Déclaration du Parti communiste français parue dans L’Humanité, 20 mai 1945 ; suivi de « Où veut-on mener l’Algérie ? », 29 mai 1945 ; « A la Mutualité, Etienne Fajon préconise l’union des Algériens et leur alliance avec le peuple français », 5 juin 1945.

Au Comité Central du Parti Communiste Algérien
Le Comité Central du Parti Communiste Français, réuni en session extraordinaire, adresse son salut fraternel au Parti Communiste Algérien : les tragiques événements qui se déroulent en Algérie depuis le 8 mai dernier ont permis de vérifier à la fois la justesse de sa ligne politique et sa capacité de réalisation pratique.
Ces événements ont, en effet, montré que les provocations des cent seigneurs de la terre, des mines et de la banque – instruments des trusts en Algérie – soutenus par une poignée de hauts fonctionnaires indignes, et disposant d’agents directs ou inconscients dans certains milieux musulmans qui se prétendent nationalistes, ONT PU ETRE DEJOUEES PARTOUT OU LE PARTI COMMUNISTE ALGERIEN POSSEDE DES ORGANISATIONS INFLUENTES PARMI LES MASSES.
Le Parti Communiste Algérien remplit sa grande tâche de rassembler les populations algériennes, sans distinction de race ni de religion, dans la lutte contre les traîtres et les diviseurs et dans une alliance étroite avec le peuple de France contre l’ennemi commun, le fascisme.
Le Parti Communiste Français incline ses drapeaux de combat devant les communistes algériens – musulmans et français – tombés ou gravement blessés durant ces derniers 15 jours, pour notre cause commune. Le Comité Central assure le Parti Communiste Algérien qu’il mettra tout en œuvre pour l’aider dans cette grande lutte qui permettra aux populations algériennes comme au peuple de France d’avancer dans la voie de la démocratie et du progrès.
Paris, le 18 mai 1945.
LE COMITE CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE FRANCAIS.

Où veut-on mener l’Algérie ?
La censure est supprimée, mais c’est en Angleterre. En France, comme d’habitude, quand un ministre est mis en cause, il empêche la parution de l’article qui ne lui plaît pas : il en est ainsi du ministre de l’Intérieur en ce qui concerne les sanglants événements d’Algérie.
C’est un moyen commode, certes, mais qui ne résout rien et qui, en tout cas, n’empêchera pas la manifestation de la vérité. Seulement, un temps précieux aura été ainsi perdu pour les Français et les amis de la France, temps gagné par les hitlériens et fascistes de tout acabit.
Nos lecteurs nous excuseront donc de ne pas leur apporter les éléments qu’ils sont en droit d’attendre de leur journal : il nous faudra attendre la prochaine session de l’Assemblée Consultative pour faire connaître la politique pour le moins « étrange » pratiquée par le ministre de l’Intérieur en Algérie.
Nous avons déjà dénoncé l’ampleur du complot organisé en Algérie contre le peuple de France par une poignée de traîtres, les Cent Seigneurs de la terre, des mines et de la banque, soutenus par les hauts fonctionnaires vichystes restés en place au gouvernement général.
Nous avons montré que les sanglants événements de Sétif et de Guelma représentaient une monstrueuse provocation, longuement préméditée, devant servir de prétexte à la plus bestiale répression que l’Algérie ait connue depuis 1871.
Or, les renseignements qui nous parviennent ne font que confirmer l’urgence qu’il y a, dans l’intérêt de l’Algérie et de la France, à prendre enfin les mesures qui s’imposent pour instaurer véritablement en Afrique du Nord « l’ordre français ».
Malgré les déclarations du ministre de l’Intérieur et du gouverneur général, des opérations de représailles, parfaitement injustifiées, se poursuivent en divers points d’Algérie. Des régions entières sont toujours privées de ravitaillement, ce qui ne peut que contribuer à pousser à bout les malheureuses populations musulmanes, déjà sous-alimentées et dénuées de tout vêtement. Les provocations se multiplient de la part de certains fonctionnaires d’autorité, ayant à leur tête le fasciste LESTRADE-CARBONNEL, préfet de Constantine. Le plan des Cent Seigneurs et de leurs agents du gouvernement général ayant été dénoncé, tous les moyens sont maintenant utilisés pour accréditer la thèse officielle de « l’insurrection arabe », justifiant de nouvelles tueries, plus terribles encore que celles de Sétif et de Guelma.
En attendant, sous l’impulsion des Grands Seigneurs de la terre, qui ont monté la provocation en refusant de livrer leur blé aux services du Ravitaillement, les « Gardes Civiles » s’organisent. A Boufarik, ces féodaux tiennent des réunions en invitant les petits colons à « prendre des dispositions en cas d’événements ». Tous les fascistes sont armés. Les S.O.L. et les P.P.F. relèvent la tête. Dans la région de Sétif, certains d’entre eux, qui se trouvaient en résidence surveillée, ont été libérés et, naturellement, participent au « maintien de l’ordre ».
La terreur règne en Algérie. Evidemment, on essaie d’atteindre, et de discréditer, les organisations démocratiques, en premier lieu le Parti Communiste Algérien dont la clairvoyance et l’action bien avant le début des récents événements contrecarrent le déroulement du complot fasciste. Les déplacements des militants communistes et les réunions publiques ont été interdits dans le département de Constantine. De basses calomnies sont lancées par l’administration contre nos dirigeants.
Comme cela ne suffit pas encore, on a recours, contre notre Parti, à la provocation classique. Dans la nuit du 17 au 18 mai, notre camarade LADJALI MOHAMED SAID, secrétaire de la section communiste de la Casbah d’Alger, a été abattu par la police : le fait est reconnu et mentionné dans la presse d’Alger. Et, comme par hasard, trois jours plus tard il est trouvé porteur de « documents très importants » des Amis du Manifeste, organisation pseudo-nationaliste dont les tueurs ont participé aux événements de Sétif et d’ailleurs …
La population d’Alger a déjà répondu comme il convient à cette nouvelle provocation de la haute administration en faisant à notre camarade de grandioses obsèques.
Il faut que le ministre de l’Intérieur et le gouvernement provisoire indiquent clairement où ils entendent mener l’Algérie. Car il n’y a qu’un moyen de ramener le calme dans les territoires d’outre-mer : rompre définitivement avec une politique qui fait le jeu des fascistes contre la France. Il n’y a qu’un moyen : donner à manger aux populations affamées ; arrêter les traîtres et saisir leurs biens ; relever de leurs postes les hauts fonctionnaires dont la responsabilité dans les récents événements ne fait plus de doute pour personne, les BERQUE, les BALENSI, les LESTRADE-CARBONEL ; faire cesser immédiatement toute répression à l’égard d’innocents ; enfin, appliquer non seulement en paroles mais dans les actes l’ordonnance du 7 mars 1944.
Ainsi seulement pourra se forger cette union des populations algériennes, sans distinction de race, et du peuple de France, seule base possible d’un ordre véritable en Algérie.

A la Mutualité, Etienne Fajon préconise l’union des Algériens et leur alliance avec le peuple français
Hier soir, à la Mutualité, un meeting a été organisé par l’ « Avenir nord-africain ». Après Sahli Chérif, secrétaire général de l’organisation, qui dénonce les conditions misérables des travailleurs algériens et la rapacité des gros colons, des orateurs de divers mouvements appellent à l’union des populations française et nord-africaine. Etienne Fajon, membre du bureau politique du Parti communiste et de de l’Assemblée consultative, prend ensuite la parole.
Apres avoir évoqué les événements dramatiques qui ont marqué le mois de mai dans le département de Constantine, le représentant du Parti communiste français dénonce le complot fasciste qui est à la source de ces événements : organisation délibérée de la famine par les « cent seigneurs » de l’Algérie et leurs complices, les hauts fonctionnaires vichystes du gouvernement général. Les uns et les autres désirent provoquer des émeutes de la faim, propres dans leur esprit à favoriser une répression sauvage et à faire de l’Algérie une base du fascisme. Ils veulent obtenir la suppression des élections municipales et plus généralement des mesures démocratiques annoncées dans l’ordonnance du 7 mars 1944, enfin la rupture entre les populations algériennes et le peuple français.
Notre camarade démontre, avec des faits précis, qu’il ne s’agit nullement d’une « révolte arabe » et que les quelques Musulmans qui ont joué un rôle actif dans les événements étaient, depuis longtemps, connus par les vichystes du gouvernement général et protégés par eux.
Etienne Fajon fait acclamer les propositions communistes en vue de résoudre dans l’immédiat la crise algérienne : châtier les gros exploiteurs hitlériens et confisquer leurs biens expulser les deux ou trois vichystes marquants de la haute administration algérienne ; désarmer immédiatement les organisations fascistes ; donner du pain aux populations et non des bombes ; appliquer les lois sociales à tous les Algériens sans distinction ; fixer immédiatement la date des élections municipales.
Evoquant le grand meeting organisé le 27 mai dernier par la France combattante, meeting où fraternisèrent les Musulmans et les Européens et où furent acclames les F.F.I. de La Rochelle présents dans la salle, Etienne Fajon montre, sous les applaudissements, que l’union des Algériens sans distinction de race et leur alliance avec le peuple français est la meilleure garantie pour débarrasser l’Algérie du fascisme et pour y instaurer une démocratie égale pour tous, ainsi qu’une vie aisée pour tous les Algériens, grâce au travail de tous.

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