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« Aux origines du F.L.N. » par Mohammed Harbi

Article de Mikhalis Raptis dit Michel Pablo, paru dans Sous le drapeau du socialisme, n° 66, octobre 1975

Il s’agit d’une importante contribution à l’histoire réelle du mouvement national algérien destinée à faciliter la compréhension de la révolution algérienne depuis son commencement.

« De 1954 à 1963 » note l’auteur « l’étude des faits historiques a été constamment centrée sur les options et les intentions des dirigeants, les mérites particuliers des uns et des autres ».

A partir de 1963 « l’historiographie officielle, qui dans la période précédente avait fait le silence sur les conditions de la maturation de la révolution de novembre et réduit les origines de l’insurrection aux faits et gestes d’un petit groupe d’hommes « les chefs historiques », les « faiseurs de miracles », changeait de cap. Le peuple passait du statut d’entité irresponsable au statut du sujet absolu de l’histoire. L’intervention des individus dans l’histoire politique relève désormais de la censure. Messali, Krim, Boudiaf, Ben Bella sont rayés de l’histoire. « Il n’y a plus de place que pour les penseurs d’état et les hagiographes. »

L’ouvrage tout en insistant sur la scission du P.P.A.-M.T.L.D. et sur l’explication « du triomphe des activistes, initiateurs de la lutte armée », éclaire critiquement, quoique de manière nécessairement résumée toute l’histoire du nationalisme algérien de 1937 au 1er novembre 1954.

C’est la plus sérieuse analyse marxiste, tentée jusqu’ici pour comprendre les évènements qui jalonnent cette période, placés dans leur contexte social précis. Certains critiques de l’ouvrage ont insisté sur la réévaluation du rôle historique joué par Messali et la soi-disant sous-estimation des « activistes », fondateurs du F.L.N. et bâtisseurs de l’indépendance du pays. Ce reproche nous paraît injustifié, l’auteur ayant pris le soin d’analyser en détail les raisons sociales, politiques, même d’ordre individuel qui inclinaient les « activistes » à subir « indéniablement l’influence de la paysannerie », et à esquisser des perspectives pour la solution de la crise du M.T.L.D. différentes de celles de Messali. Les activistes note l’auteur « ont osé les premiers. Ils l’emporteront ». Leur combat, le combat du F.L.N., assurera l’indépendance du pays, qui déterminera une ouverture révolutionnaire (1962-1965) mais sans conclusion victorieuse.

Les raisons de cet échec doivent être recherchés dans la nature sociale de la tendance des « activistes », leur impréparation idéologique, leur confusion populiste, leur incapacité de structurer un parti à la fois révolutionnaire et démocratique capable d’aider les masses plébéiennes du pays (de la ville et de la campagne) à jouer leur propre rôle. Ces défauts caractérisent du reste à des degrés divers l’ensemble du mouvement national algérien. L’ouvrage de Mohammed Harbi, aide à comprendre la complexité des facteurs qui ont déterminé l’évolution de ce mouvement et sa différenciation en tendances s’entrechoquant. L’analyse est faite souvent avec une finesse remarquable, propre à la conception originelle du marxisme, comme par exemple les « remarques critiques sur la spécificité du M.T.L.D. » (pages 85 à 88). L’ouvrage comporte en annexe nombre de documents importants de l’histoire du nationalisme algérien, qui rehaussent son intérêt en tant que précieux instrument de travail pour les études supplémentaires ultérieures.

On attend avec impatience la suite de l’ouvrage qui portera sur la période de 1954-1962, en souhaitant que l’auteur complète son effort pour l’analyse critique également de l’ère « ben-belliste » (1962-1965).

On connait bien le rôle très important que Mohammed Harbi a joué sur le plan de l’élaboration politique et théorique durant cette étape de la révolution algérienne.

M.P.

août 1975.


(1) Aux éditions 10/18 de Christian Bourgois, Paris, 1975.