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Algérie : F.L.N. – F.I.S. unis contre le prolétariat

Article paru dans Communisme, n° 43, mai 1996, p. 29-39


Introduction

Les affrontements de ces dernières années en Algérie ne peuvent pas être séparés de leur contexte international et plus particulièrement de la situation en Iran, aux Moyen et Proche Orients ni de ce qui se passe dans l’ensemble de l’Afrique du Nord.

Depuis la défaite du mouvement révolutionnaire de la fin des années 1970 en Iran, les fractions bourgeoises arborant le drapeau de l’islam occupent un rôle de premier plan dans l’organisation de la contre-révolution non seulement dans ces régions mais dans le monde entier. Plus spécifiquement dans ces régions par l’encadrement idéologique et militaire du prolétariat tandis que dans les pays occidentaux, l’identification de l’idéologie islamiste à du fanatisme/ totalitarisme/fascisme vient à point pour revaloriser la défense de la démocratie. La bourgeoisie tente ainsi de canaliser tout mouvement de lutte dans la polarisation formulée pour les uns, comme ceci : « pureté des principes de l’Islam contre dépravation occidentale », et pour les autres, comme cela: « droits et libertés démocratiques contre intégrisme/intolérance ». Cette polarisation que l’on peut résumer en ces termes : Islam contre Occident, renforce toutes les politiques racistes et constitue une redoutable arme de division des prolétaires à travers le monde. Tous les discours de la bourgeoisie occidentale semblent vouloir discréditer l’« alternative » islamiste mais le but principal de cette logorrhée anti-arabe est surtout d’éloigner les prolétaires d’Occident de toute idée d’unir leurs luttes à celles des prolétaires d’Orient et inversement. En réalité, la bourgeoisie mondiale soutient les fractions islamistes, dans la mesure où celles-ci sont capables de domestiquer les luttes prolétariennes et de les remettre dans le droit chemin de l’ordre capitaliste mondial.

Si l’alternative islamiste connaît une telle audience aujourd’hui, c’est notamment parce que ses défenseurs ont su capitaliser les immenses frustrations sociales exprimées un peu partout au travers des luttes : approfondissement brutal et généralisé de la pauvreté, exacerbation des rapports de concurrence, … Se basant sur la reconnaissance de la misère matérielle mais aussi des relations humaines, … ils les opposent à l’amassement spectaculaire d’immenses fortunes, le développement de la délinquance, des réseaux de prostitution, du commerce de la drogue, … dont ils donnent une image exclusivement occidentale pour alimenter la polarisation Islam/Occident.

Mais, en Iran même, les resurgissements violents de l’antagonisme prolétariat contre bourgeoisie par l’explosion de nouvelles révoltes contre la misère et les forces de l’Etat (1) mettent en évidence, aux yeux des prolétaires du monde entier, que les partis islamistes ne sont rien d’autre qu’une énième tentative bourgeoise de briser les luttes pour faire régner la paix sociale et garantir le bon déroulement de l’exploitation capitaliste. En Irak, en 1991, les prolétaires insurgés scandaient : « Faisons des mosquées et des églises les tombes des organisations religieuses ! » dénonçant pratiquement le rôle contre-révolutionnaire de toutes les institutions religieuses et indiquant la voie à suivre pour le prolétariat mondial.

En Algérie

En Algérie, les émeutes d’octobre 1988 prolongeaient les mouvements de lutte et les multiples grèves qui secouaient le pays depuis plusieurs années (2). Violente, déterminée, massive, généralisée, la révolte avait donné naissance à des embryons d’organisation, noyaux de prolétaires assumant des tâches de direction des luttes : coordination des forces, ciblage des objectifs, … La plupart des actions sont très déterminées, ponctuelles, violentes et font preuve d’organisation : elles sont menées par de petits groupes prévoyant des replis stratégiques, dispersions rapides et réapparitions soudaines des émeutiers. un peu plus loin. C’est plutôt la nuit que les prolétaires agissent lorsque le couvre-feu est imposé. Les prolétaires s’en prennent systématiquement aux mairies, aux voitures des représentants du gouvernement, aux sièges du FLN, aux commissariats de police – récupérant des armes, détruisant les fichiers de police -, aux palais de Justice et à des hauts lieux de l’accumulation capitaliste : hôtels d’impôts, banques. Partant d’un ras-le-bol (des conditions de survie devenues – en Algérie comme ailleurs – totalement insupportables). Nos frères de classe en Algérie n’ont, à l’origine, pas formulé de revendications précises. Ils ne réclamaient pas des réformes mais, par contre, n’hésitaient pas, au cours des émeutes, à se lancer dans des expropriations, tentant de se réapproprier le produit social, les moyens de vie et de luttes dont tous les prolétaires sont dépossédés. S’attaquant directement aux forces gouvernementales, aux forces armées et autres structures de l’Etat, à la propriété privée et à l’argent, le mouvement d’octobre ’88 était un mouvement de négation, de destruction du Capital et de ses défenseurs !

Autre caractéristique de la lutte, le mouvement est parti de la rue et non d’entreprises précises, ce qui n’a pas laissé la possibilité aux syndicats de prendre leur place habituelle de casseurs des luttes. De manière plus générale, les luttes d’octobre 1988 ont mis en lumière que le FLN et plus particulièrement le vieil arsenal social-démocrate (syndicats, groupes marxistes-léninistes, … ) furent largement débordés et se sont révélés incapables de contrôler, encadrer ces révoltes. Tous sont déconsidérés. C’est essentiellement au moyen d’une répression féroce et massive, au moyen des massacres à la mitrailleuse lourde, avec balles explosives, au moyen des internements et tortures systématiques que l’Etat viendra à bout de la détermination des prolétaires, avec notamment une intervention massive et meurtrière des chars pour mieux prévenir les tentatives de fraternisation. On signala de nombreuses désertions au sein de l’armée. La presse évoqua 600 morts !

Dans le but de désamorcer le mouvement et de séparer la frange la plus déterminée des prolétaires en lutte de la majorité d’entre eux, Chadli déclare que : « nous devons reconnaître nos erreurs » et organise rapidement le réapprovisionnement des magasins et la destitution de quelques boucs émissaires. Dans la foulée il promet des réformes politiques : des élections. Peu après, c’est une répression de plus en plus sélective et ciblée qui s’exerce afin de neutraliser les meneurs. Pendant ce temps-là, la presse ne chôme pas et distille une désinformation totale, seules les informations qui conviennent à la police passent. Elle réécrit l’histoire et impose la version correspondant aux intérêts bourgeois, occultant toute signification classiste de ces luttes et rendant ainsi toute extension internationaliste plus difficile.

Malgré la répression sanglante des émeutes d’octobre 1988, le prolétariat tout au long des années 1989, 90 et 91 continue à lutter. De nombreuses manifestations et émeutes touchent des villes comme Al Milia, El-Krouch, Jilel, Souk Ahras, Aïn Benian, Alger, Chréa, Tissemsilt, Tenes, Hammam Righa, Thenia, … ainsi que de nombreux secteurs : hôpitaux, employés, PTT, enseignants, chômeurs, … Le prolétariat reste combatif.

Pour la bourgeoisie mondiale, octobre 1988 fut un signal d’alarme. Il révélait le niveau d’impréparation de l’organisation locale de l’Etat, incapable de maîtriser des explosions de colère qui n’allaient pas manquer de resurgir, voire de s’intensifier dans la situation actuelle de crise et d’aggravation des antagonismes sociaux imposant des sacrifices toujours plus draconiens aux prolétaires. Devant de telles explosions prolétariennes, il devenait crucial pour l’Etat d’élaborer des plans de réformes, de mettre au point une véritable stratégie de la contre-révolution. Il devenait urgent pour la sauvegarde des intérêts du Capital mondial en Algérie qu’il y surgisse, comme dans bon nombre d’autres endroits de la planète, une polarisation inter-bourgeoise transformant l’antagonisme prolétariat/Etat capitaliste en un affrontement entre fractions bourgeoises.

Le gouvernement va activer cette polarisation, par l’introduction de réformes politiques visant à instaurer le multipartisme, « l’ouverture démocratique » suivant les termes mystificateurs qu’emploie l’Etat lui-même. En réalité, il s’agit de réorganiser le gouvernement, de porter à sa tête les fractions les plus crédibles et donc les plus aptes à mener à bien les réformes, dans la paix sociale, c’est-à-dire à augmenter le taux d’exploitation du prolétariat en tentant de ne pas provoquer de réaction notable de la part de celui-ci. C’est ainsi qu’en février 1989, une nouvelle constitution est promulguée, instaurant ce multipartisme et supprimant toute référence au « socialisme », ce « socialisme à l’algérienne » – tant célébré par les groupes marxistes-léninistes, staliniens, trotskystes, … du monde durant les années 1960/70 – qui fut alors la bannière sous laquelle l’Etat réprimait les grèves et persécutait les prolétaires.

Les luttes de 1988 est l’aboutissement de grèves, émeutes qui ont jalonné les années 80. Mais en 88, « l’armée du peuple tire sur le peuple ». L’image glorieuse de l’indépendance algérienne vole en éclat et entraîne avec elle le discrédit total du FLN ainsi que des autres partis bourgeois hier encore interdits. Le processus électoral lui-même n’aura pas la cote (discrédit dont témoignent les multiples luttes prolétariennes. qui se succèdent). Par contre l’option « islamiste » susceptible d’avoir suffisamment d’audience pour gérer la société algérienne dans le calme va s’imposer comme tentative d’emporter l’adhésion d’une majorité de prolétaires tout en étant en mesure de canaliser le mécontentement et de faire avorter toute lutte. Pour cela, le gouvernement s’appuie sur quelques-unes de ses composantes, à savoir les multiples relais de transmission que sont les associations et partis religieux présents en Algérie. Depuis les années 1960, ce sont quelques dix mille mosquées qui ont été construites, en grande partie grâce au FLN qui comptait bien s’en servir pour intoxiquer les prolétaires en distillant cet « opium du peuple » qu’est la religion ! Déjà à l’époque, le FLN prônait avec les Associations des oulémas : « L’Algérie est ma patrie, l’arabe est ma langue, l’islam ma religion. » Dès 1954, l’objectif déclaré du FLN sera « la réalisation de l’unité nord-africaine dans son cadre naturel arabo-musulman. » Après l’indépendance, les imams seront payés par le gouvernement via le secteur de l’Enseignement, des Affaires Religieuses et de la Justice. Les mosquées seront agréées Centres Culturels et Séminaires de la pensée islamique et chargées, par le ministère de donner des cours d’alphabétisation et d’éducation coranique. Le gouvernement prendra en charge l’Islam en subsidiant un clergé officiel formé dans des instituts créés par et pour l’état. Le plan quinquennal établi par le gouvernement Chadli en 1981 prévoyait encore la réalisation de trois instituts islamiques, la construction de cent soixante nouvelles mosquées, autant d’écoles coraniques, la création de cinq mille postes d’enseignants coraniques, ainsi que l’accélération de la formation du personnel officiel du culte. A l’heure actuelle, en nous basant sur les informations disponibles, nous avons pu répertorier pas moins de huit formations majeures, en plus du FIS, se rattachant officiellement à la « mouvance islamiste ».

Le FIS fleurit sur le terreau de la misère !

Le FIS se servira à satiété de la propagande autour de la répression d’octobre 1988 : « L’armée du peuple a tiré sur ses enfants ! » pour se faire reconnaître par les prolétaires comme la seule alternative au FLN. La pratique du FIS parmi les prolétaires repose principalement sur la nécessité de gommer toute appartenance de classe, d’éviter toute allusion aux rapports de classe, se cantonnant à un discours culturel, religieux sur les « antagonismes entre groupes dirigeants et groupes marginalisés ». L’ennemi de classe se transforme ainsi en ennemi de Dieu, Le FIS prétend « que la corruption et l’injustice sociale sont dues à I ‘importation, par des dirigeants inféodés à l’Occident, de mœurs contraires à la morale de l’islam, que seuls des dirigeants craignant Dieu sont à même de garantir le retour à la justice et l’équité et de soustraire l’Algérie au fléau de la corruption » reprenant ainsi l’option de l’indépendance nationale algérienne (anti-française) et religieuse des années 1950 chères au FLN. Il n’est pas anecdotique de rappeler que beaucoup des membres du FIS ont été à un niveau ou à un autre membres du FLN.

Depuis 1985-86 existent, au sein du FLN, de plus en plus de dissensions sur comment encadrer le prolétariat, dissensions correspondant aussi à des intérêts économiques concurrents. Les oulémas, plutôt liés, avec le FLN, à la fraction à la tête du monopole du commerce extérieur et des secteurs qui y sont liés, compromis depuis 1960 par leur participation au gouvernement ont vu leur crédibilité décroître en même temps que celle du FLN. L’option islamiste devait donc se refaire une jeunesse. Cette situation a poussé certaines fractions islamistes à se démarquer, en apparence du gouvernement en durcissant leurs discours et en affichant une certaine autonomie. Le programme économique du FIS est plutôt en concordance avec les autres fractions bourgeoises en présence (FLN, FFS, UGTA…) : pour une économie libéralisée emportant ainsi l’adhésion de tout le secteur commercial privé (petits et gros commerçants du secteur parallèle en butte aux tracasseries administratives, opposés aux secteurs officiels). Les commerçants deviennent ainsi les principaux bailleurs de fond du FIS. Leur but est la suppression du monopole du commerce extérieur. Mais ce qui démarquera surtout le FIS, c’est sa capacité à saisir le mécontentement croissant du prolétariat à sa racine : la misère croissante que le Capital développe inévitablement, non pas pour arracher cette racine mais pour éviter que le prolétariat n’y touche.

C’est dans les quartiers les plus pauvres que se développeront les pratiques de prédication les plus dures, dans les banlieues-dortoirs génératrices de misère et où l’instauration du couvre-feu rend particulièrement insupportables les nuits chaudes d’été que surgissent les situations les plus explosives, dans les quartiers où la population double tous les dix ans, où les logements (3), la distribution d’eau, les services de voiries, de ramassage des ordures, les équipements sociaux, le téléphone, la dispense de soins, les moyens de transport et toutes les infrastructures urbaines sont des denrées rares. C’est sur ce terrain ainsi que sur celui du chômage (4) générant des situation explosives que le FIS développe ses campagnes opportunistes. Les souks et les mosquées redeviennent des lieux de discussion réactivés par le FIS.

Le FIS crée sa commission des affaires sociales, les mosquées et les municipalités du FIS financent les associations caritatives, investissent dans les clubs sportifs, ce qui leur permet d’intervenir dans les différents domaines allant du soutien scolaire à l’organisation de rencontres sportives. Le FIS s’est même organisé sous la même forme de comités de supporters qui ont servi de base de recrutement pour le parti pendant la période électorale de juin 1990. Il organise des animations sociales de quartier se substituant aux carences des services publics. Toute une armada de travailleurs sociaux se déploie dès le lendemain des élections de 1 990 et jouent les Jaunes en débarrassant Alger des ordures qui s’y entassent a cause des grèves des éboueurs. Lors du tremblement de terre de Tipasa, en octobre 1989, qui fait des milliers de victimes et où les secours officiels sont totalement incapables d’agir, les réseaux caritatifs islamistes qui eux sont anciens, bien rodés et capables de se mobiliser rapidement. interviennent là où le gouvernement en est incapable. Les mosquées du département d’Alger organisent des collectes de fonds au profit des sinistrés rapportant 1.800.000 dinars. Les mosquées collectent les denrées alimentaires, couvertures, vêtements, remplissant quatre-vingt-trois camions et cinquante voitures escortées par six cents volontaires vers les villages les plus touchés par le tremblement de terre. La commission inter-mosquées d’aide aux sinistrés alloue, entre autre, une somme de 10.000 dinars (15.000 pour les plus touchés) aux familles des quatre-vingt quatre victimes mortes lors du séisme ainsi que 1.000 dinars aux volontaires qui prennent part aux opérations de secours. Le FIS délivre aussi des permis de construire, distribuent des lots de terrains, octroie des licences de vente aux trabendistes (petits contrebandiers), … Il organise des souks « islamiques » destinés à casser les prix du marché. Pendant la rentrée scolaire de 1991, il met à disposition des familles des fournitures scolaires à bas prix, organisent des séjours de camping en forêt ou à la mer pour les jeunes qui n’en ont pas les moyens, leur prodiguant l’enseignement coranique. Il recense les familles pauvres et leur distribue chaque mois de l’argent (une partie de la zakat – aumône légale). Les associations gestionnaires des lieux du culte organisent un service de petites annonces matrimoniales ainsi que la prise en charge financière des circoncisions, mariages, lavages des morts.

Par ailleurs, le mouvement de paupérisation qui touche élèves et étudiants se traduit de plus en plus par l’acquisition de diplômes ne donnant accès qu’à des salaires minables ne permettant même pas un minimum de survie ou, laissant, la plupart du temps, les jeunes sans aucun emploi (5). Le FIS rassemble les cohortes des prolétaires exclus du système scolaire ainsi que les bataillons de diplômés de l’enseignement arabisé. Les seuls emplois qui valent encore un peu la peine sont ceux comme employés dans la « fonction publique », mais ils ne sont accessibles que par pistons interposés. Le FIS utilisera tous ces mécontents en leur fournissant des rôles revalorisés dans ses propres rangs.

De la guerre électorale à la guerre tout court

La création du FIS en 1989 n’était rien d’autre que l’addition de différentes fractions bourgeoises essayant de créer un rapport de force contre une autre fraction, celle au gouvernement, le FLN. Malgré leurs intérêts concurrentiels divergents, toutes partagent le même souci, celui de vouloir à tout prix contrôler des prolétaires en ébullition. Depuis 1988, le FIS s’est fondu dans les revendications des prolétaires en s’appropriant leurs mécontentements. Toutes les tendances sont d’accord pour faire « de la mobilisation populaire le bras armé de leurs revendications ». L’homogénéité de façade du FIS volera en éclat sur l’autel des revendications électorales pacifiques, incapables de calmer les prolétaires, prônées par certains de ces membres. Madani en tête. Les dissensions internes reposent sur des luttes de pouvoir et des divergences tactiques: la question est : comment ramener la paix sociale ? Par des élections ou en organisant la lutte armée ? L’hétérogénéité du FIS repose sur le tiraillement entre d’une part, la nécessité de brider des prolétaires exaspérés par la misère, ce qui le pousse à des discours et pratiques plus combatifs, et d’autre part à la nécessité d’avoir une représentation légale pour défendre sa place vis-à-vis des autres fractions bourgeoises. Pour le FIS, il s’agit de concilier l’encadrement des prolétaires avec la guerre concurrentielle que se livrent les différentes fractions bourgeoises. Tous les débats portant sur le légalisme (liés aux campagnes électorales) et illégalisme (liés au développement d’une action de guérilla) serviront aussi à détourner l’attention des prolétaires de leurs revendications de classe et à l’amener à se polariser par rapport à ces deux mâchoires du même piège.

Le SIT, Syndicat Islamique du Travail, instance créée par le FIS, tentera aussi d’encadrer et d’utiliser à ses propres fins les ardeurs des prolétaires en lutte. Les jeunes générations de militants du FIS écartées des instances nationales auront pour fief le SIT, jeunes militants dont certains deviendront, par la suite, chefs des groupes armés. Ces militants du SIT séviront dans les quartiers urbains pauvres et auront de plus en plus d’audience grâce à leurs discours contre l’ordre établi. Ce sont ces travailleurs sociaux radicaux et opportunistes prônant la « désobéissance civile, moyen terme entre l’action politique et l’action armée »« le peuple doit refuser au régime de lui accorder sa confiance, cesser de coopérer avec celui-ci et boycotter ses institutions, ayant aussi pour objectif de renverser le régime tyrannique qui fait de la démocratie un des moyens destinés à inciter l’individu à plier devant ses oppresseurs. » Mekhloufi, chef du SIT, faisant partie de la jeune garde du FIS prônera en substance que « la contestation isolée n’ayant pas d’avenir, seule l’action syndicale et politique est susceptible de préparer les ouvriers et les membres des autres couches sociales moralement et matériellement à œuvrer à l’instauration d’un Etat islamique qui assurera la justice afin d’éliminer les contradictions et les antagonismes entre les individus et les institutions. » En février 1991, lors de la première conférence du SIT, Mekhloufi menace le gouvernement de guerre civile (ce qui ne plaît pas à la vieille garde légaliste du FIS). En janvier 1992 il organise un des principaux maquis islamistes.

Ces fractions radicales du FIS joueront ultérieurement un rôle de premier plan pour l’encadrement et le dévoiement des prolétaires dans la guerre qui éclatera par la suite. Mais elles mettront en même temps dans une position délicate les fractions parlementaristes du FIS puisque ces dernières sont partisanes de négociations pacifiques et électorales prêtes à gérer l’austérité de concert avec le gouvernement du moment.

Le FLN n’a jamais été opposé à l’encadrement du prolétariat par l’islam. Le FIS sera donc reconnu, légalisé et cela en dépit, il est plus exact d’affirmer ici clairement à cause, de ses discours récupérateurs radicalement hostiles au gouvernement (il n’est pas anecdotique de constater que bon nombre des cadres du FIS viennent du FLN), et en contradiction flagrante d’ailleurs avec les nouvelles dispositions constitutionnelles démocratiques (qui stipulent par exemple que « l’association politique ne peut fonder sa création et son action sur une base exclusivement confessionnelle »).

Pendant ce temps, le FLN, lui, continue à se décrédibiliser y compris auprès des autres fractions bourgeoises. Il est de plus en plus divisé et de nombreux militants quittent le parti pour adhérer aux autres formations politiques, dont en premier lieu le FIS. Ce dernier emporte la majorité des mairies aux élections municipales en juin 1990 : il a bénéficié de sa structuration nationale, d’un vote de sanction contre le FLN et du concours de ce dernier et des autres partis (FFS) qui veulent le mettre en selle car susceptible de maîtriser les explosions sociales (6). En juillet 1990, A. Madani, secrétaire général du FIS, ancien gradé de l’Armée Nationale Populaire, se déclare prêt à gouverner avec d’autres partis après les législatives : des contacts ont lieu avec le FLN.

Lorsque le FIS commence à être plus directement, plus centralement impliqué dans la gestion de la misère, certaines de ses fractions opérant sur le terrain, hésitent de moins en moins à ouvertement appliquer la terreur ouverte contre les prolétaires : assassinats, attentats, séparation des sexes dans les écoles et au travail, constitution d’une police des mœurs islamiques, installation de tribunaux parallèles, interventions musclées des « barbus » contre ceux qui ne respectent pas les interdits vestimentaires, l’interdiction de l’alcool. de la musique moderne, … De son côté, la fraction légaliste du FIS désavoue à plusieurs reprises au fil des années, notamment en octobre 94, « les violences incontrôlées, les exécutions de civils, les pillages, les enlèvements et les viols qui portent atteinte à la dignité des familles. » Cette fraction ne pouvait pas revendiquer les meurtres de prolétaires et attentats à la bombe perpétrés par différents sous-groupes du FIS se revendiquant du même islam : cela nuirait à sa popularité et mettrait en danger ses ambitions électorales.

Les dissensions au sein du FIS rendent difficiles l’encadrement de ses propres troupes et certaines franges de prolétaires qui s’illusionnaient sur la radicalité du FIS vont commencer à s’en désolidariser. Le FIS avait promis l’eau, des logements, du travail, … mais, comme tous les autres partis, il sera incapable d’apporter des réponses globales à la gestion de la crise économique et à la misère qui en découle. Dorénavant, aux yeux de certains prolétaires, le FIS ne fait pas mieux que le FLN, malgré ses promesses, sa démagogie et ses quelques coups d’éclat.

Début juin 1991 : deux ans après l’instauration du multipartisme en Algérie, un an après les élections municipales de juin 1990 donnant la majorité électorale au FIS, et à la veille des élections législatives, prévues pour le 27 juin 1991, des luttes éclatent une nouvelle fois à Alger, comme à Souk Ahras, Tlemcen et Guelma. Une nouvelle fois, c’est par la violence que les prolétaires manifestent leur mépris des réformes en cours.

Et une nouvelle fois, l’Etat s’appuie sur le front uni FIS-FLN pour mâter la combativité prolétarienne. Dans la division des tâches, le FIS assume les tentatives d’encadrement des luttes, en appelant « à la grève générale » pour obtenir « la démission du président Chadli » et une « redéfinition des circonscriptions électorales » (qui lui sont défavorables) : en réalité il s’agissait de récupérer à son profit une vague de grèves sauvages qui paralysaient la production. Par ailleurs, le FIS tente aussi d’occuper le terrain en organisant des marches et sit-in pacifistes à Alger. Ceux-ci débordent aussitôt en affrontements ouverts contre les forces de l’ordre : de nombreux prolétaires attaquent des commissariats, harcèlent les brigades anti-émeutes, érigent des barricades dans les rues qui donnent lieu à de nouvelles vagues d’arrestations.

La bourgeoisie, à ce moment-là se centralise davantage autour de l’état-major de l’armée plutôt qu’autour du FLN en perte de vitesse, divisé et affaibli. D’autre part, la bourgeoisie comprend bien l’importance du FIS pour tenter d’assurer le rétablissement de la paix sociale et lui accorde par conséquence la destitution du gouvernement et la promesse de nouvelles élections législatives et présidentielles. Le FLN de son côté, joue le jeu en laissant faire le FIS : il y aura des négociations entre le FIS et la présidence de la République débouchant sur la démission du premier ministre Hamrouche désigné comme bouc émissaire (remplacé dès le lendemain par son ministre des Affaires étrangères, Sid Ahmed Ghozali) et l’annonce de l’ajournement des législatives. Ceci donne satisfaction au FIS et surtout lui permet de crier victoire. Il en a bien besoin, car la combativité prolétarienne reste importante et le FIS éprouve quelques difficultés à encadrer et neutraliser celle-ci. En même temps, une nouvelle fois, la répression est impitoyable : intervention de l’armée, état de siège, de nombreux morts, des arrestations par centaines.

A peine quinze jours plus tard, le 24 juin 1991, une autre explosion sociale a lieu. Après une suspension du couvre-feu pendant la fête de fin de ramadan (négociée entre le FIS et les cadres dirigeants de l’Armée Nationale Populaire) de nouveaux affrontements surgissent entre prolétaires et forces de l’ordre lorsque ceux-ci réinvestissent les rues. Pendant plus d’une semaine les principales villes sont le théâtre de violents affrontements. Le FIS est complètement dépassé par les événements et se montre incapable de refréner la combativité des prolétaires. C’est uniquement et exclusivement au moyen d’une répression intensive et sans faille que l’Etat impose l’ordre. On dénombre plusieurs milliers de morts (cinquante morts au total selon le gouvernement, trois mille selon la Ligue des droits de l’homme en Algérie) et huit mille arrestations. En plein milieu du désert, des camps d’internement sont érigés pour parquer les insoumis dans des conditions des plus précaires.

La capacité insuffisante du FIS à contenir les prolétaires, décide de son sort immédiat : le 30 juin 1991, huit des leaders du FIS, dont les chefs historiques, A. Madani et A. Belhadj, sont arrêtés, sa presse interdite et ses bureaux fermés. Ces quelques mesures spectaculaires sont prises en marge de la répression sanglante contre les prolétaires en révolte et pour laquelle la direction du FIS a donné tacitement son feu vert, notamment pour réprimer les éléments incontrôlés dans ses propres rangs. Même si elle est momentanément écartée, l’option FIS reste une carte de premier plan pour le gouvernement. D’autant plus que le fait que la répression mette dans le même sac prolétaires en lutte et FIS renforce l’idée selon laquelle le FIS est du côté de la lutte prolétarienne. C’est un moyen éculé de la bourgeoisie pour recrédibiliser l’image des partis de la contre-révolution desquels les prolétaires commencent à prendre distance ; c’est une façon de rendre plus difficile la nécessaire identification de nos ennemis de classe. Ainsi le secrétaire général du FLN, M. Abdelhamid Mehri exprime, au moment même, son espoir de pouvoir constituer un gouvernement d’union nationale avec le FIS afin de « garantir au pays une période de stabilité de deux ou trois ans ». En même temps, la participation du FIS aux élections législatives reportées au mois de décembre 1991, n’est pas mise en cause ; le 18 novembre 1991, les journaux du FIS sont à nouveau légalisés !

Deux semaines plus tard, une nouvelle émeute éclate à Alger.

Le premier tour des élections législatives, le 23 décembre 1991, voit la victoire électorale du FIS. Les milieux d’affaires ne sont pas inquiets à Alger car ils ne redoutent pas le FIS, mais la rue ; en effet, pour nombre d’entre eux, le FIS semble être encore le plus en mesure de « tenir la rue » .


En schématisant, on peut affirmer à partir de la fin 1991 un revirement s’opère dans la stratégie du gouvernement en Algérie. Sans vouloir séparer ici les différents moments de la stratégie contre-révolutionnaire, sachant que ces moments se combinent dynamiquement et qu’à chaque instant c’est l’antagonisme fondamental prolétariat/bourgeoisie qui reste le moteur de la politique bourgeoise, nous pouvons distinguer schématiquement deux phases :

_ de la décrédibilisation du FLN à la victoire électorale du FIS :

une première phase de repolarisation bourgeoise avec, au sein des différentes forces politiques bourgeoises, une division du travail à l’intérieur d’un front uni contre le prolétariat. Le prolétariat est encore combatif et c’est cette combativité qui oblige la société à réagir « audacieusement » en bouleversant l’équilibre antérieur entre les différentes forces bourgeoises (instauration du multipartisme). Mais il nous faut souligner que le prolétariat reste néanmoins incapable ici d’affirmer pleinement son autonomie de classe et son projet communiste propre, impuissant à désigner clairement le FIS comme son ennemi et tolérant sa présence fourbe à ses côtés. La répression sanguinaire fait d’autant plus facilement son oeuvre. Les différentes formes politiques parti unique, multipartisme, « Etat islamique » …. ) ont la même fonction essentielle d’encadrer le mouvement prolétarien, de briser son indépendance et de désorienter les prolétaires avant de les massacrer.

_ de l’écartement du FIS au Haut Conseil de Sécurité :

une deuxième phase où la polarisation entre fractions bourgeoises devient plus accentuée, en partie liée à un épuisement (relatif mais réel) de l’énergie prolétarienne et une perte grandissante de son autonomie avec l’enrôlement de certaines franges de prolétaires sous les commandes de l’une ou plusieurs des fractions bourgeoises en présence. L’absence d’une centralisation révolutionnaire effective – dans le temps et dans l’espace, historiquement et à l’échelle internationale – se concrétise, dans les moments plus décisifs de l’action, par le manque de structures organisatives, de consignes claires, de perspectives, par l’absence de continuité dans la direction. Si l’instinct de classe suffit pour reconnaître des lieux à exproprier, certains ennemis auxquels s’affronter …. dès que l’on passe à une phase plus décisive de la lutte et que la bourgeoisie présente des facettes plus subtiles, le manque de clarté du prolétariat quant à ses objectifs de classe fait que la lutte tend à quitter le terrain de la lutte contre la totalité du système et s’enlise dans des terrains qui ne sont pas les siens, comme le fait de prendre parti pour l’une ou l’autre alternative bourgeoise. Ces fractions bourgeoises arrivent alors à enrôler certaines franges du prolétariat derrière leurs banderoles réformistes, dans une lutte non plus contre le capitalisme et tous ses défenseurs mais dans une lutte politique propre à la bourgeoisie : contre la « dictature », contre tel gouvernement, tel ministre, contre telle mesure impopulaire, ou pire encore : pour la démocratie, pour l’autonomie régionale ou pour l’Islam.

Durant cette deuxième phase, les antagonismes inter-bourgeois se ravivent donc. Néanmoins le maintien de la combativité ouvrière (relativement à ce qu’il se passe ailleurs et par rapport aux exigences de l’économie nationale et internationale) et d’autre part l’incapacité du FIS à restaurer l’ordre et à défaire plus durablement les prolétaires, déterminent l’inutilité provisoire du FIS en tant que partenaire social et par conséquent la caducité d’un front uni entre le FIS et les autres fractions bourgeoises. Par ailleurs, l’impact relatif du « processus de démocratisation » en cours ayant pour but de pacifier les prolétaires, rend le FIS plutôt superflu. Le processus se solde donc par l’avènement d’une équipe dirigeante relativement homogène, soudée autour d’un des piliers de l’Etat – l’état-major de l’armée – assumant ouvertement, sans autre fard idéologique, sa nature terroriste. Cet état-major, regroupé au sein d’un Haut Conseil de Sécurité (sa dénomination exprime bien son programme) assume la gestion de l’Etat, la répression des prolétaires en lutte, et, repoussant le FIS vers une survie dans des conditions de quasi clandestinité (on connaît évidemment toute la duplicité ayant toujours cours entre partenaires bourgeois) – il l’élimine provisoirement de la scène politique sauvegardant ainsi les conditions de son retour ultérieur. La répression ouverte du FIS, liée à son incapacité de contrôler ses propres troupes, met le FIS dans une situation où il peut soigner son image d’idole/martyr et entretenir parmi ses troupes une combativité que la bourgeoisie met ainsi en réserve pour faire en sorte que, lorsque le prolétariat reprend la lutte, il fasse sienne la perspective islamiste et non pas sa lutte de classe autonome face à toutes les fractions bourgeoises. Il est à noter que ce processus de militarisation de la société, de redéploiement de la torture et des exécutions sommaires, jugés indispensables à la restauration de la paix civile en Algérie, reçoit l’approbation des médias et des principaux partis, en Algérie comme à l’étranger. Pratiquement sans aucune exception, la répression et l’instauration de l’état de siège sont saluées comme un moindre mal afin de sauver le pays « du chaos et de l’obscurantisme » et pour mieux garantir la sauvegarde du « processus démocratique ». C’est au nom de cette sauvegarde que dès janvier 1992 des rafles massives ont lieu. Ce sont plusieurs milliers de soi-disant militants et sympathisants du FIS ou supposés tels qui sont internés dans des camps édifiés en catastrophe dans le grand Sud (Reggane, Oued Namouss, Ain M’Guel, …). (7)

Le 9 février 1992 le Haut Comité d’Etat proclame l’instauration de l’état d’urgence après une nouvelle vague de luttes et d’émeutes qui touchent 26 des 48 wilayas (départements) du pays. Dans les quartiers des villes une multitude de groupes de prolétaires se soulèvent et rendent la tâche de contrôle difficile pour toutes les fractions bourgeoises en présence. Ces soulèvements pour l’autodéfense des quartiers contre les intrusions des brigades anti-émeutes n’ont pas été des actions concertées ou dirigées par le FIS. Les prolétaires s’insurgent contre les infiltrations et incursions régulières des services de sécurité et organisent la lutte armée pour la défense des quartiers. Ces embrasements dans les villes se soldent par des arrestations massives (entre mille et deux mille), des centaines de blessés et plusieurs dizaines de morts (la presse donne rarement des indications au sujet de « quels » morts il s’agit, amalgamant évidemment nos frères de classe qui se font assassiner en combattant pour l’abolition de cette société de misère, et de l’autre côté, les chiens-flics de toutes espèces qui tombent en la défendant). (8)

De leur côté, les fractions islamistes interdisent toute activité après 15h. « En travaillant, vous aidez Pharaon ! N’attirez pas sur vous la colère des moudjahiddin ! » Elles tentent d’imposer leur terreur dans les quartiers ouvriers notamment par l’obligation de payer un « impôt révolutionnaire ». Qui ne paie pas risque sa tête.

Mais, pour la bourgeoisie, la situation n’est toujours pas gagnée. Au sein de l’armée, les désertions se sont multipliées pendant toute l’année 1992. Selon les services de renseignements français, ce sont des déserteurs de l’armée – officiers, sous-officiers et soldats -, sans aucun lien avec le FIS, qui tendent pendant un an et demi des embuscades à l’armée régulière algérienne. Alors que selon la version officielle, il n’y a que des islamistes dans les maquis, la liste des embuscades impliquant des déserteurs s’allonge. En avril 1992, à N’Gaous, dans les Aurès, une véritable bataille a opposé pendant cinq jours environ une centaine de déserteurs de Batna à cinq cents soldats de l’ANP. Pour arriver à bout de ces troupes, équipées de lance-roquettes multiples, l’armée a dû faire intervenir des hélicoptères d’attaque. En juin 1993, à 70 kilomètres au sud-ouest d’Alger, à Chréa, quarante gendarmes d’une unité antiterroriste ont été tués, après avoir été attirés dans un piège par une troupe similaire qui prétendait les mener à un dépôt d’armes du FIS, dans une région montagneuse. Certains militants ont fait état de l’existence de plus de 600 noyaux de combattants sur l’ensemble du territoire :

« ces groupes naissent plus ou moins spontanément. Deux tiers de ces groupes vivent dans les villes ou les villages. Comme des poissons dans l’eau. Ils sont aidés, informés, protégés par la population. L’autre tiers est composé de bidasses qui ont pris la poudre d’escampette pour former avec des fugitifs une dizaine de maquis. Sans aucun lien pour l’instant avec le Mouvement Islamique Armé d’Abdelkader Chebouti, ils tendent depuis vingt mois des embuscades à l’ANP. » (9)

A cette époque, le gouvernement – par la voie de l’ancien premier ministre Sid Ahmed Ghozali – reconnaissait ouvertement et de manière incroyable la réalité de ce qu’ils essayent toujours d’occulter. Il disait devant des hauts fonctionnaires français « qu’il ne (ait aucun doute que 90 % de la population rejette à la fois l’Etat et le pouvoir ». Et, devant faire face à l’éruption d’un climat de révolte et de violence endémique, le gouvernement poursuit sa politique de répression ouverte et massive: instauration du couvre-feu dans dix départements, tribunaux d’exception, torture, condamnations à mort, délation, interdiction des rassemblements et des grèves, ratissages, exécutions sommaires, …

Durant l’année 1993, certains quartiers d’Alger restaient la nuit aux mains des groupes de jeunes prolétaires qui y érigeaient des barricades de fortune et n’hésitaient pas à aller provoquer et harceler les forces de l’ordre. Il semble que ces groupes d’auto-défense restent confinés aux limites des quartiers et ne cherchent pas à s’étendre ni à se centraliser autrement. Dans les usines, les sabotages faisaient légion, au grand désespoir de l’UGTA. Malgré la répression, dans certains quartiers et usines, des assemblées régulières réunissaient de nombreux prolétaires pour y dénoncer leur misère, analyser la situation, discuter politique, cracher leur haine des partis, s’organiser pour résister, … Les attentats se sont multipliés à la même période et depuis n’ont fait que s’intensifier, contre les pylônes électriques, contre les lignes téléphoniques, contre les stations de radio et de télévision, braquages, incendies volontaires d’entrepôts, d’usines et de champs, vols dans les entreprises et les entrepôts d’essence, mise à sac de mairies et de bâtiments administratifs, dynamitages, pillages de magasins, … A cela s’ajoute une liste interminable d’assassinats de policiers, gendarmes et militaires.

Parallèlement à cela, depuis avril 1993, quinze mille militaires sont mobilisés pour appuyer les brigades d’intervention de la gendarmerie et de la police autour de la capitale. Trois cours de justice ont été mises en place en février 93 à Constantine, Oran et Alger. Un décret fixe à 16 ans au lieu de 18 la responsabilité pénale et prolonge la garde à vue jusqu’à onze jours et les condamnations vont de cinq ans à la peine de mort. L’identité des magistrats reste secrète et sa divulgation est condamnée de deux à cinq ans de prison. Les patrouilles de « Ninja », troupes de choc de la bourgeoisie, terrorisent les prolétaires quotidiennement dans les villes.

Fin janvier 94 s’est tenue à Alger la « Conférence nationale de consensus » devant désigner le général Zéroual – ex- et actuel ministre de la Défense – comme nouveau Président de la République, et cela pour une nouvelle « période de transition » de trois ans. Il s’agissait en même temps d’une énième tentative pour relancer le processus de reconnaissance et de cooptation politique entre les différents partis. Cette conférence, boycottée par la plupart des partis, était révélatrice de la force avec laquelle les contradictions qui traversent la société éclatent au grand jour et des difficultés que rencontre l’Etat pour faire face à l’explosion de ses contradictions.

Dans le même ordre d’idée, en janvier 95 s’est organisé à Rome, sous les auspices de l’association catholique Sant’Egidio, une réunion d’élaboration pour un « contrat national » entre huit partis bourgeois algériens (10). En est ressortie une plate-forme qui devait permettre des négociations gouvernement/opposition. Cette nouvelle tentative de conciliation ne représente rien d’autre qu’une alliance de différents partis bourgeois candidats à la gestion de l’austérité en Algérie tentant de créer une alternative bourgeoise susceptible de se vendre aux prolétaires.

Comme nous l’avons écrit, les différents moments de stratégie contre-révolutionnaire se recoupent. Il est à souligner que toutes les alternatives restent intactes pour faire face à un possible resurgissement ultérieur du prolétariat, et plus particulièrement, l’alternative du FIS qui peut alors se prévaloir d’avoir été réprimé par le gouvernement en place, d’avoir été jeté en prison, ses militants sacrifiés, etc. et qui de ce fait y gagne des capacités de mystification et d’encadrement renforcés sur une partie des prolétaires.


De 1988 à aujourd’hui la répression féroce qui s’abat sur le prolétariat prend une dimension exponentielle que cela soit par le FLN, l’armée, le FIS, UGTA, FFS, … ou par la multitude de groupes surgis de l’éclatement du FIS. La guerre bourgeoise qui se développe tend à liquider la lutte prolétarienne et à prendre chaque prolétaire en otage : celui qui ne se détermine pas pro-FLN est réprimé comme pro-FIS et vice versa. Les assassinats journaliers, les bombes dans les marchés aux heures de grande affluence – ou dans des écoles, les massacres réguliers notamment dans les prisons de Berrouaghia (1994) et de Serkadji (1995) – les disparitions par centaines, la torture qui se généralise, les morts anonymes enterrés à la sauvette, les corps mutilés, décapités jonchant les routes, … sont le lot quotidien des prolétaires. La myriade de groupes armés qui a surgi tout au long de ces dernières années : « Armée du prophète Mohamed », « Fidèles au serment », « Djihad 54 », « Forces islamiques mondiales des combattants d’Allah », et autres GIA, MIA, AIS, … ne sont ni plus ni moins que des fractions bourgeoises en guerre contre le prolétariat au même titre que le FLN, HCR, UGTA, FIS et autres FFS, … chaque fraction essayant d’enrôler comme chair à canon les prolétaires dans ses rangs, Un exemple, parmi d’autres, de recrutement forcé, c’est le service militaire obligatoire. Quand un prolétaire est en âge de « servir le pays », il est plus que probable qu’il soit envoyé risquer sa peau au front (contre les « groupes armés » dans les villes ou les maquis). Ceci le mettant lui et sa famille en danger car considéré comme traître par les GIA et autres. S’il refuse le service il est persécuté par le gouvernement. Beaucoup de ces jeunes prolétaires pris entre deux feux sont obligés de prendre le maquis dans les montagnes ou condamnés à la clandestinité dans les villes pour échapper aux rafles, au service militaire, bref à la teneur des deux camps. Mais de nouveau, dans ces maquis où ils croyaient échapper à la répression tous azimuts, ils se retrouvent confrontés aux « groupes armés », ils se retrouvent confrontés à devoir choisir un autre camp qui n’est pas le leur et sont enrôlés de force ou tout simplement parce qu’ils ne savent ni quoi faire ni où aller. Dans ces conditions, il va de soi que s’il n’existe pas de réseau prolétarien, que si les réponses à la répression ne sont qu’individuelles, il est impossible pour un prolétaire de survivre seul durablement que cela soit dans les montagnes ou dans les villes. Cela ne peut que le pousser dans les bras d’une des armées en présence. Mais cette réalité est à double tranchant car elle peut produire des décantations et faire surgir des réponses organisatives plus clairement prolétariennes c’est-à-dire contre toutes les fractions bourgeoises en présence : gouvernement, islamistes, groupes marxistes-léninistes, staliniens, … (11). Il semble que dans certaines villes des groupes d’auto-défense prolétariens se soient développés pour résister à ces enrôlements forcés.

Le règne de la terreur bourgeoise est total et se renforce grâce à l’amalgame qui est maintenu par toutes les fractions bourgeoises qui s’opposent notamment lors des ratissages et massacres où les prolétaires en lutte sont systématiquement accusés et arrêtés par les uns comme étant sympathisants, militants et cadres du Front Islamique du Salut ou réprimés par ceux-ci comme étant sympathisants du gouvernement. Ceci rendant la situation très confuse et permettant de mieux isoler les prolétaires d’avant-garde, de les couper encore davantage de leurs frères de classe au sein des luttes en rendant extrêmement difficile la démarcation classiste par rapport aux forces bourgeoises qui s’affrontent.

Partout à l’extérieur de l’Algérie, les autres Etats participent pleinement à l’offensive anti-prolétarienne en cours en imposant le black-out total des informations concernant la lutte de nos frères de classe là-bas, en imposant la mystification d’un affrontement entre fractions bourgeoises FLN-FIS-GIA uniquement, niant toute expression prolétarienne dans ce qu’il se passe en Algérie. Ce qui bien sûr ne permet à aucun prolétaire d’ailleurs de se sentir solidaire. L’image d’une violence absurde, d’un affrontement incompréhensible entre des forces obscures amalgamant allègrement les assassinats de jeunes filles, journalistes, artistes, … avec des attaques de commissariats, casernes, … voilà tout ce qui transperce des luttes de notre classe en Algérie depuis 1988 !

Comme toujours, l’Etat cherche à noyer nos actions classistes dans la condamnation hypocrite d’une prétendue violence aveugle, non ciblée, amalgamant toutes les manifestations violentes qui s’expriment dans la société, celles de notre classe et celle des forces bourgeoises qu’elles soient gouvernementales, islamistes, nationalistes, … pour mieux nous désarmer et nous pacifier. L’Etat condamne évidemment la violence en général dans le but de désarmer les prolétaires et de se préserver le monopole exclusif de l’exercice systématique de la terreur. Il s’agit d’une stratégie contre-révolutionnaire éprouvée, appliquée systématiquement partout où notre classe a pu reprendre le chemin de la lutte intransigeante contre l’Etat (cf. les campagnes anti-terroristes à l’échelle de la planète). En Algérie, cela s’est manifesté par l’identification de toute action année avec les pratiques de guérilla menée par les « groupes islamistes » (GIA, MIA, … ) niant toute existence de rupture prolétarienne par rapport à cet encadrement. Pour la presse bourgeoise il n’existe que des attentats islamistes. L’amalgame est d’autant plus facile que la polarisation « groupes islamistes clandestins contre forces gouvernementales » agit comme réelle force de répression des forces prolétariennes. Le fait que certains prolétaires soient contraints d’intégrer des réseaux ou simples noyaux « islamistes » pour tenter de se protéger de la répression, exprime la difficulté pour le prolétariat de s’affirmer comme force autonome et de se doter de ses propres organes de lutte.


L’instauration de l’état de siège n’est pas une simple péripétie du « processus de démocratisation » en cours en Algérie ; ce processus, sous la haute protection des blindés et des forces spéciales, avait été mis en route par l’Etat bourgeois en réponse aux émeutes d’octobre 1988 pour faire face à l’aggravation de la situation économique et sociale. Dans la plupart des pays du monde nous assistons aujourd’hui à des scénarios identiques : multipartisme, « ouverture démocratique », mesures draconiennes attaquant les conditions de vie des prolétaires, application ouverte de la terreur d’Etat « pour protéger le processus démocratique en cours », torture, exécutions, lois d’exception, disparitions se généralisant, etc. A Los Angeles, au Pérou, en Afrique du Sud, en Algérie ou en Russie, partout où notre classe résiste à l’exploitation, l’Etat capitaliste mondial montre ouvertement la véritable nature de son système de misère et de mort, à savoir que sa fameuse devise « liberté, égalité et fraternité », son règne démocratique se bâtit sur l’amoncellement des cadavres de nos frères de classe tombés au cours des luttes.

La situation de crise économique qui en Algérie comme partout, signifie ralentissement et fragilisation du processus d’accumulation capitaliste, avive les contradictions propres au système capitaliste et exacerbe les antagonismes de classes. La « question de la dette » en est une expression. En Algérie, elle est de l’ordre de 26 milliards de dollars, son service absorbe 75 % des recettes tirées des exportations algériennes (hydrocarbures principalement)! Alors que depuis la mi-janvier 94 l’Algérie n’honorait plus que très partiellement le remboursement de sa dette extérieure, le 27 mai le FMI lui accordait un « rééchelonnement » des remboursements, ainsi que deux nouveaux crédits d’un montant total de plus d’un milliard de dollars en échange d’un engagement des autorités algériennes à appliquer un « programme d’ajustement structurel » sévère à l’économie : dévaluation du dinar, suppression des subventions aux produits de base, liquidation des « canards boiteux », licenciements en masse, entre autre dans la fonction publique, … bref, un ensemble d’attaques en règle contre les conditions de survie précaires des prolétaires ! Ces nouveaux arrangements financiers et politiques entre capitalistes illustrent la solidarité dont bénéficie l’Etat algérien de la part des autres puissances impérialistes face aux risques de déstabilisation sociale. La violence de ces dernières mesures anti-prolétariennes met en lumière la profondeur de la crise en Algérie Les années qui viennent sont sous les mêmes hospices que les précédentes : austérité, guerre, … Pour 1996, les accords entre le FMI et le gouvernement sont non seulement maintenus. mais renforcés, les négociations se portent sur 1,5 milliard de dollars, ainsi que les accords habituels avec la France qui accorde chaque année 6 milliards de francs français. Non seulement il s’agit de continuer le plan prévu en 1994, mais bien sûr de le renforcer, notamment par une réforme du système fiscal ; en effet la situation est telle que le gouvernement n’arrive à pomper fiscalement que le secteur public et les fonctionnaires qui sont soumis au régime du prélèvement à la source, le but est évidemment d’imposer un maximum de gens. Les privatisations des entreprises publiques (assurances, distribution, tourisme, …) sont prévues, le nombre de licenciements est estimé à 200.000 rien que pour ce secteur tandis que les entreprises Jugées non rentables seront tout simplement fermées. Les plans prévus pour les trois ans à venir sont clairs : toujours plus d’austérité pour les prolétaires, et c’est possible grâce à la guerre qui sévit là-bas. Tous ces milliards investis en Algérie servent aussi à financer l’entretien des opérations militaires, des effectifs de 2.000 à 3.000 soldats d’élite sont disponibles pour réduire les maquis de quelques centaines d’hommes. Le tout accompagné de tirs d’artillerie, bombardements aériens. Le milliard de dollars de 1994 a servi à acheter des stocks de munitions, des hélicoptères Écureuil, des systèmes de vision nocturne ainsi qu’à augmenter les soldes et primes des troupes engagées dans les opérations de guerre interne. La durée du service militaire a été allongée dans plusieurs contingents.

L’alternance et ou la concomitance du processus électoral avec la répression massive, les aller-retour entre reconnaissance et interdiction du FIS, les « plate-forme » de Rome et autres « Conférence nationale du consensus », le FLN débouté par l’année, la création du HCR et autres instances, la répression ouverte, la torture, … sont tous des moments de la guerre que mène la bourgeoisie contre le prolétariat. La guerre électorale (12) s’est montrée inefficace à restaurer une paix sociale durable et s’est transformée en guerre tout court, guerre qui permet de continuer à imposer les nécessaires mesures d’austérité au prolétariat. Ainsi, même si des émeutes de quartiers, grèves (13) continuent à surgir régulièrement montrant un prolétariat qui continue à se battre, il semble que le rapport de forces soit globalement en faveur de la bourgeoisie. Si des noyaux de prolétaires continuent de résister, bravant quotidiennement le terrorisme capitaliste, la récente décantation qui s’est opérée au sein du « mouvement islamiste » constitue la réponse directe de l’Etat face à la persistance de cette combativité. Le FIS prétend aujourd’hui contrôler une grande partie de la « mouvance armée islamiste » en l’ayant agglomérée au sein d’une « Armée islamique du salut » sous la houlette d’une direction nationale unifiée et inféodée aux directives politiques du FIS – une évolution qui renforce la respectabilité de « l’islamisme modéré » aux yeux des autres fractions bourgeoises, tandis que le GIA (Groupe Islamique Armé), responsable d’actions plus spectaculaires et plus mystificatrices (anti-étrangers, anti-Occident, avec des mots d’ordre autonomistes comme « ni Est ni Ouest ») prétend regrouper les éléments les plus radicaux et jusqu’au-boutistes en lutte contre le gouvernement, ne cesse de voir ses rangs grossir. Les prolétaires restent prisonniers des pratiques réformistes de toutes ces fractions qui se sont créées durant ces quelques années. De plus, à aucun moment, durant ces sept dernières années, d’autres révoltes dans les pays limitrophes ne sont venues consolider les moments de détermination et de force du prolétariat en Algérie La faiblesse tragique des niveaux de centralisation internationaliste entre les éléments révolutionnaires de notre classe ne fait que renforcer les frontières géographiques et idéologiques dans lesquelles les Etats enferment les luttes prolétariennes.

Le niveau de terreur étatique que la bourgeoisie met ouvertement et quotidiennement en oeuvre à très grande échelle, dans la situation d’isolement des luttes que nous venons d’évoquer ainsi que l’incapacité du prolétariat a s’autonomiser des partis réformistes, finit par achever sa combativité.

La situation actuelle en Algérie constitue une confirmation éclatante de ce que notre classe manque cruellement de structuration internationale des contacts, de capacités à coordonner et à diriger les luttes en dehors et contre toutes les structures de l’Etat bourgeois, en fonction de l’internationalisme prolétarien et du programme de révolution de fond en comble de ce système pourri.


(1) En Iran, d’une manière générale, après 15 ans de gestion « islamiste », les mosquées se vident et la prière dans la rue n’attire plus que quelques fanatiques. La religion comme ciment de la société, comme garant de la paix sociale, fait de moins en moins recette -si tant est qu’elle le fit jamais. Elle est totalement identifiée à l’Etat oppresseur et rejetée comme telle ! Ainsi le 5ème anniversaire de la « révolution islamique » fêtée en grandes pompes en février 94 fut troublé par un attentat contre le président Rafsandjani et par des émeutes à Zehadan ainsi que dans tout le Sistan-Baloutchistan où les prolétaires ont attaqué des bâtiments où siège le gouvernement, des banques, etc. Quand on pense que toute « atteinte à l’Islam » est passible de la peine capitale selon le code islamique en vigueur!

(2) Pour plus d’éléments sur les « caractéristiques générales des lottes de l’époque actuelle », lire notre article à ce sujet dans Communisme n° 39 datant d’octobre 1993.

(3) Le déficit du logement est évalué à quatre millions alors que la demande annuelle est de 150.000 logements supplémentaires. L’accès au logement dépend des magouilles ou du prix fort que l’on peut payer aux agents du gouvernement (principal pourvoyeur en logements, terrains, matériaux de construction, … ).

(4) Les chiffres du chômage en 1991 atteignent le million et demi et 80% des chômeurs ont moins de trente ans.

(5) Chaque année ce sont 700.000 nouveaux élèves qui entrent dans les écoles et 400.000 d’entre eux se retrouvent sans diplôme.

(6) Il est à noter ici que la non participation aux élections comme électeur implique toute une série de tracasseries administratives notamment l’impossibilité d’obtenir des papiers officiels, marquant le prolétaire refusant de jouer dans le cirque électoral comme incivique.

(7) Parallèlement à la répression qui s’intensifie, comme souvent lorsque la restauration de la paix sociale l’exige. l’Etat va chercher un représentant ailleurs pour «sauver la patrie». Ici, pour présider au Haut Comité d’Etat – nouvelle instance dirigeante de l’Algérie avec mandat jusqu’à fin 1993 – la bourgeoisie rapatrie du Maroc un ancien nationaliste de la guerre d’indépendance, Mohamed Boudiaf, un vieillard de 72 ans, qui, après 28 ans d’exil sera assassiné à peine, six mois plus tard, en juillet 1992.

(8) Signalons encore que de nombreux cadres ont préféré abandonner l’Algérie à son sort, cherchant refuge sous des cieux plus cléments. Hommes d’affaires, membres de la nomenklatura, personnel diplomatique, juges, … se sont regroupés dans des zones strictement protégées par l’armée et facilement évacuables par air et par mer en cas d’émeutes. Des familles d’officiers supérieurs souvent ont déjà quitté le pays. Les demandes de départ à la retraite anticipée de policiers et gendarmes se multiplient Des navires de guerre patrouillent en permanence au large des côtes.

(9) Informations reprises de la brochure « Des volontaires pour la deuxième guerre d’Algérie » (« Réseau Sirocco » – novembre 93). Cette brochure contient beaucoup d’informations sur la situation en Algérie. Si elle remédie ainsi à une carence existante au sein de notre classe – le manque d’informations sur nos luttes – elle n’en véhicule pas moins des concessions graves à l’idéologie dominante. Comme cela semble être à la mode aujourd’hui (il s’agit en réalité d’une énorme campagne de mystification démocratique et anti-prolétarienne) il se trouve de plus en plus de prolétaires reprenant à leur compte les conceptions a-classistes que les média distillent jour après jour. Ainsi, sous le prétexte fallacieux de ne pas utiliser « la langue de bois », de ne pas « tomber dans le politicisme » et à force de vouloir à tout prix se démarquer de toute tentative organisationnelle, ils en arrivent à reproduire – involontairement – les mêmes clichés du langage journalistique que pourtant ils affirment exécrer. Ainsi la brochure conclut: « Il s’agit maintenant pour nous de dépasser avec vous, amis du dissensus, (sic !) les limites matérielles et les carences dans la coordination. Non point bavarder, disserter, disputer au sein d’une secte avide de pureté théorique ; mais établir une alliance franco-maghrébine (re-sic !) durable qui reliera les foyers de tensions et apportera une aide concrète et directe ; avec des individus sans qualité (re-sic !) ayant pris le risque de mettre en commun du idées et des sensibilités différentes (re-sic !). » Pour le « Réseau Sirocco », comme pour les journaleux et tous les commis de l’Etat, il n’y a pas de classes et il n’existe pas d’orientations programmatiques et historiques du mouvement communiste. Il n’y a que des individus avec des idées et des sensibilités ! Ainsi l’internationalisme pour eux devient une question « d’alliances », de « coopération », d’individus ayant des idées. C’est une négation néfaste des exigences de la lutte internationaliste, des besoins de centralisation de notre mouvement autour du programme communiste. Comment se dire internationaliste quand on laisse à chacun dans son coin – «selon ses idées et sensibilités » le soin (ah, cette fumeuse « liberté » pourtant tant décriée dans certains milieux « radicaux » !) de définir ce qu’il préfère penser, écrire, entreprendre, préconiser, … et quand on fonctionne soi-même suivant les opportunités, les bonnes idées d’un jour, les « bons contacts » sans lendemain. Pour plus de précisions au sujet de notre lutte coutre l’idéalisme et l’apologie de l’individu au sein de notre classe, le lecteur peut se référer, entre autre, à l’éditorial paru clans Le Communiste n °26 de février 1988.

( 10) Ces 8 partis sont : la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme, le Front de libération nationale (FLN), le Front islamique du salut (FIS), le Front des forces socialistes (FFS), le Mouvement pour la démocratie en Algérie, le Parti des travailleurs (trotskiste !), le Mouvement de renaissance islamique (Ennahda), Jazaïr musulmane contemporaine.

( 11) Pendant la guerre Iran/Irak la situation était similaire, les déserteurs se retrouvant en masse dans les montagnes ont été obligés pour survivre de s’organiser. Ceux qu’on a appelés peshmerghas (combattants) exprimaient deux réalités : d’une part la tentative de réponse prolétarienne contre la guerre et d’autre part, la tentative de récupération et d’encadrement bourgeois de tous ces prolétaires en fuite. C’est ainsi qu’on a pu voir des groupes de peshmerghas qui étaient totalement contre-révolutionnaires (nationalistes kurdes, staliniens, …) et d’autres en rupture avec les idéologies de la contre-révolution.

(12) II va de soi que les illusions électorales font des périodes pré-électorales des périodes d’accalmie.

(13) Début février 1996 plusieurs centaines de milliers de prolétaires, dont 200.000 du secteur public qui ne sont plus payés depuis 26 mois, se sont mis en grève contre le plan de Ahmed Yahia dit de « l’impôt de solidarité ». Ce qui a occasionné la paralysie de l’aéroport, chemin de fer, écoles, unifs, postes, sidérurgie (SONATRACH), … pendant 2 jours alors que l’UGTA ne voulait qu’une grève symbolique.

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