Article de Léo Sennegon paru dans Alger Républicain, 2e année, n° 256, 19 juin 1939

Les excès monstrueux de la persécution antijuive qui sont à la base de la politique de certains Etats autoritaires n’ont cessé d’indigner profondément tous les humains épris de la liberté et de l’esprit de tolérance. Tous les vrais républicains sont alarmés par le virus haineux de l’antisémitisme de certains agitateurs qui infestent certains pays de leur propagande. Aujourd’hui précisément, on enregistre une nette recrudescence de cette abominable agitation antisémite et raciste dans certains autres pays. La doctrine criminelle de nos antisémites, appuyée sur l’ignorance et le mensonge, s’imagine trouver un terrain propice à sa propagande dans les pays arabes. Et là précisément on perçoit actuellement les signes de sourdes menées racistes dont les pouvoirs publics devraient, à juste titre s’inquiéter et dénoncer les sources et châtier les coupables.
Ces excitations racistes et religieuses sont importées de nouveau en Algérie, et leurs colporteurs se figurent y trouver des adeptes faciles dans ses habitants, qui sont dans une très large majorité des musulmans.
Après avoir écouté l’édifiante conférence de M. Makaci, on peut assurer que ceux-ci, suivant leur noble tradition humanitaire ne tomberont pas dans l’erreur et déjoueront les agissements de ces excitateurs tenaces et de leur politique de haine en ne répondant pas à leurs appels.
Et nous ne saurions que trop louer la section algéroise de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme d’avoir permis à M. Makaci, de démontrer avec pertinence, l’inanité et la malfaisance d’arguments qui prétendent ériger les musulmans en antisémites.
Dès l’heure fixée pour la conférence, un public fort nombreux, composé, soulignons-le, d’une forte majorité de l’élément musulman des deux sexes, avait envahi l’immense et coquette salle du Cinéma Plaza, mise gracieusement à la disposition des organisateurs par son propriétaire.
Au bureau prennent place MM. Pinaud, président de la Fédération départementale de la L.I.C.A. et Valéro.
M. Pinaud, prononce quelques phrases brèves pour remercier le nombreux auditoire d’avoir répondu à l’appel des organisateurs, excuse MM. Lombardi, Dalloni et Bélaïche empêchés d’assister à la réunion à la suite d’engagements ultérieurs pris à d’autres manifestations et chaleureusement, il présente le distingué conférencier, à qui il donne immédiatement la parole.
Les lecteurs d’Alger Républicain connaissent pour avoir suivi la série de ses articles, le journaliste spécialiste des questions algériennes, qui est M. Kaddour Makaci. Ils n’ignorent pas l’ardent militant républicain qu’il est.
Mais il est aussi – beaucoup le savent – un conférencier qui, dès le premier instant qu’il parle, tient son auditoire sous le charme.
D’une voix infiniment grave et prenante, il traduit sa pensée avec une claire éloquence, servant justement sa compétence et son érudition.
« L’Islam et l’antisémitisme. Le racisme en Algérie et les musulmans ! »
Tout de suite, le conférencier rentre dans le vif de son sujet. En une suite admirablement bien ordonnée et suivant un plan clair, il émet d’abord des considérations générales sur le racisme et l’antisémitisme. Il s’élève contre les excitations et les manœuvres criminelles, devant les tortures physiques et morales infligées aux juifs de certains pays, devant les martyres, les brimades, les refoulements, l’interdiction de mariage, le douloureux calvaire imposé à ceux-ci ; il dénonce les théories racistes qui inclinent les fascistes vers une barbarie plus destructive incompatible avec les progrès actuels. « Non ! s’écrie t-il, il n’y a pas de véritable culture là où l’on exige à la hauteur de dogmes des théories ».
Et après avoir flétri les agissements du maître de l’Allemagne national-socialiste envers ses ressortissants nationaux de confession hébraïque, il estime entamant le fond de sa causerie, qu’il était nécessaire qu’à cette époque où les esprits sont portés à l’excitation par les événements palestiniens, qu’un musulman vienne porter « sa contribution » avec tous les républicains au triomphe de la vérité qui aidera à l’institution « de la véritable cité humaine de demain ».
Dans ce sens il ne manque pas tout de suite de s’élever contre tout esprit sioniste, basé lui aussi sur certains fondements racistes – tel le sionisme anglais ou américain.
– Une seule nationalité, clame-t-il, au milieu de longs applaudissements, la nationalité humaine, une seule race, la race humaine, une seule espèce, l’espèce humaine, une seule religion, la belle et grande religion humaine !
Puis le conférencier en vient au deuxième point de son exposé : l’Islam et les juifs, qui lui permet en faisant des rappels historiques et en s’aidant de textes coraniques prouvant l’esprit de « tolérance des musulmans envers toutes les autres religions », à détruire la légende de « l’Islam antijuif ».
Il précise alors les dispositions islamo-juives si favorables qui ont présidé aux bonnes relations entre les juifs et les musulmans de tous les pays. Et à l’appui de cette thèse et pour mieux l’illustrer, il rappelle entre autres, l’exemple de l’Espagne où les juifs subirent des exactions jusqu’à l’arrivée des Arabes. Le départ des juifs, et c’est l’Afrique musulmane qui leur offre l’hospitalité. Plus près de l’époque des menées de Max Régis et de ses séides, il rappelle l’attitude sympathique des musulmans d’Algérie, résistants aux excitateurs qui voulaient les enrôler dans leur campagne antijuive.
Plus près encore, c’est la Turquie offrant l’hospitalité à cent mille juifs. Telles sont entre autres les dispositions favorables de l’Islam envers les juifs.
Le troisième point de conférence de M. Makaci, est l’étude des raisons modernes de l’antisémitisme. Là, l’orateur stigmatise le mouvement raciste, dont précise-t-il, les musulmans sont et seraient les premiers visés. Voyez plutôt l’argument de nos fascistes algériens contre le statut des indigènes.
Devant la mystique du projet Blum-Viollette, poursuit-il, et par suite, le mécontentement qu’à fait naître dans les milieux indigènes sa non-réalisation c’est contre la personnalité du président Léon Blum que nos réactionnaires veulent détourner ces derniers. Alors que les responsables de la mise en sommeil du projet Blum-Viollette, sont les maires fascistes algériens aidés comme l’on s’en souvient par la politique de fermeté (sic) de M. Aubaud.
En ce qui concerne les devoirs réciproques entre juifs et musulmans, M. Makaci, cite l’opinion des juifs qui s’élèvent solidairement contre le régime auquel sont soumis les musulmans d’Algérie, qui n’est autre qu’un régime raciste, qui doit prendre fin.
Et l’orateur énumère toutes iniquités, inégalités, différences de traitements que l’on constate sur tous les terrains de l’activité humaine, à l’égard des indigènes.
Sur le terrain militaire, la différence de solde, la différence de commandement, de retraite entre soldats indigènes et européens etc … En matière d’enseignement : école indigène, école européenne, certificat d’études européen et indigène, droit de priorité pour les enfants européens dans les écoles, etc … Les différences, les distinctions à propos de la question des traitements des fonctionnaires, des ouvriers agricoles ; au sujet de la question électorale (collège unique) ; dans l’ordre fiscal, enfin les mesures restrictives dans la langue arabe, dont l’enseignement est devenu presque impossible, etc. etc.
Ces manifestations et bien d’autres voilà le racisme, clame puissamment l’orateur.
Il s’élève ensuite contre les déclarations de certains bourgeois indigènes « amis de la France » qui vont portant, clamant le « bonheur » des populations musulmanes, passant ainsi sous silence leurs véritables revendications.
Et dans une belle envolée, saluée par de longues acclamations de toute l’assemblée, M. Makaci termine en clamant sa foi en la fraternité humaine.
Notons que chaque fois qu’il a été mentionné, Alger Républicain fut ovationné par l’unanimité de l’auditoire.
Léo SENNEGON.
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