Article paru dans Le Libertaire, n° 390, 20 mai 1954.
A quelques semaines avant sa mort, il collait encore le « LIB » à Aulnay. Nous lui disions de se reposer, nous le sentions faible. Il n’y avait rien à faire. Il voulait militer, il voulait se battre jusqu’au bout.
Sa vie a été un éternel combat. Il a vécu notre idéal, il a été de toutes les actions. Il a payé durement.
Pour notre idéal, il a passé onze années de son existence brève dans les prisons et les camps de la République. Même là il trouvait le moyen de convertir. Partout, à tout instant, il n’avait qu’un seul but : Répandre autour de lui, les graines de la révolution.
Il incarnait l’anarchisme social, le communisme libertaire, pour lui les deux termes étaient synonymes. Son combat était prolétarien et révolutionnaire.
Il souffrait au plus profond de lui-même la vie injuste, la vie mauvaise imposée par les puissants de l’heure. Il souffrait surtout pour ses frères algériens, pour ses frères colonisés du monde.
Voici ce qu’il leur disait (Lib. n° 273) :
« Toutes les plaines fertiles sont enlevées aux travailleurs, et en récompense, le colon bourgeois « élu » octroie généreusement un salaire de famine et des journées de labeur de 10 à 14 heures. Gare aux fortes têtes! Oser déclencher une grève revendicatrice avec occupation d’usine est puni non de prison, mais de la balle salutaire d’un C.R.S… au nom d’une civilisation bienfaisante! De plus, en l’absence du présumé coupable, l’arrestation d’otage est coutumière. Voilà les exploits courants des colonialistes assassins, avides de carnage…
Que tous reconnaissent que les travailleurs originaires des pays d’outre-mer, venant chercher en France un peu plus de bien-être et de liberté, sont vraiment des hommes braves qui méritent bien des égards.
Malheureusement, au contact de leurs frères de misère de la métropole, qu’ils distinguent nettement des tueurs d’outre-mer, ils se heurtent souvent à l’incompréhension ou au dédain. D’où leur méfiance vis-à-vis des « roumis » (sans toutefois généraliser).
Cependant, les travailleurs nord-africains fuient les partis politiques de France, car ils se souviennent de l’exploitation. les syndicats, de même, ne les intéressent guère. Et pourtant, ces travailleurs savent être, au cours des grèves, à l’avant-garde du combat de classe. Ils combattent avec acharnement aux côtés des travailleurs contre l’État et le patronat, et aussi contre les bourriques républicaines. Le 1er mai l’a montré!
La révolte gronde dans ces hommes ulcérés. Les anarchistes qui, seuls, ont le droit d’affirmer qu’ils mènent le bon combat, ne manqueront pas de faire connaître aux travailleurs d’outre-mer, qu’en tout état de cause, ils sont à leurs côtés face aux hyènes déchaînées.
Camarades nord-africains, il existe une catégorie de « Roumis », totalement désintéressés, qui luttent, sans merci pour le bien-être et la justice sociale contre les discriminations raciales. Oui! sachez, camarades, que les anarchistes sont vos réels amis qui ne vous demandent rien d’autre que d’être à leurs côtés, pour mener la lutte contre le Capital, l’État, et le Colon, qui ne sont qu’un seul monstre, sous un même bonnet. »
La perte de Mohamed Saïl a causé vraiment un grand vide. Il savait entraîner les jeunes. Il savait faire d’eux de vrais militants révolutionnaires. Sa présence se fait encore sentir parmi nous.
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Sa vie a été un complet abandon de sa personne en faveur de l’idée qu’il défendait.
En 1914, très jeune, il était réfractaire à la guerre qu’on lui imposait et il passait des moments très difficiles (internement).
En 1934 il était à l’avant-garde de la lutte contre le fascisme, il était interné et la C.G.T. promenait de larges panneaux : « Libérez Saïl! »
En 1936 il partait en Espagne et se révélait un combattant infatigable dans la colonne Durutti. Il jouait un grand rôle au « Groupe International ». Blessé il revenait en France et communiquait à tous les camarades son enthousiasme pour les magnifiques réalisations communistes libertaires espagnoles
En 1939, après une distribution de tracts contre la guerre il était encore interné et commençait sa dixième année de prison. On perquisitionnait chez lui et on volait une partie de sa bibliothèque qu’il affectionnait particulièrement.
C’est un autre aspect de Mohamed Saïl : le désir de connaissances. Toute sa vie, il a travaillé pour se cultiver. Il avait été très peu à l’école mais en remontrait sur bien des points à ceux qui se piquent d’avoir de l’instruction.
Pendant l’occupation nazie, il fabriquait de fausses cartes d’identité pour permettre aux camarades en danger de fuir.
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Il y a un an Mohamed Saïl entrait à l’hôpital Franco-Musulman de Bobigny et G. Fontenis devait lui dire bientôt un dernier adieu après quelques incidents dus à la persistance de sa famille à lui faire des obsèques religieux.
Nous tenons ici, à rendre hommage à sa compagne courageuse qui continue, depuis sa disparition, à diffuser notre cher « LIB ».
Le Groupe Mohamed Saïl d’Aulnay-sous-Bois