Articles parus dans Le Prolétaire, n° 283, 9 au 22 février 1979, p. 6
Un des aspects particulièrement cynique et odieux de l’offensive capitaliste contre la classe ouvrière est le refoulement des ouvriers immigrés vers leurs pays d’origine.
La bourgeoisie française, qui a arrêté l’immigration avec le début de la crise et transformé les prolétaires en célibataires forcés, a déjà tenté sans succès la fameuse politique du « million » pour inciter au retour. Aujourd’hui, elle s’apprête à faire comme ses sœurs américaine, allemande et suisse : réduire de façon brutale le nombre des travailleurs étrangers en ne renouvelant pas les cartes de séjour qui viennent à expiration, c’est-à-dire essentiellement celles des travailleurs maghrébins et africains.
L’anarchie capitaliste entraîne la concentration de l’économie : celle-ci se concentre nécessairement, à l’échelle de chaque pays, dans quelques régions privilégiées, en vidant les autres de leur substance. Il en est de même à l’échelle internationale, où une poignée de pays riches et impérialistes concentrent toutes les richesses en écumant les autres pays. Il s’ensuit qu’ils attirent à eux la main-d’œuvre des autres pays, condamnés à la portion congrue, qui sont non seulement des pays anciennement colonisés, mais aussi des pays moins développés comme l’Espagne, l’Italie ou le Portugal.
Les crises économiques périodiques, loin d’inverser ce flux, l’aggravent encore parce que ce sont les pays pauvres qui sont les premiers frappés (que l’on pense à la Tunisie ou à l’Egypte !). L’attraction économique vers les pays riches est donc dans ces périodes encore plus grande pour les masses déshéritées du monde entier. Et c’est à ce moment-là que les pays riches mettent en place les politiques de refoulement et d’expulsion des ouvriers étrangers.
C’est la raison pour laquelle cette politique de contrôle de l’immigration s’accompagne de persécutions policières sans nom, de la création d’un véritable état d’exception dans les quartiers peuplés d’ouvriers « étrangers » : contrôles, fouilles, intimidations policières, persécutions systématiques, pour le seul crime d’appartenance à une nationalité différente. Cet état d’infériorité sociale et politique dans laquelle est maintenue une partie de la classe ouvrière des pays d’immigration exacerbe, le chauvinisme et les crimes racistes qui se nourrissent souvent de la tradition coloniale.
Cette politique, qui est pour Lénine « caractéristique de l’impérialisme», trouve l’appui des partis prétendument « ouvriers » et des bureaucraties syndicales qui vivent des miettes tombées des festins impérialistes et se prononcent tous sans exception pour le contrôle de l’immigration, et en période de crise, pour la réduction des flux migratoires. Ils n’appellent pas les ouvriers à la riposte collective contre la bourgeoisie, mais réclament de l’Etat capitaliste qu’il protège l’emploi des « nationaux » en choisissant que le chômage tombe sur les « étrangers ». Ce faisant, ils abandonnent ces derniers à la répression bourgeoise, trompent les premiers et trahissent les intérêts de tous.
Cette politique de division des rangs ouvriers et de collaboration ouverte avec l’impérialisme n’est pas seulement celle du PCF et des dirigeants CGT qui revendiquent haut et fort l’arrêt de l’immigration. Elle est aussi celle du PS et de la CFDT qui font semblant de réclamer des droits pour tes ouvriers « étrangers », mais seulement ceux qui sont entrés « légalement », ce qui est la pire des hypocrisies puisque cela laisse la police faire la chasse aux « irréguliers ». Or l’existence de ces « irréguliers » est absolument inévitable : qui peut en effet se trouver en situation régulière dans le dédale juridique existant, surtout avec la misère aux trousses qui pousse à passer les frontières interdites ? Pire, c’est au moment même où l’Etat met les prolétaires « étrangers » à la porte que tout ce beau monde « de gauche » se met à faire insidieusement campagne pour le « retour au pays », encourageant ainsi de fait la politique criminelle du capitalisme.
Il est clair que la nécessaire riposte à l’offensive capitaliste ne peut se faire qu’en soudant les rangs ouvriers, « nationaux » et immigrés, ce qui suppose la lutte résolue contre le contrôle de l’immigration et tous ceux qui le soutiennent : non seulement la bourgeoisie mais les partis de gauche et les bureaucraties syndicales ainsi que tous les courants soi-disant d’ « extrême gauche » qui prétendent lutter contre le réformisme et le social-impérialisme mais mènent dans les faits une politique suiviste à son égard.
La politique criminelle de division du P.C.F. et de la C.G.T.
Question-test pour les forces qui prétendent défendre les intérêts prolétariens, la revendication du contrôle de l’immigration par PCF, PS, CGT, CFDT est un exemple parfait de la politique du social-impérialisme, c’est-à-dire du socialisme en paroles et du pro-impérialisme et du chauvinisme de fait, même si la division du travail au sein de l’opportunisme produit entre eux certaines nuances.
Pour le PCF, pas d’ambiguïté. Depuis des années, il réclame un contrôle accru de l’immigration (voir Le Prolétaire nos 189 et 232) et, avec la crise, la fermeture des frontières. C’est ce qu’a rappelé L. Lanternier, maire communiste de Gennevilliers, dans Action, le journal des communistes à l’entreprise, janvier 79 : « dans l’intérêt commun des travailleurs français et des travailleurs immigrés, nous nous prononçons pour l’arrêt de toute nouvelle immigration ». Un des pivots de sa politique est la campagne raciste, véritable incitation à la haine entre travailleurs, qu’il développe dans les municipalités qu’il gère pour le numerus clausus, réplique de la fermeture des frontières à l’échelle de la commune : il s’agit d’interdire l’installation dans la commune des immigrés au-delà d’un certain pourcentage et d’appeler les préfectures à leur refuser « nos » HLM et « nos » logements sociaux.
La lecture des journaux municipaux du PCF est édifiante. Ainsi la municipalité « communiste » de Champigny se plaint : « l’essentiel des logements de l’Office Public Interdépartemental sont construits dans les municipalités communistes. Les cas sociaux y sont envoyés, des immigrés aussi. Il s’agit donc de faire de ces cités des dépotoirs afin d’accroître les difficultés (racisme, délinquance, insécurité) dans les mairies dirigées par des communistes » (Le Réveil du Val-de-Marne, 17-11-78). Au Conseil général du Val-de-Marne, le groupe communiste a présenté et adopté la délibération suivante :
« Le Conseil général demande l’arrêt de toute immigration nouvelle […] ; une juste et harmonieuse répartition des familles immigrées dans l’ensemble des communes du Val-de-Marne et de l’Ile-de-France ; que les logements des organismes HLM et semi-publics soient réservés exclusivement au relogement des familles françaises et immigrées du département » ; veut « mettre en œuvre une véritable politique de retour volontaire au pays » ; « demande une augmentation et une nouvelle répartition des crédits du FAS entre les communes, en détermination de l’importance de leur population étrangère ».
Le PCF, qui s’estime lésé par la présence des immigrés, veut se faire dédommager du « dérangement » sur le dos des immigrés eux-mêmes, au moyen de l’argent que leur vole le FAS ! Soulignons que l’argument du PCF « avec le chômage (près de 40.000 dans le Val-de-Marne), il est nécessaire de stopper l’immigration » (Réveil du 94, 12-1-79) est celui de la bourgeoisie. A Colombes, « le Conseil Municipal a décidé de prendre des mesures afin de limiter la venue des familles immigrées à Colombes et de parvenir à un équilibre entre les familles françaises et immigrées qui soit plus bénéfique aux deux communautés ». Les conseillers municipaux ont présenté et fait voter à l’office HLM la délibération suivante :
« considérant qu’une concentration de familles immigrées […] aboutit à une situation intolérable […] ; que la commune de Colombes doit supporter une charge sociale plus lourde, résultant de l’accueil des familles immigrées qui sont socialement et économiquement les plus défavorisées, les plus nombreuses et comptant le plus grand nombre d’enfants […] ; que la commune et l’Office HLM ont largement assumé leur devoir de solidarité dans l’accueil des familles immigrées », l’Office HLM demande au Préfet des Hauts-de-Seine « d’orienter désormais les familles concernées vers d’autres implantations que Colombes ».
Parallèlement la commission d’attribution de l’OPHLM est chargée de ramener le taux d’immigrés au taux moyen français de 7,7 % « à
l’occasion des échanges et attributions de logements » (Colombes-Informations, novembre 78).
L’hypocrisie des justifications du PCF ne doit pas abuser: la planification harmonieuse de la répartition des immigrés dans toutes les communes, pour le plus grand bien de tous, au nom du refus de la constitution de ghettos, ce n’est que des mots. Dans les faits, à quoi tout cela revient-il, sinon à aggraver encore les tracasseries administratives, les discriminations, la ségrégation et l’oppression des travailleurs immigrés ? A quoi cela revient-il sinon à appeler l’Etat à renforcer sa répression pour faire appliquer ce contrôle encore accru, à encourager la pire propagande raciste et accentuer la concurrence entre les travailleurs, entre français et immigrés, entre immigrés anciens et récents ?
Quant à la « véritable politique de retour » que prône le PCF, elle « doit être étudiée en étroite coopération avec les différents pays intéressés, et doit garantir les droits acquis et permettre la réinsertion dans le pays d’origine » (Action, n° 24). Réclamer que le retour soit décidé « en coopération avec les pays intéressés », n’est-ce pas avouer que la véritable préoccupation du PCF dans cette question, c’est la paix sociale en général, c’est d’éviter des explosions dans des zones fragiles comme l’Algérie ?
D’accord avec les positions du PCF, la CGT n’a pas varié. Commentant les décisions récentes du Conseil d’Etat (Courrier Confédéral, n° 333), et se vantant d’être à l’origine de la plupart des actions en annulation engagées, la CGT tient à préciser qu’elle n’a rien à voir avec l’annulation de la circulaire relative à la suspension de l’immigration :
« la CGT n’avait pas attaqué la décision de suspension de l’immigration par la voie de l’ONI de nouveaux travailleurs », car « il n’était pas anormal que le Ministre du Travail décide de ne plus agréer les contrats d’introduction déposés par les employeurs souhaitant « recruter » hors de France et faire venir par l’ONI de nouveaux immigrants, alors que se développait en France un chômage alarmant, et que certains immigrés étaient par ailleurs « refoulés » de France parce qu’on refusait de régulariser leur situation ».
Bien, mais alors, comment comprendre le recours de la CGT contre l’interdiction des régularisations ? Ça « ne signifie pas pour autant que la CGT soit favorable à l’ouverture des frontières et à la libre entrée en France, pour y travailler, de tous les migrants », précise-t-elle. Ce que la CGT n’a pas admis, c’est « l’interdiction générale des régularisations », car « la responsabilité de la situation irrégulière […] ne peut la plupart du temps leur être imputée, soit qu’on les ait fait venir dans des conditions invraisemblables, soit qu’un ou plusieurs patrons aient d’abord exploité ladite situation irrégulière ». Comme si on pouvait par contre accuser d’autres travailleurs de s’être mis en situation irrégulière, eux que seule la misère pousse vers les centres impérialistes, et dont « l’irrégularité» est le seul produit du contrôle et des réglementations mis en place par la bourgeoisie et son Etat pour exploiter à leur aise ces travailleurs ! En distinguant entre les « bons » irréguliers et les « mauvais », ceux à qui on refuse les papiers parce qu’ils sont chômeurs, ou clandestins, ou militants combatifs, ou encore travaillent dans une branche ou une région où l’on n’a plus besoin d’eux, la CGT livre les seconds à la répression policière de l’Etat, autre face du contrôle qu’elle exige. Il ne s’est jamais agi pour la CGT de demander la régularisation de tous. Ce qui était intolérable, du point de vue de la paix sociale, le seul qui guide la CGT, c’était de prétendre que les régularisations sont « impossibles a priori », à cause du risque d’embrasement des luttes. Mais en orientant ses militants sur des actions ponctuelles, individuelles, de régularisation lorsque le cas est bon : « emploi trouvé, raisons de la situation irrégulière, situation individuelle de l’immigré concerné », la CGT couvre son action de division des rangs ouvriers et d’abandon de toute la classe du voile de l’hypocrisie.
Comme corollaire de ces positions, la CGT développe une campagne pour une « véritable aide au retour » qui « impliquerait le maintien des liens culturels entre l’immigré et son pays d’origine, une préparation au retour, la garantie des droits acquis et surtout une formation professionnelle répondant aux besoins des pays d’origine et facilitant par là-même la réinsertion ». Et c’est au nom d’une « politique de coopération authentique » qu’elle dénonce les dernières mesures de Stoléru restreignant le renouvellement des titres de séjour et de travail (Courrier Confédéral, n° 338, 29-1-79). Nous ne reviendrons pas sur le mythe de la « réinsertion », et renvoyons le lecteur à notre organe El Oumami n° 2.