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Rushdie ne doit pas être réduit au silence ! Marxisme et religions

Article paru dans Le Bolchévik, avril 1989, p. 4-5 et 14.


30 mars – Depuis bientôt deux mois, un homme vit terré quelque part dans la campagne anglaise. Dans le monde entier, des milliers d’autres hommes, qui ne l’ont jamais vu, qui ne savent pas qui il est, ont juré de sacrifier leur vie pour l’assassiner, parce qu’il a écrit un livre qu’ils ne liront jamais et qui décrit l’expérience douloureuse des immigrés indiens et pakistanais dans la Grande-Bretagne raciste de Thatcher.

Salman Rushdie a été condamné à mort par l’ayatollah Khomeiny parce que celui-ci juge que le dernier roman de l’écrivain britannique d’origine indienne, les Versets sataniques, « offense l’islam, le Prophète et le Coran ». « Je demande à tous les musulmans d’exécuter rapidement l’auteur et les éditeurs du livre, où qu’ils se trouvent, afin que personne n’ose plus offenser les valeurs sacrées des musulmans » (le Monde, 16 février), fulmine le maître de Téhéran, qui promet le paradis et cinq millions de dollars au futur assassin.

Enivrés par le sang des milliers de militants de gauche et des minorités nationales, de femmes, d’intellectuels dissidents exécutés en masse ces derniers mois (dans le silence complice des « défenseurs des droits de l’homme » occidentaux), enhardis encore davantage par le retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan et la lutte de leurs congénères de la « résistance afghane » contre le régime nationaliste de gauche de Kaboul, les mollahs iraniens ont proclamé ouvertement leur volonté d’exporter comme bon leur semble la terreur obscurantiste qu’ils imposent depuis dix ans dans leur « république islamique ».

L’opinion publique bourgeoise a poussé de hauts cris devant la « barbarie » de la fatwa de Khomeiny, « oubliant » un peu vite que c’est Reagan qui a fait entrer l’appel public à l’assassinat politique dans les usages de la « communauté internationale » en condamnant à mort le numéro un libyen Kadhafi, et que le gouvernement américain avait tenté d’exécuter lui-même sa « sentence » au moyen d’un raid aérien terroriste qui fit plus de cent morts.

Venant après les mobilisations des intégristes chrétiens contre le film « blasphématoire » la Dernière tentation du Christ, de Martin Scorsese, l’appel au meurtre lancé par Khomeiny fait planer sur le monde de la fin du XXe siècle le spectre d’un retour aux âges sombres du fanatisme religieux. Qu’ils soient chiites, catholiques ou autres, les fanatiques qui brûlent les livres sont en réalité les sectateurs d’une même idole qui a nom ignorance, oppression et misère, d’un Moloch insatiable dont la bouche mugit le cri de guerre des fascistes espagnols : « A bas l’intelligence ! Vive la mort ! »

A l’époque du capitalisme pourrissant, les bourgeoisies, aux quatre coins de la planète, mobilisent en défense de leur « ordre » irrationnel les superstitions les plus arriérées, les fanatismes les plus meurtriers. La guerre froide commencée à la fin des années 70 a d’abord été prêchée par le président américain Carter et les Mitterrand au nom de la « défense des droits de l’homme ». Mais elle a pris immédiatement les traits, en Afghanistan, d’une jihad-chouannerie islamique menée par les chefs tribaux et les mollahs, avant de se faire croisade antisoviétique contre le « communisme athée » en Pologne, sous la bannière du « syndicat » clérical-nationaliste Solidarnosc et du pape de choc Wojtyla. Et les pseudo-révolutionnaires de l’« extrême gauche» – la LCR, LO et le PCI -, après avoir soutenu Khomeiny en Iran, ont suivi là où Mitterrand les menait, et ils sont devenus des défenseurs de la réaction religieuse en Afghanistan et en Pologne. La défense des conquêtes démocratiques des révolutions bourgeoises des XVIIe et XVIIIe siècles – la liberté de conscience et la séparation de l’Eglise et de l’Etat – est inséparable de celle des acquis de la révolution prolétarienne d’Octobre en Russie – la libération de l’exploitation de classe. Salman Rushdie ne doit pas être réduit au silence ! Les Versets sataniques doivent être publiés !

UN REPLI SUR L’ISLAM

En France, la campagne intégriste contre la publication de ce livre a agi comme révélateur d’un phénomène social qui couvait sur fond de crise économique et de montée de terreur raciste contre la communauté de culture musulmane : le repli sur la religion. Le début du règne de Mitterrand a été marqué par une explosion de grèves très combatives des ouvriers immigrés dans l’industrie automobile. En 1983, quand le premier ministre Mauroy osa déclarer que les grévistes « sont agités par des groupes religieux » (Libération, 1er février 1983), la réponse fut cinglante : « Donnez-nous une bouteille de whisky et nous vous montrerons si nous sommes des intégristes ! »

Aujourd’hui, on a le cas caricatural, mis en relief et largement grossi par les journalistes de la presse bourgeoise, de Toumi Djaïdja, ex-personnalité de la « Marche des beurs » du début des années 80, qui a fait avec ses « potes » le retour à l’islam et est devenu responsable d’un atelier de couture à façon. Le local de SOS avenir Minguettes est devenu un lieu de culte, et Djaïdja ne condamne même pas l’appel au meurtre lancé par l’ayatollah iranien. « Et Khomeiny, ce n’est pas n’importe qui, c’est un ayatollah, il a une connaissance du Coran et un degré de science très élevé. Alors, pour quelles raisons veut-on n’écouter que Fabius et pas quelqu’un d’autre ? » (Libération, 7 mars). Et les femmes qui travaillent dans son « atelier de couture » sont payées combien ?

Les vendeurs du Bolchévik ont rencontré des « beurs » qui s’opposent à
la publication du livre de Rushdie par un réflexe de solidarité communautaire. Pire encore mais inévitablement, l’antisémitisme apparaît dans les propos de certains nationalistes arabes qui mettent sur le même plan que le livre de Rushdie les appels au pogrom que sont le Protocole des sages de Sion (faux antisémite grossier fabriqué par la police secrète tsariste) ou les publications des pseudo-historiens « révisionnistes », qui nient l’existence même de l’holocauste nazi et qui servent de couverture à de véritables réseaux d’activistes fascistes.

Un des grands crimes de la France contemporaine est que les directions réformistes chauvines des syndicats, du PS et du PCF, depuis des décennies, ont refusé de lutter contre la ségrégation raciste qui fait des ouvriers immigrés – qui occupent une place stratégique au cœur de la grande industrie – des parias privés du droit de cité. Abandonnée par le mouvement ouvrier organisé, une partie des jeunes de la « deuxième génération » peut être tentée de chercher dans un retour à la religion et aux valeurs islamiques traditionnelles l’illusion d’une dignité que la société française raciste lui refuse. S’il devenait un phénomène de masse, un tel repli vers le passé serait une victoire de la ségrégation raciste et une catastrophe pour ces jeunes – en particulier pour les jeunes femmes qui subiraient encore plus lourdement, en plus de l’oppression raciste, le carcan de la famille traditionnelle (enlèvement et mariage forcé, tutelle cruelle des oncles et des frères, etc.) Les révolutionnaires ne peuvent rester indifférents au maintien ou au renforcement de l’emprise, chez les travailleurs et les opprimés, de cet « opium du peuple » qu’est la religion.

Presque un quart des ouvriers d’industrie sont des immigrés (chiffre de
1985, cité dans le Monde des 11 et 12 septembre 1988), en grande majorité d’origine culturelle islamique. Leurs fils et leurs filles n’ont même pas accès aux emplois industriels, du fait des licenciements massifs mais aussi d’une politique consciente du patronat consistant à embaucher des immigrés nouvellement recrutés dans leurs pays d’origine plutôt que d’intégrer les « beurs » – la nouvelle « classe dangereuse » dans la production.

RACISME, FASCISME ET CLERICALISME CATHOLIQUE

La campagne déclenchée par les intégristes islamistes est d’autant plus
sinistre qu’elle ne peut pas manquer de provoquer, dans les métropoles impérialistes, un retour de flamme raciste dirigé contre les communautés immigrées de culture musulmane. C’est même le but conscient des intégristes. Ils veulent provoquer l’hystérie raciste et ils souhaitent la ségrégation ethnique ; c’est le fumier sur lequel ils peuvent pousser. En France, la manifestation anti-Rushdie du 26 février, appelée par le groupe minoritaire et douteux « la Voix de l’islam », a eu beau ne rassembler qu’un millier de personnes (alors que ce pays compte près de trois millions de musulmans), les racistes s’en sont emparés avidement pour dépeindre tous les immigrés comme des « fous de dieu » terroristes en puissance – la presse bourgeoise « modérée » se distinguant à peine des torchons fascistes.

Le soir même, Le Pen, le Führer du Front national, éructait contre « l’invasion de l’Europe par une immigration musulmane » (le Monde, 28 février). Dans ce pays, la vraie menace intégriste vient de ce catholicisme de choc qui constitue pour le fascisme un terreau nourricier et un de ses fers de lance les plus redoutables, avec ses « skinheads en soutane » qui brûlent les cinémas (en attendant mieux). Il faut des mobilisations ouvrières/immigrées de masse, basées sur les syndicats, pour écraser les fascistes avant qu’ils nous écrasent !

De leur côté, l’épiscopat catholique et une partie de la droite parlementaire ont crié leur indignation… contre le « blasphémateur » Rushdie. « Une fois encore, déclare le cardinal Decourtray, des croyants sont offensés dans leur foi. Hier les chrétiens, dans un film défigurant le visage du Christ. Aujourd’hui les musulmans, dans un livre sur le Prophète » (le Monde, 21 février). Quelques jours plus tard, Chirac – après avoir réclamé l’expulsion « des fanatiques [qui] viennent hurler à la mort dans les rues de la capitale des droits de l’homme » – emboîtait le pas au « primat des Gaules » en dénonçant « l’exploitation systématique du blasphème […]. C’est une agression. Ce viol personnel est inadmissible. Ce n’est pas une excuse du fanatisme, mais les choses ne sont jamais noires ou blanches et les torts sont partagés » (Libération, 1er mars). Jusqu’à Pasqua qui s’érige lui aussi en défenseur des musulmans offensés en déplorant que « pour faire vendre un livre, on s’attaque à des valeurs fondamentales ou sacrées » (Libération, 2 mars) !

Derrière Decourtray et Chirac, une fraction de la bourgeoisie française rêve à haute voix d’imposer à toute la population un nouvel « ordre moral » sanctifié par l’Eglise catholique, apostolique et romaine, avec « respect » obligatoire des dogmes religieux. Ces idéologues de la réaction poursuivent un objectif éminemment pratique : la religion et, plus précisément, les religions établies, avec leurs appareils d’encadrement idéologique qui prêchent aux opprimés la soumission et la résignation, constituent en effet un précieux instrument de contrôle social, un rouage essentiel du maintien de l’« ordre » capitaliste.

En France, l’Eglise catholique a toujours été, en particulier, une auxiliaire fidèle du colonialisme, comme l’a si bien décrit Ho Chi Minh dans le Procès de la colonisation française :

« Tel prêtre, « les pieds et jambes nus, le caï quân (pantalon) retroussé jusqu’aux fesses, le ventre ceint d’une ceinture remplie de cartouches, le fusil à l’épaule et le revolver au rein, marchait en tête de ses ouailles armées de lances, de coupe-coupe et de fusils à piston ; c’est ainsi qu’il faisait du prosélytisme à main armée, appuyé par nos troupes qu’il guidait dans les villages païens signalés par lui comme rebelles » […]. Dieu est bon et tout-puissant. Fabricateur souverain, il a créé une race dite supérieure pour la jeter sur une autre race dite inférieure, créée, elle aussi, par Lui. C’est pourquoi, toute mission civilisatrice – qu’elle soit destinée aux Antilles, à Madagascar, à l’Indochine, à Tahiti a toujours comme remorqueuse une mission dite d’évangélisation. »

Mais le colonialisme n’hésitait pas, là où il le jugeait utile, à s’appuyer sur les religions « indigènes ». Ainsi, « en 1926, la France coloniale édifie une mosquée splendide au cœur de sa capitale pour s’attirer l’ « amour de ses sujets musulmans », qui n’en seront que plus fiers de « mourir pour une si belle patrie » – une « mosquée-réclame » aux yeux de Messali Hadj et des nationalistes algériens d’alors. En 1976, la France n’a plus d’empire musulman, si ce n’est les quelque 5 % de musulmans qui résident sur son territoire, population socialement fragile. Dans cette perspective, l’épanouissement éventuel des travailleurs immigrés musulmans par l’affirmation de leur « identité culturelle » et, notamment, par la pratique de leur culte, est l’un des moyens de parer à des risques sociaux qu’illustre la grève des loyers à la SONACOTRA » (les Banlieues de l’Islam – Naissance d’une religion en France, Gilles Kepel, 1987). Au début des années 70, le gouvernement avait encouragé le développement de lieux de culte dans les foyers SONACOTRA afin d’enrayer les luttes combatives des immigrés surexploités, parqués dans ces dortoirs inhumains. Aujourd’hui, les travailleurs immigrés et leurs enfants de la « deuxième génération » sont, pour beaucoup, relégués dans des cités-ghettos où ils sont confrontés à un chômage massif, à des conditions de vie dégradantes et à une montée dramatique de la terreur raciste.

Aux jeunes de la « deuxième génération » qui ont accueilli les propos des Chirac et Decourtray comme un appui à leur « dignité », nous disons : les défenseurs de l’ordre impérialiste français sont vos ennemis jurés, le chauvinisme est la forme principale que revêt la réaction à l’époque de la dégénérescence impérialiste et, en France, la réaction s’abattra immanquablement sur la communauté musulmane tout entière.

LES REVOLUTIONS BOURGEOISES CONTRE L’EGLISE

Les philosophes des Lumières avaient effectué le travail de préparation idéologique de la destruction de l’ordre féodal au nom de la libération des capacités de l’individu et de la réorganisation rationnelle de la société. Contre l’absolutisme des monarchies de « droit divin » et contre l’obscurantisme religieux qui était leur pilier idéologique, les bourgeoisies révolutionnaires d’Europe et d’Amérique du Nord, aux XVIIe et XVIIIe siècles, avaient établi et défendu le principe démocratique élémentaire de la liberté de conscience religieuse et la séparation de l’Eglise et de l’Etat. La Révolution française devait briser le pouvoir temporel (et le domaine foncier) de l’Eglise catholique, abolir les lois moyenâgeuses punissant de mort le « blasphème » et arracher l’état-civil aux mains des prêtres – une mesure d’une immense portée, car elle garantissait aux juifs et aux protestants l’égalité complète devant la loi et les pleins droits de citoyenneté. Même au cours de sa dégénérescence, sous Napoléon Bonaparte, l’impact de la Révolution française dans toute l’Europe fut incalculablement progressiste. Ainsi, quand elles pénétraient dans les villes allemandes, les armées de Napoléon brisaient les portes des ghettos juifs, pour symboliser la destruction des superstitions médiévales.

La bourgeoisie alors révolutionnaire a repoussé la religion dans la sphère des activités privées – un acquis démocratique d’une portée immense que les marxistes défendent en exigeant la séparation la plus stricte de l’Eglise et de l’Etat. Comme Marx l’a dit, « chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels [sexuels] sans que la police y fourre le nez » (Gloses marginales au programme du parti ouvrier allemand, 1875). Mais aujourd’hui, dans les pays qui n’ont jamais connu de révolution bourgeoise et qui gémissent sous le joug des régimes néo-coloniaux nationalistes, ce simple droit démocratique n’existe pas. Sur vingt et un Etats arabes, vingt ont inscrit la religion dans leur Constitution (cf. Albert Memmi, le Monde, 29 mars). L’absence ou le caractère inachevé des révolutions démocratiques bourgeoises dans les pays néo-coloniaux trouve son expression la plus nette et la plus cruelle dans l’oppression effroyable qu’y subissent les femmes, qu’il s’agisse de la suttee (« suicide » forcé des veuves) en Inde, de l’excision dans certaines parties de l’Afrique noire ou des dispositions barbares de la charia islamique.

CONTRE L’OPIUM DU PEUPLE

Les philosophes des Lumières savaient bien que la liberté de conscience dont ils se réclamaient n’était, pour reprendre l’excellente formule de l’écrivain Manuel de Diéguez dans une lettre publiée par le Monde du 4 mars, qu’un « concordat entre la pensée et le sacré ». Le si anticlérical Voltaire se demanda : « Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à dieu qu’aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? » Même un Mirabeau, partisan d’une monarchie constitutionnelle, se méfiait du mot « Tolérance », « tyrannique en lui-même », « puisque l’existence de l’autorité qui a le pouvoir de tolérer, atteinte à la liberté de penser, par cela même qu’elle tolère et qu’ainsi, elle pourrait ne pas tolérer » (cité dans la préface de Rita Hermon-Belot à l’Essai sur la régénération physique, morale et politique des juifs de Grégoire).

Mais, en cette année du bicentenaire de 1789, la « France des droits de l’homme » mitterrandienne présente le règne démocratique bourgeois idéal de la tolérance comme le meilleur des mondes possible. Et les organisations « antiracistes » comme SOS-Racisme, adepte du prosélytisme au profit de la social-démocratie, et autres France Plus ne peuvent que renforcer le désespoir des opprimés, préparant ainsi le terrain aux intégristes. Avec toute la France « officielle » s’empressant de renier tout ce qui est arrivé dans la Révolution française après 1789, c’est-à-dire tout ce qui était révolutionnaire, c’est un signe de la dégénérescence complète de l’ordre bourgeois actuel que même la conception de tolérance ait été complètement dénaturée. « Tolérance », le « droit » à la différence est opposé par les politiciens bourgeois aux pleins droits de citoyenneté pour les immigrés. « Tolérance» est la façade derrière laquelle croissent la ségrégation et les crimes racistes.

Dans le monde bourgeois réel, les coins de fer de l’exploitation capitaliste rivent l’immense majorité de la population à une vie d’oppression et de misère. Il revient au matérialisme historique – au marxisme – de montrer que la libération des consciences de la fantasmagorie religieuse est inséparable de la libération de l’humanité des chaînes de l’exploitation de classe et de montrer concrètement les voies de cette libération. « Toute religion, écrit Engels, n’est que le reflet fantastique, dans le cerveau des hommes, des puissances extérieures qui dominent leur existence quotidienne, reflet dans lequel les puissances terrestres prennent la forme de puissances supra-terrestres », puissances naturelles mais aussi « puissances [sociales] qui se dressent en face des hommes […] et les dominent avec la même apparence de nécessité naturelle que les forces de la nature elles-mêmes » (Anti-Dühring). Pour que la société tout entière puisse enfin se débarrasser de ces reflets fantastiques, il faudra qu’elle se soumette ces puissances sociales incontrôlées qui la dominent « par la prise de possession et le maniement planifié de l’ensemble des moyens de production » (Ibid.) – autrement dit la révolution socialiste. Car, pour les marxistes, il est bien sûr hors de question d’« abolir » la religion ou la divinité par on ne sait quel décret : il s’agit de jeter les bases matérielles qui permettront à l’humanité de se libérer de ces fantasmagories.

Dans ce pays gangrené par la ségrégation et la terreur anti-immigrés, où des siècles de colonialisme ont semé profondément dans la société un mépris raciste contre les peuples de culture islamique, des révolutionnaires marxistes dignes de ce nom doivent être au premier rang des luttes contre les attaques et les discriminations racistes (y compris les entraves à l’exercice de leur culte) que subissent les immigrés. Dans ce coude à coude fraternel de la lutte de classe, ils ne distingueront jamais entre croyants et non-croyants. Mais des révolutionnaires marxistes dignes de ce nom ont aussi le devoir d’expliquer franchement à leurs frères de classe croyants qu’au lieu de chercher un sens à leur misère d’ici-bas dans les mirages de la religion, ils feraient mieux de chercher à comprendre le monde réel, en matérialistes, pour pouvoir l’empoigner à bras-le-corps et le transformer en un monde plus humain.

La Révolution russe d’Octobre 1917 a apporté concrètement la démonstration éclatante que la victoire de la révolution prolétarienne ouvrait la voie à un progrès social et culturel inimaginable sous le capitalisme. Ainsi, dans le domaine de la condition des femmes – un des indicateurs les plus exacts du niveau de progrès social – la république des soviets établit en l’espace de quelques années des acquis démocratiques et sociaux qui dépassaient de loin les pays capitalistes les plus avancés : pleine égalité devant la loi, droit au divorce et à l’avortement, campagnes d’alphabétisation et d’éducation sur le contrôle des naissances, et dans le même temps les bolchéviks jetaient les bases (dans les limites matérielles de l’affreuse pauvreté de l’URSS assiégée) de la socialisation des tâches ménagères, pour arracher les femmes travailleuses à l’esclavage domestique. Et dans l’Asie centrale musulmane, une des régions les plus arriérées de l’ancien empire tsariste, la Révolution bolchévique libéra les femmes de l’effroyable oppression qu’elles subissaient dans les sociétés traditionnelles – cette même oppression pour le maintien de laquelle se bat la chouannerie afghane soutenue par l’Occident et Khomeiny.

Le prolétariat international, dans sa lutte pour libérer l’humanité du joug de l’exploitation capitaliste, continue le combat de tous les ennemis de l’oppression qui, au cours des siècles et dans toutes les civilisations, ont lutté pour libérer le genre humain des chaînes de la souffrance et de l’ignorance, qu’ils s’appellent Ibn Rushd (Averroès), Spinoza ou Diderot.

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