie, état de siège et cours martiales : Le fascisme organise ouvertement la guerre civile

Article paru dans L’Humanité, 19 mai 1945, p. 1

SANCTIONS IMMEDIATES CONTRE LES HAUTS FONCTIONNAIRES RESPONSABLES DES MASSACRES !

Le communiqué du 15 mai du ministère de l’Intérieur relatait une centaine de morts au cours des tragiques évènements qui ensanglantent les régions de Sétif et Guelma. Malheureusement, ce chiffre est très loin de correspondre à la réalité.

(4 lignes censurées)

Sur une distance de 150 kilomètres, de Sétif à la mer, la loi martiale est proclamée.

(2 lignes censurées)

Les musulmans des campagnes, qui n’ont pas pris la moindre part aux agissements d’une poignée de tueurs à gages dont les chefs sont connus comme mouchards au service de Berque, directeur des Affaires musulmanes, sont pourchassés

(3 lignes censurées)

La légion étrangère, les tirailleurs sénégalais et marocains, l’artillerie, la marine, l’aviation mènent une vaste opération de représailles.

(7 lignes censurées)

Ainsi se réalise le plan des fascistes français et algériens, bénéficiant de criminelles protections dans la haute administration : créer en Algérie les conditions d’une dictature fasciste, en creusant toujours davantage le fossé établi entre Européens et Musulmans.

Mais

(1 ligne censurée)

cela ne suffit plus aux seigneurs de la colonisation : ils veulent ouvertement, organiser la guerre civile.

Dans leur séance, du 16 mai, les Délégations financières, émanation directe des gros « colons » – des cent seigneurs d’Algérie – ont l’insolence de demander officiellement l’interdiction de la presse démocratique, le maintien de l’état de siège, la création de nouvelles cours martiales, l’armement « immédiat et sérieux » des Européens, la « création immédiate de Gardes civiques engageant la responsabilité des maires et administrateurs », le renforcement de l’autorité des hauts fonctionnaires « chargés d’assurer l’ordre et la paix française ». En d’autres termes, ce que veulent les instigateurs des tragiques événements du Constantinois, c’est provoquer des soulèvements et instaurer une véritable dictature, ce qui leur permettrait d’accentuer encore la répression et de faire de l’Algérie un terrain propice à l’ « ordre » fasciste.

Ils se savent soutenus par des vichystes aussi marqués que les hauts fonctionnaires du Gouvernement général Berque et Balensi non encore relevés de leurs fonctions, malgré leur responsabilité évidente, par le gouverneur général Chataigneau.

Ils le sont également par Lestrade-Carbonnel, préfet de Constantine, qui déclarait, il y a un an : « Je mâterai les communistes », au moment où ceux-ci tombaient en France sous les coups des S.S. C’est lui qui, le 13 avril 1945, à Biskra, annonçait qu’il saurait user des « moyens radicaux et cela sans faiblesse » contre les organisations syndicales agricoles. Ce sont de tels hitlériens qui sont les grands responsables des troubles d’Algérie.

Pour que « l’ordre » existe vraiment en Algérie, il faut immédiatement :

1) Ravitailler les populations musulmanes, en particulier celles des « régions sinistrées » que les pouvoirs publics privent de toute nourriture depuis le 8 mai. Or, c’est le directeur des Affaires économiques, M. Balensi, qui ose déclarer : « Ce n’est pas maintenant que je vais leur donner à manger ! »

2) Punir comme ils le méritent les tueurs hitlériens ayant participé aux événements du 8 mai et les chefs pseudo-nationalistes qui ont sciemment essayé de tromper les masses musulmanes, faisant ainsi le jeu des cent seigneurs dans leur tentative de rupture entre les populations algériennes et le peuple de France.

3) Arrêter sans plus attendre les traîtres qui, hier, ravitaillaient Rommel et aujourd’hui organisent le complot contre la France.

4) Relever de leurs postes les hauts fonctionnaires qui participent à ce complot, en premier lieu : Berque, Balensi et Lestrade-Carbonnel, préfet de Constantine ; cela sans préjudice de sanctions, beaucoup plus sévères, largement méritées.

5) Ouvrir une enquête sérieuse, sur les instigateurs et ordonnateurs des massacres, qui se poursuivent depuis plus d’une semaine sur des populations innocentes et sans défense.

6) En finir immédiatement avec l’utilisation d’engins blindés, de l’artillerie, de la marine et de l’aviation dans des « expéditions punitives », quels que soient les prétextes donnés pour les justifier.

Le Gouvernement provisoire se doit de faire appliquer tout de suite ces premières mesures de salut public et de prendre les sanctions qui s’imposent. Toute autre politique ne pourrait avoir comme résultat que de dresser les populations d’Afrique du Nord contre le peuple français et de faciliter les menées séparatistes des hitlériens à la Abbo, Serda, Borgeaud et autres fascistes algériens.