Article de Jean-Marc Raynaud paru dans Le Monde libertaire, n° 558, 17 janvier 1985

IL y a trente ans, le 1er novembre 1954, la nuit algérienne s’étoilait brutalement d’une trentaine d’actions armées, et rares furent ceux qui comprirent qu’il s’agissait là de la suite et du début d’une longue histoire : celle de la guerre d’Algérie et celle de la révolution algérienne.
Cette longue histoire, aujourd’hui, alors que trente ans ont passé nous n’en connaissons encore que des bribes. La clique au pouvoir en Algérie depuis 1962 nous a en effet imposé sa version des événements Une version qui bien sûr l’arrange. Qui est mystificatrice et mythificatrice. Qui transforme le 1er novembre en événement fondateur de la nation algérienne, dépréciant ainsi l’action des partis qui ont précédé le F.L.N. et donc le pluralisme politique. Qui magnifie la paysannerie au détriment des classes urbaines.
C’est ainsi, tous les régimes totalitaires en sont conscients jusqu’à l’obsession, la connaissance du passé est fondamentale pour la compréhension du présent et celui qui s’approprie cette connaissance détient de ce fait les clefs de l’avenir. Aussi, en Algérie comme ailleurs, ces régimes mettent un zèle, à nul autre pareil, pour imposer leur vision du passé, pour empêcher que d’autres versions voient le jour et pour réécrire carrément l’histoire à leur manière.
Dans ces conditions, la parution d’un livre comme celui de Mohammed Harbi est d’une extrême importance pour tous ceux, Algériens en tête, qui révoltés par le présent cherchent à bien le comprendre pour lui faire éclater la tête au soleil d’un avenir autre. Il leur fournit l’arme suprême de la connaissance du passé et donc la compréhension du présent. Ce bouquin, en effet, et c’est rare, est exemplaire aussi bien sur le fond que sur la forme.
Sur le fond, il nous explique que le F.L.N. n’est pas tombé du ciel un beau soir de 1954. Qu’il est, en revanche, la résultante d’une longue histoire qui est celle du nationalisme algérien. Qu’il doit tout ou presque au messalisme et en particulier à « la victoire du messalisme sur le réformisme, qui a libéré les forces radicales et ouvert la voie à la guerre d’indépendance ». De même, il nous explique qu’en « rejetant dès novembre 1954 toute alliance avec le messalisme, pour contracter plus tard une entente avec les centralistes, l’U.D.M.A et les « uléma », la fraction dominante du F.L.N., compromet tout approfondissement de la révolution » et que cela est logique avec une démarche « privilégiant la révolution par en haut ».
Bref, Mohammed Harbi nous conte, force détails à l’appui, l’histoire du F.L.N. Il la replace dans son contexte. Il nous permet de comprendre comment la bureaucratie qui règne aujourd’hui s’est créée ; pourquoi elle tient à minimiser ou à nier ses origines en évacuant tout ce qui date d’avant le 1er novembre 1954 ; pourquoi elle a mythifiée le rôle de la paysannerie dans sa vision de la guerre et de la révolution ; et pourquoi, par la logique du parti unique, elle a échoué là où elle ne pouvait qu’échouer, c’est-à-dire dans le ghetto de l’exercice du pouvoir par l’armée.
Au niveau de la forme, ce bouquin est également plein de qualités. Les chapitres qui le constituent – l’événement du 1er novembre (son cadre, sa réalité, les réactions qu’il a suscité), les origines immédiates du 1er novembre, les fondements du conflit franco-algérien, la renaissance de l’Algérie, le triomphe des indépendantistes, le 1er novembre comme représentations … – s’inscrivent en toute logique et en toute clarté dans un raisonnement et une manière bien particulière d’aborder l’histoire. De plus, il est ponctué de cartes, de chronologies, de biographies ; et ce qui ne gâte rien, il est bien écrit.
On l’aura donc compris, ce livre (1) est vraiment à lire. C’est une des meilleures approches existantes de la révolution algérienne, ou plus exactement de la lamentable réalité de la pseudo-révolution algérienne. C’est donc un outil de premier ordre pour ceux qui feront un jour la révolution en Algérie.
Jean-Marc Raynaud
(1) « 1954 : la guerre commence en Algérie », Mohammed Harbi, édit. Complexe, en vente à la librairie du Monde libertaire, 35 F.

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