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Casablanca ensanglantée

Article de Mustapha Khayati publié anonymement dans Sou’al, n° 1, décembre 1981

XXX

Lettre de Casablanca

Chers amis,

Votre prospectus de présentation de Sou’al m’est parvenu par l’intermédiaire d’amis Français. J’espère que votre revue se fera la voix de tous ceux qui, dans nos pays, sont obligés de se taire ou d’aller en prison.

Personne n’a pris ni ne prendra la défense des émeutiers de Casablanca, même si pas mal de monde dénonce la répression qui s’abat sur eux ; car ils font peur à tout le monde politique, comme ils sont la terreur des bourgeois. Dans ce qui suit, je veux non seulement donner raison aux insurgés Casablancais, mais encore leur rendre hommage en cherchant théoriquement la vérité que leur action pratique voulait exprimer.

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Pourquoi Sou’al

Éditorial signé du Comité de rédaction, Sou’al, n° 1, décembre 1981, p. 3-10

Le monde arabe * est en proie à de graves difficultés. Qu’elles soient politiques, sociales, économiques — ces difficultés sont sous-tendues par une terrible lacune : le monde arabe n’a pas pu, n’a pas su, se doter d’une vision du monde spécifique, d’un projet historico-culturel à vocation universelle. Sans doute est-ce là le prix qu’il lui a fallu payer pour accéder au concert des nations indépendantes du XXe siècle. Car l’impérialisme, le colonialisme, le néo-colonialisme n’acceptent le monde arabe que divisé, affaibli, donc sujet à toutes les manipulations. Mais au-delà de cette contrainte extérieure, c’est bien en lui-même, dans son esprit propre que le monde arabe est frappé de faiblesse. C’est qu’il revient de loin. Lui, qui fût l’héraut des premières lumières, qui connut son Aufklärung alors que l’Occident somnolait dans la léthargie — lui, qui inventa les mathématiques modernes, qui transmit au monde Aristote, qui pratiqua bien avant Léonard de Vinci la visitation des gisants, — lui, qui sut respecter les minorités ethniques et religieuses, qui se flattait qu’un de ses plus grands penseurs, Maïmonide, fut Juif, — le voilà encore confronté à la modernité qui s’est développée depuis trois siècles sans lui et en dehors de lui — le voilà enfin, aujourd’hui, désarçonné par l’innommable déroute de ses classes dominantes face au progrès économique et à l’émancipation culturelle. Le voilà, d’un mot, dans la nécessité d’être enfin lui-même à l’encontre et au-delà de l’adversité.