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Derrière les « manifestations berbères » en Algérie, la classe ouvrière !

Article paru dans Le Prolétaire, n° 312, 1er au 15 mai 1980, p. 1 et 3

A la suite de l’interdiction d’une conférence sur « la poésie berbère ancienne  » par les autorités algériennes le 10 mars dernier, ont eu lieu des manifestations un peu partout en Kabylie (Tizi-Ouzou, Larbaâ Nath Irathen, Azazga, Aïn El-Hamam, etc.) et à Alger.

Les mots d’ordre scandés lors de ces manifestations renvoient certes au problème de la discrimination culturelle et linguistique qui frappe la langue berbère, mais surtout à la condition sociale et politique des masses travailleuses. C’est ainsi que les cris : « Halte à la répression culturelle » sont suivis d’autres disant par exemple : « Nous en avons assez de l’injustice ». Les lycéens d’Azazga, eux, lançaient face aux gendarmes qui les encerclaient : « Assez de cette vie de misère et de soumission ».

Cela n’est pas étonnant quand on sait que la Kabylie est l’une des régions en Algérie les plus marquées par la colonisation française.

Le facteur des conditions naturelles très dures dans cette région montagneuse se conjuguant avec l’incapacité de la bourgeoisie algérienne à faire la moindre réforme agraire sérieuse, il est naturel que l’indépendance n’ait rien pu apporter sur le plan social. On assiste depuis à une aggravation évidente de la paupérisation des larges masses paysannes pauvres qui se trouvent ainsi éjectées des campagnes. L’exode rural qui en découle est considérable. En effet, dans la wilaya de Tizi-Ouzou plus d’un actif potentiel sur trois est en France et un sur quatre au chômage. Rappelons qu’avec la région de Sétif et Constantine, la wilaya de Tizi-Ouzou fournit 60 % des émigrés algériens.

D’ailleurs, la meilleure preuve que les manifestations et les émeutes qui viennent d’avoir lieu en Kabylie sont bien autre chose qu’une simple « agitation » d’étudiants « manipulés » par on ne sait quel « bureau international » situé à Paris, c’est le caractère spontané et l’ampleur prise par la grève générale du 16 avril.

En effet, ce jour-là, ouvriers et paysans se sont mis aux côtés des étudiants et lycéens pour exiger la « libération des détenus » et appeler à riposter contre la répression tant culturelle que politique : « liberté d’expression et d’information », etc.

Mais là où l’on voit plus ouvertement l’entrée en scène de la classe ouvrière, c’est quand le centre universitaire de Tizi-Ouzou a été évacué le 20 avril à l’aube par les forces de police. Notons que parallèlement à cela, la police a investi l’hôpital de Tizi-Ouzou dont le personnel était en grève de solidarité avec les victimes de la répression bourgeoise. Tous les travailleurs ont été mis dehors… Beaucoup ont été arrêtés et transférés dans les locaux de la police à Alger. Les autorités ont dépêché sur place un personnel militaire.

Les ouvriers de la SONELEC, qui étalent environ un millier, ont eu des accrochages avec les forces de l’ordre. A cette occasion, la bourgeoisie a dû recourir à ses « brigades anti-émeutes » équipées de manière ultra-moderne. Les affrontements entre les ouvriers de la SONELEC et les forces de l’ordre ont fait plusieurs blessés dont certains graves. Les rumeurs qui circulent font état également d’une trentaine de morts. A cette occasion les travailleurs ont saccagé plusieurs lieux publics, incendié la villa de l’ancien wali. Même un journal aussi complaisant avec l’Etat algérien que Le Monde pouvait écrire le 25-4-80 : « Les ouvriers de la SONELEC continuent à occuper leur usine dévastée après la farouche résistance qu’ils ont opposée dimanche matin face aux forces de l’ordre qui voulaient les déloger. Les travailleurs auraient menacé de faire sauter la centrale électrique du complexe en cas de nouvelle attaque ». Par ailleurs, les 4.000 ouvriers de la SONITEX de Draâ Ben Khedda qui ont fait plusieurs grèves ces derniers mois, dont la plus importante a été celle où ils ont arraché au ministère une augmentation de salaire de 450 DA, ont également participé à la grève de solidarité contre la répression bourgeoise.

Ce sont là quelques faits qui montrent que derrière l’agitation autour des discriminations culturelles qui demeurent bien réelles, c’est la classe ouvrière qui entre en scène, à l’heure où la situation sociale en Algérie empire parallèlement au retour des émigrés qui assuraient jusque-là la survie des familles restées au bled.

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