Article paru dans Guerre de classes, n° 9, mai 1974

« Ratonnades » du samedi soir, attentats individuels contre les travailleurs immigrés (dans la seule nuit du 6 mars, à Draguignan, 3 attentats par explosif contre les travailleurs nord-africains !), mais aussi, discriminations raciale à l’embauche, pour la location d’appartements, dans les transports collectifs … LE RACISME EXISTE. Il n’épargne pas la classe ouvrière, comme en témoigne un cas particulièrement grave de discrimination raciale aux élections des délégués du personnel à Renault-Flins : sur 65 candidats immigrés à se présenter, seuls 2 furent élus, 300 électeurs ayant systématiquement rayé sur les listes les noms à consonnance étrangère ! le racisme se développe ; il bénéficie de moyens de propagande importants : presse bourgeoise, présentant « les pays arabes » comme seuls responsables de la crise actuelle du capitalisme, bienveillance de l’état bourgeois et de sa justice à l’égard des provocations à la haine raciste perpétuées par les organisations d’extrême droite et par leurs journaux, violences policières à l’égard des immigrés, etc.
Si le racisme est ainsi « cultivé », c’est parce que, dans la société capitaliste EN CRISE, il remplit des fonctions primordiales.
LE RACISME SERT LE CAPITALISME EN CRISE
Racisme et nationalisme outrancier permettent, en cas de crise, d’étouffer les antagonismes de classes, en dirigeant le mécontentement – créé par la gestion capitaliste – contre « les autres ». Le racisme permet de reporter une crise INTERNE au capitalisme sur une prétendue « cause », qui lui est totalement extérieure : ainsi, la crise du système capitaliste, effective depuis la faillite du système monétaire international en 1971, devient brusquement « crise de l’énergie », provoquée par la décision des « pays arabes » d’élever le prix du pétrole brut : de la même façon, la propagande patronale tend à faire croire que les immigrés sont responsables du chômage ( « Le Parisien Libéré » titrait, dans son édition du 14/01/69 : « 500.000 chômeurs en France … et pourtant 3 millions d’immigrés » ). L’argument n’est pas neuf : le système capitaliste y a recours, chaque fois qu’il ne peut avouer son impuissance à surmonter ses contradictions internes. En d’autres temps et d’autres lieux, l’invention d’une « conspiration juive mondiale » joua un rôle analogue … La stratégie est la même, mais on a changé de bouc-émissaire !…
Le racisme est un moyen de contrôle social, aux mains des possédants : il s’intègre dans la STRATEGIE DE DIVISION de la classe ouvrière, chère au patronat. Le racisme permet de dresser une partie de la classe ouvrière contre une autre, afin d’exploiter au mieux l’une et l’autre.
Créant artificiellement une cohésion « nationale » (racisme et nationalisme vont toujours de pair) par delà les antagonismes de classes, le racisme est un MOYEN D’INTEGRATION efficace, au service de la société bourgeoise : il vise à susciter chez les membres de la classe ouvrière une adhésion formelle à des buts , qui leur sont irrémédiablement étrangers, car ce sont les buts des capitalistes. C’est ainsi que le racisme convainc le « pauvre blanc » du Sud des Etats-Unis qu’il appartient à une civilisation « supérieure », face au Noir, et cela, bien que leurs situations matérielles soient en tout point comparables : le racisme le fait adhérer aux buts d’une société, qui ne cesse pourtant de le rejeter.
Comment combattre le racisme ? Examinons d’abord l’attitude des partis et syndicats réformistes face à ce phénomène.
L’INCAPACITÉ PRATIQUE DES PARTIS ET SYNDICATS RÉFORMISTES A MAITRISER LE RACISME
La stratégie des partis réformistes, acceptant le jeu faussé de la démocratie bourgeoise, se fonde sur l’ELECTORALISME. En cela, ils sont impuissants à combattre pratiquement le racisme.
Le dilemme est simple : les travailleurs immigrés ne faisant pas partie de la « NATION » française, NE VOTENT PAS ; le racisme est flatté sans cesse par les propagandes patronale et gouvernementale. Un parti de gauche ne saurait prendre le risque de s’aliéner toute une partie de l’opinion (surtout en période électorale, où sa stratégie consiste, justement, à élargir son assise jusqu’aux « classes moyennes », les plus sensibles aux arguments racistes ), pour défendre les droits d’une partie de la population, qui ne vote pas. Coincée entre sa volonté de représenter tous les travailleurs et la nécessité qu’elle a de convaincre les « classes moyennes » pour conquérir le pouvoir, la coalition de gauche ne peut que se limiter à des déclarations de principe sans suite sur les droits des travailleurs immigrés.
Le dilemme est encore plus flagrant, en période de crise, quand la priorité à l’embauche et aux postes qualifiés est réservée aux « nationaux » : dans ces conditions, défendre concrètement les droits de l’immigré au travail, c’est pour une organisation réformiste, rentrer en conflit avec « sa base ». De là découlent les déclarations malthusianistes de la Confédération « Force Ouvrière », demandant une limitation de la main-d’œuvre immigrée, de là découle l’inaction des syndicats devant le non-renouvellement du contrat de travail pour 1974 de 245 ouvriers Yougoslaves, à Peugeot (Décembre 1973).
L’électoralisme, c’est-à-dire l’acceptation de la légalité bourgeoise par les partis et syndicats réformistes, les condamnent donc à une incapacité totale de combattre concrètement le racisme.
Quelle peut-être la position d’une organisation révolutionnaire, face à la vague actuelle de racisme ?
LA LUTTE CONTRE LE RACISME PASSE PAR L’AUTO-ORGANISATION DE LA CLASSE OUVRIÈRE
Pour répondre à cette question, il faut déterminer quelle est la place des travailleurs immigrés au sein de la classe ouvrière.
Les travailleurs immigrés font objectivement partie de la classe ouvrière. Travailleurs français et immigrés se trouvent placés dans les mêmes rapports sociaux de production : confrontés à une même exploitation, ils ont le même ennemi, le capital et un même intérêt, le communisme.
Mais les travailleurs immigrés sont « autre » chose que cela : ils proviennent de « cultures » différentes, de systèmes sociaux économiques et politiques profondément différents (certains n’ont même jamais connu le salariat avant de venir travailler en France : il s’ensuit des réactions, des conceptions différentes ). C’est on qui explique que les travailleurs immigrés ont des revendications spécifiques, une façon particulière de poser les revendications générales de la classe ouvrière et des formes d’organisation originales.
En fonction de ces remarques, on peut apprécier les 2 réponses théoriques qu’apportent réformisme et gauchisme au problème des travailleurs immigrés :
– la C.G.T. rappelle constamment que la « classe ouvrière est un tout, sans distinction de nationalité ». C’est pourquoi, elle n’a cessé de réclamer « l’égalité des droits » entre travailleurs français et immigrés. Outre qu’il s’agit là d’une position de principe de la Confédération que ses unions locales, ne défendent que rarement sur les lieux de travail, cette revendication a un caractère ASSIMILATIONNISTE : réclamer pour les travailleurs immigrés les mêmes droits que pour les travailleurs français, c’est réclamer la même exploitation pour tout le monde, c’est vouloir conformer les immigrés à une société qui n’est pas le leur, dans la négation de leur différence. Cette conception amène la C.G.T. à refuser concrètement que les travailleurs immigrés aient leur autonomie dans les luttes ouvrières : cela s’est bien vu durant la grève de Peñarroya-Lyon en 1972, au cours de laquelle I’U.L. – C.G.T. refusa les modalités d’organisation que s’étaient données les travailleurs en lutte. Une telle attitude conduit à faire des travailleurs immigrés des « assistés ».
D’un autre côté, les groupes gauchistes (notamment les maoïstes) mettent l’accent sur les contradictions entre ouvriers français et immigrés. Présentant les travailleurs immigres comme « une couche sociale, nettement distincte du reste de la classe ouvrière », les groupes gauchistes réintroduisent de fait la division de la classe ouvrière, qui est tout profit pour le patronat. De telles vues mettent à nu l’idéalisme petit-bourgeois et le mépris de la classe ouvrière, qui caractérisent l’extrême-gauche.
Ces 2 positions ont en commun leur caractère non-dialectique : on tient là un des points de rencontre du dogmatisme, d’une part et de l’idéalisme, d’autre part.
Le problème qui se pose (et il se pose également pour les jeunes travailleurs et les femmes salariées) est alors le suivant : comment réaliser l’unité de la classe ouvrière, sans escamoter les différences ?
Seule, l’AUTO-ORGANISATION de la classe ouvrière et l’établissement de LIAISONS DIRECTES, entre groupes autonomes de travailleurs sur le principe de la DELEGATION sont capables de forger l’unité ouvrière, dans le respect de la différence. C’est pourquoi le rôle d’une organisation révolutionnaire est de susciter et de renforcer – en l’appuyant matériellement et moralement – la création de groupes ouvriers autonomes : CONTRE LE RACISME, AUTO-ORGANISATION DE LA CLASSE OUVRIERE !

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