Article de René Massignon paru dans Inprecor, n° 106, 20 juillet 1981, p. 32-35
A NOUVEAU, le mouvement berbère secoue l’Algérie. Un an après les explosions de Tizi Ouzou, contrairement aux espérances du FLN, il n’a pas été étouffé mais a continué de cheminer dans le cadre de la crise latente du régime. Ce mouvement pour les droits culturels des Berbères s’affirme aujourd’hui comme un point focal des mobilisations contre le régime présidé par Bendjedid Chadli.
A l’occasion du 19 mai, commémoration de la Journée de l’étudiant, de nombreux meetings se sont tenus dans les facultés algériennes : Annaba, Alger, Bejaïa, Oran, etc. Devant l’affluence qu’ont connue ces meetings et prenant certainement la mesure de la tension sociale qui couvait depuis quelques semaines, le régime algérien a pris l’initiative de monter des provocations et de lancer une répression systématique. La meilleure couverture ne pouvait être que les Frères musulmans (extrême droite intégriste islamique) ; la recrudescence de leurs exactions depuis un an permettait cette confusion. C’est affublés de cette étiquette que des nervis du FLN (1) ont attaqué les étudiants à Alger et Annaba. Ailleurs, à Bejaïa, Oran, ce sont directement les CNS (brigades de choc locales) qui ont réprimé.
Saisissant le prétexte des affrontements qui s’en sont suivis, le gouvernement a arrêté de nombreuses personnes, notamment des militants actifs de divers collectifs culturels d’université. Aujourd’hui, ce sont plus de 25 personnes qui ont été emprisonnées ou ont disparu. Le bruit court à Alger que deux d’entre elles auraient été jugées à la sauvette. Les manifestations de solidarité des jours suivants ont été violemment attaquées. Ainsi, la manifestation de femmes de Constantine, où plusieurs dizaines de femmes ont dû être hospitalisées, certaines dans un état très grave. Cela donne une idée des méthodes de Chadli. L’an dernier, c’étaient la garde à vue illimitée, les tortures, les avocats désignés d’office (2). Cette année, ce sont les disparitions, les jugements clandestins, les emprisonnements arbitraires, les matraquages. Le mouvement ouvrier international est habitué à juger avec beaucoup d’indulgence et de modération le régime algérien, au nom d’un romantisme révolutionnaire désuet ou au nom du réalisme des bonnes relations économiques avec un partenaire important. Il doit se défaire de cette attitude et se mobiliser rapidement pour obtenir la libération des emprisonnés.
UNE HISTOIRE VOLÉE
Les deux explosions de Tizi-Ouzou l’an dernier et de la Petite-Kabylie cette année sapent les structures mêmes de l’Etat algérien. Elles révèlent l’extrême fragilité de l’édifice mis en place par Boumedienne lors du coup d’Etat de 1965 et des années qui ont suivi, et le caractère préfabriqué et artificiel de l’unité nationale algérienne.
Mais le jacobinisme, calqué sur le modèle français et le centralisme outrancier ne datent pas d’hier. La façon dont le PPA (3) — dans sa lutte contre la France — a liquidé le problème berbère en 1949, puis l’action du FLN à l’Indépendance en 1963 (liquidation des officiers supérieurs kabyles) montreront leur incompréhension totale de l’identité kabyle ainsi que le centralisme arabo-centré de ce courant.
A l’Indépendance même, tout va échouer dès le départ ! L’arabisation est conçue comme une obligation pour toute scolarisation et le berbère, parlé par 2 ou 3 millions de personnes, n’aura aucun statut ; on ne lui reconnaîtra aucune spécificité. Dans le feu de la construction rapide d’un Etat unifié algérien, la diversité culturelle et linguistique n’est pas imaginée et le FLN dans sa période révolutionnaire ne la concevra que comme une action rétrograde (4). Il faut dire que le legs de la colonisation française n’était guère encourageant : les Berbères avaient toujours été un prétexte de division coloniale en Algérie comme au Maroc (5).
C’est pourquoi, face à la répression, au manque d’intérêt et au mépris de l’essentiel des forces politiques arabes, la revendication culturelle berbère mettra 15 ans à resurgir. C’est pourquoi aussi, enfermée dans le carcan de l’Etat national algérien, il faudra la mort de Boumedienne, et la fin du compromis qu’il représentait encore, pour qu’elle explose.
Un catalyseur infime aura suffi en mars 1980 pour déclencher les plus grandes manifestations populaires de l’Algérie de l’après-Boumedienne : l’interdiction d’une conférence sur la poésie berbère.
Si les mobilisations qui ont touché tous les villages de la vallée de la Soummam en Petite-Kabylie sont directement le produit du développement et de la maturation du mouvement berbère depuis l’an dernier, en mai 1981 a montré une maturité plus grande et un élargissement des revendications.
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LETTRE OUVERTE AU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE, SECRÉTAIRE DU FLN Monsieur le Président, Cette lettre que nous vous faisons parvenir se veut l’action par laquelle nous vous faisons prendre acte des mesures dont nous avons été l’objet, de la procédure qu’elles art engagé et de l’extrême préoccupation que suscite en nous la totale incompréhension de ce qui motive ces mesures. Le 19 mai 1981, à l’occasion de la célébration de la Journée nationale de l’étudiant à l’Université d’Alger, un groupe d’individus dits « Baathistes », se réclamant du FLN, et notoirement connus à l’Université pour leurs agressions répétées, se sont attaqués a la messe des étudiants, dans l’enceinte de la faculté centrale, provoquant ainsi délibérément un incident qui a amené à l’évacuation des lieux par les forces de l’ordre. Cet incident et la présence des forces de l’ordre à l’intérieur des salles de travail n’ont pas empêché les étudiants de se présenter normalement à leurs cours dès le mercredi 20. Interpellés le samedi 23 mai 1981, officiellement dans le cadre de l’enquête sur l’incident du 19 mai, nous avons été retenus pendant 192 heures en garde à vue avant d’être placés sous mandat de dépôt sur les chefs d’inculpation suivants : — atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat ; — atteinte à l’unité nationale ; — constitution de « collectifs » à caractère subversif ; — association de malfaiteurs ; — rédaction, détention et diffusion de tracts et de documents à caractère séditieux ; — destruction de biens de l’Etat ; — port d’armes prohibées. Monsieur le Président, Nous tenons, devant cette situation, à vous transmettre toutes nos interrogations concernant l’instruction de cette affaire, interrogations suscitées par la discordance et l’incompatibilité manifestes entre l’objet de l’enquête et les incriminations proposées à l’instruction. Il nous apparaît, Monsieur le Président, et le fait est indéniable, que l’objet de l’enquête était l’incident du 19 mai, alors que les principales incriminations relèvent du délit d’opinion. A ce titre, nous rejetons ces incriminations ainsi que les autres. En plus de nous troubler profondément, et Votre Excellence le comprendra, ces surprenants résultats de l’enquête, au vu de son objet, nous laissent sceptiques quant à son impartialité et à sa cohérence. Notre scepticisme est d’autant plus justifié que, d’une part, se trouvent parmi nous des étudiants, et d’autre part, qu’aucun des agresseurs n’a été interpellé. Compte tenu de ce qui précède, nous considérons notre détention comme injustifiée et arbitraire. Monsieur le Président, nous estimons avoir par cette lettre accompli notre mission d’information auprès de votre Haute Instance, sur ce qui enrage l’avenir de la démocratie dans notre pays. Signataires : Ourad Méziane, Mames Lakhder, Bacha Mustapha, Balahouane Rabah, Zeggane Omar, Kaci Rachid, lhaddadene Ali, Ihaddadene Hachimi, Ait-Larbi Arezki, Hamouda Abderezak, Bencheirh Mohan Ameziane, Akeb Cherif, Iaksi Mokrane, Benkhemou Mustapha, Ben Ramdane Rezki, Boukrif Salah, Rouchema Rachid, Fellag Mouloud, El-Kadi Ihsene, Lahmar Messaoud, Houati Agdenour. MAISON D’ARRET D’EL-HARRACH Le 6 juin 1981. |
Tout d’abord, le mouvement a explicité ses revendications lors de la tenue l’été dernier d’un colloque connu sous le nom de Colloque de Yakouren, et qui a débouché sur un manifeste assez, radical.
Ce manifeste reprend et amplifie les principales revendications culturelles du mouvement :
— liberté d’opinion et d’expression ;
— reconnaissance officielle du berbère et de l’arabe populaire comme langues nationales et enseignement à tous les niveaux ;
— extension des émissions en arabe populaire et en berbère à la radio comme à la télévision (6).
Depuis plusieurs mois aussi, un réseau important de comités de soutien et de collectifs culturels s’est constitué dans de nombreuses villes. Il se charge de populariser la lutte des Berbères et lie cette lutte à celle pour les droits démocratiques. Contrairement à la propagande d’El Moudjahid, le mouvement berbère n’est absolument pas pour lui « un prétexte », mais au contraire un puissant moteur dans la lutte démocratique. Son activité a suscité des actions dures et radicalisées depuis plusieurs mois. Il a aussi organisé des manifestations, des conférences, des meetings, des pétitions : le 15 mars, grève générale à Tizi Ouzou : le 19 avril, meeting de 50 000 personnes sur le campus Oued Aïssi ; le 20 avril, débat à Alger avec Kateb Yacine (environ 2 000 personnes) ; le 8 mai, demande de création d’une association culturelle à l’initiative des écrivains berbères (Kateb Yacine et Mouloud Mammeri) ; le 19 mai, meeting et spectacle culturel qui intégraient la dimension berbère à l’occasion de la commémoration de la Journée de l’étudian.
L’allergie du FLN à toute forme d’opposition au régime du parti unique pousse nécessairement les femmes, les étudiants, les travailleurs à l’unité contre l’absolutisme de l’État algérien. Ainsi, dans tous les secteurs, les militants ne se réclamant pas ou n’appartenant pas au FLN, sont exclus des associations auxquelles ils appartenaient. L’article 120 oblige tout responsable syndical dans l’UGTA à être membre du FLN. De même, dans l’Union nationale des femmes algériennes, une dirigeante de cette association — pourtant très normalisée — a été exclue en mars 1981, car elle était soupçonnée d’appartenir au PAGS (PC algérien).
UNE MOBILISATION RADICALE
Le phénomène qui inquiète le plus le régime est la combinaison accentuée des revendications sociales et culturelles en Kabylie. Ce mouvement, qui a fait preuve à la fois d’une volonté d’expression autonome impressionnante, d’une cohésion totale et d’une spécificité culturelle irréductible, n’a pour l’instant aucune tentation séparatiste. Dès lors, il débouche nécessairement sur une lutte contre l’Etat dont le caractère est directement social et non particulariste ou confusément nationaliste.
Aux revendications culturelles se sont ajoutées des revendications diverses. A Gigeli, c’est sur des problèmes de logement que les habitants se sont révoltés : le maire de la ville les attribuait à ses amis (il faut dire que Gileli est au bord de la mer !). A Bejaïa, c’est pour la libération d’emprisonnés que les manifestations ont eu lieu. Ailleurs, c’est sur la vie chère, l’insuffisance des moyens de transports. Dans les facultés, c’est pour l’obtention d’un syndicat indépendant et démocratique. Dans les lycées, pour le droit d’expression. C’est cette jonction des revendications avec des problèmes sociaux qui met en difficulté les principales forces politiques algériennes d’opposition : elles n’arrivent pas à saisir l’unité du mouvement et à y répondre convenablement.
Appel du Collectif femmes d’Alger |
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Le Collectif de femmes a obtenu le droit de réunion et d’affichage. Rappelons que le Recteur a garanti ces droits. Qu’en est-il aujourd’hui ? Aujourd’hui ce droit est remis en question. En effet, toute assemblée générale est interdite, toute réunion est interdite, tout affichage et activités culturelles sont interdits. Ces mesures arbitraires visent en réalité à détruire toute expression et regroupement démocratique. Aussi, sous prétexte des incidents survenus le 19 mai 1981 à l’Université d’Alger, à la suite de provocations d’éléments armés non inquiétés par les forces de l’ordre, jusqu’à présent la police a pris possession de l’Université. En effet, le 19 mai : quadrillage par les CNS. Le 20 mai : pour la première fois depuis 1971, les CNS sont rentrés en force à l’intérieur de l’Université. Depuis lors, contrôles des cartes dans l’enceinte universitaire, arrestations et interpellations arbitraires d’étudiants, d’enseignants et de médecins. Ces arrestations sont d’autant plus arbitraires que ces personnes sont parmi celles qui ont été agressées, à moins que leur seul crime ne soit d’avoir lutté pour les libertés démocratiques. Ainsi, au nom de l’ordre et de la sécurité, la répression s’est installée. C’est pourquoi nous, Collectif de femmes, exigeons : — le retrait immédiat des forces de l’ordre de l’Université ; — la libération immédiate et inconditionnelle des détenus ; — l’annulation des décisions récentes du Conseil de l’Université, interdisant toute réunion et affichage. Afin que nous nous réapproprions l’Université, afin que toutes les formes d’expression continuent à se manifester, nous appelons toutes les femmes participer à la journée pacifique anti-répression, en se regroupant le dimanche 31 mai devant la faculté centrale à 10 heures. LE COLLECTIF DE FEMMES Alger, jeudi 28 mai 1981. |
TRIBUNAL POPULAIRE CONTRE LES « HONDA »
Le PAGS choisit quant à lui le soutien pur et simple au gouvernement et joue le jeu de la Charte culturelle. Le récent voyage de Bendjedid Chadli à Moscou, peu après les affrontements du 19 mai, a été l’occasion pour le PAGS de célébrer sont « anti-impérialisme » et son « non-alignement », sans prendre la moindre distance vis-à-vis de la politique d’oppression culturelle et linguistique du régime à l’égard des Berbères. Le PAGS est relayé en France par le PCF qui explique qu’« il ne fait aucun doute que ce mécontentement est exploité par un certain nombre de groupuscules extrémistes de droite et de ‘gauche trotskystes' » (7). Avec de telles prises de positions, le PCF ne fait que franchir une étape supplémentaire dans sa politique de négociation des droits de l’immigration, en se coupant irrémédiablement de 50 % des Algériens en France qui sont Kabyles.
Autre parti d’opposition, le PRS de Mohamed Boudiaf, qui pouvait espérer récupérer une partie de l’opposition au FLN. Il a échoué, car il a systématiquement refusé de soutenir les revendications berbères, réduisant celles-ci à des revendications démocratiques pures et simples. En réalité, aucune des forces d’opposition issues du FLN ou voulant composer avec lui ne peut espérer chevaucher cette montée sociale en Kabylie et ailleurs.
Par contre, un développement des organisations berbéristes est parallèle à cette maturation. C’est le cas, en particulier, du Front des forces socialistes, du vieux leader kabyle Ait Ahmed, organisation nationaliste bourgeoise qui garde de profondes racines historiques avec la région. Comme vieille opposition au FLN, le FFS bénéficie le premier de la radicalisation, et cela quelles que soient ses positions de l’heure. Son renforcement donne une structuration plus profonde au mouvement : mais, en dépit de ses tentatives de l’inciter à la prudence, il n’arrive pas à canaliser les explosions qui donnent naissance à des formes d’auto-organisation importantes et spontanées.
Déjà l’an dernier, les mobilisations avaient montré une capacité d’auto-organisation sans précédent des travailleurs de Tizi Ouzou. Les travailleurs de la totalité des entreprises s’étaient rapidement coordonnés en Comité de coordination populaire (Sonelec, Sonitex, secteurs sanitaires, lycée, communauté universitaire, EFP, SNLB) ; ils avaient occupé leurs lieux de travail et publié des déclarations communes avant d’affronter la police et l’armée.
Ces derniers mois, les comités de base se sont multipliés dans les usines de Kabylie. A Bejaïa, les travailleurs ont tenu un tribunal populaire et ont jugé le procureur de la ville à cause de ses privilèges. Ils l’ont condamné à brûler sa Honda. Des dizaines de nouvelles voitures Honda, réservées aux cadres du parti unique, ont ainsi été détruites dans de nombreux villages. Ailleurs, des assemblées populaires ont été constituées et se sont attaquées aux symboles du parti unique : siège de la willaya, siège de la daïra, locaux, emblèmes, statues, archives qui ont été pillées et brûlées. Dans la quasi-totalité des villages de la Soummam, la solidarité contre le pouvoir a été totale ! On imagine aisément qu’aucun parti réformiste bourgeois ne peut espérer contrôler ce mouvement, et cherchera plutôt à le museler dès que possible.
Seule une organisation révolutionnaire, intervenant comme une avant-garde politique reconnue, liant systématiquement le soutien aux droits culturels des Berbères, la lutte pour une arabisation progressive et non exclusive, et la lutte pour les libertés démocratiques, seule une telle force peut aider le mouvement dans sa lutte contre le régime.
« L’HEURE DE LA RIGUEUR REVOLUTIONNAIRE »
Dans ce cadre, on comprend mieux la réaction instantanée du régime algérien et sa volonté de couper court à toute radicalisation. Depuis la mort de Boumedienne, ses inquiétudes sont grandes de ne pouvoir contrôler la situation. L’explosion berbère de l’an dernier avait été largement utilisée pour renforcer l’unité du FLN et pour resserrer les rangs autour de Bendjedid Chadli, lors du Congrès extraordinaire de juin 1980. Mais le compromis scellé sur la question berbère peut exploser sur cette même question. Beaucoup de fractions du FLN n’ont pas renoncé à imposer leurs vues. Elles espèrent tirer profit de la situation pour renforcer leur position dans le parti, où jouent encore les influences de clans, de tendances ou les liens avec tel ou tel secteur (l’armée, l’appareil du parti, etc.). Il n’est pas impossible que, lors des récents événements, les décisions de réprimer n’aient été prises que par certains membres et non par l’ensemble du Bureau politique. L’an dernier déjà, le commandant de la garnison de Tizi Ouzou avait été remplacé pour avoir mal réagi. Les éléments durs, tel Yahiaoui, le secrétaire du Parti, jouent le jeu d’une arabisation à outrance et poussent en avant les Frères musulmans pour justifier la répression. Les éléments bourgeois libéraux trouvent là une justification de leur perspective de « démocratisation nécessaire » ; ce qui signifie pour eux éliminer au maximum les contraintes de la bureaucratie dans l’économie, mais certainement pas soutenir les droits du mouvement des masses. Quant à Bendjedid Chadli, il oscille entre les deux.
Il a tenté depuis le début de l’année une offensive idéologique autour d’un « vaste débat sur une Charte culturelle ». Évidemment, personne n’a emboîté le pas, alors que la diffusion du manifeste de Yakouren est toujours interdite et que la chaire d’enseignement du berbère n’est toujours pas rétablie à Alger en dépit des promesses. Il est donc passé à la répression ouverte et à la propagande la plus réactionnaire (8). L’éditorial de Révolution africaine (organe du FLN) du 19 mai 1980 résume clairement l’attitude que prendra le gouvernement :
« Tenter de porter atteinte à l’unité nationale … c’est vouloir faire le jeu de ceux qui, à l’intérieur comme à l’extérieur, agissent pour déstabiliser le pays, frapper son régime, son Parti, la Révolution. C’est pourquoi nous affirmons, au lendemain des événements de la semaine dernière, que l’heure de la rigueur révolutionnaire et, s’il le faut, de la violence révolutionnaire, a sonné. »
Pourtant, la répression, si elle a été violente à certains endroits, délaisse momentanément le mouvement berbère en tant que tel. Bendjedid Chadli espère le contourner et frapper de manière sélective. Comprenant parfaitement la jonction qui se crée de plus en plus entre les mobilisations berbères et celles des autres secteurs, il espère diviser et accréditer l’idée qu’il y a « d’un côté un problème réel, et de l’autre des agents qui exploitent la situation et veulent détourner le processus de son cours normal ». En réalité, c’est l’avant-garde qui est aujourd’hui frappée en Algérie ; celle qui pourrait dégager les éléments d’une alternative au régime. La répression de celle-ci n’étant qu’une étape, qu’un test avant celle du mouvement lui-même ! Cela, tous les Algériens, Berbères ou non, et le mouvement ouvrier international, doivent le comprendre rapidement. Et l’espoir de gagner du temps ne peut pas être un argument contre l’organisation d’une campagne de soutien aux emprisonnés en Algérie.
René MASSIGNON
23 juin 1981
1/ Les étudiants ont fait la preuve de cette provocation en montrant des cartes du FLN prises aux membres du commando.
2/ Lors des procès de juin 1980, l’avocat commis d’office pour défendre certains Berbères a été Me Djender, celui qui avait réclamé la tête du leader kabyle Aït Ahmed en 1963.
3/ Ancêtre du FLN.
4/ Même dans le programme le plus avancé de la révolution algérienne, le Programme de Tripoli publié en 1962, les « cultures populaires » n’étaient vues que sous l’angle des « valeurs arabo-musulmanes« .
5/ L’école berbère au Maroc fut créée dans le seul but d’affaiblir le mouvement national marocain en promouvant des cadres sous la coupe de la France.
6/ La tradition berbère est essentiellement orale, et la poésie est quasiment le seul support écrit.
7/ L’Humanité, 6 juin 1981.
8/ Cela ne passe pas facilement et l’UNJA, qui était aux avant-postes de la discussion sur la Charte culturelle, a connu des débats houleux ces derniers jours et beaucoup de mal pour se mettre d’accord.