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Algérie : Islamisme et violence des origines à aujourd’hui

Article paru dans Courant alternatif, n° 45, janvier 1995, p. 27-30


L’islamisme algérien n’est pas neuf. Cependant, son organisation sous forme de parti à partir de 1989 a considérablement modifié la donne politique. En effet, elle a mis le pouvoir à portée de sa main, écartant pour un temps les tenants de la voie armée.

En 1956, les oulémas (chefs religieux) rejoignent le FLN. Les premières années de l’indépendance vont voir émerger des groupes et des hommes qui vont peu à peu se démarquer de cette orientation de soutien au FLN et au régime.

En 63 est créée l’association EL QYAM EL ISLAMIA (les valeurs) dont l’objectif proclamé est la défense des valeurs islamiques. Fondée par Hachémi El Tijani, secrétaire général de l’Université d’Alger, on y retrouve les futurs fondateurs du mouvement islamiste algérien : Sahnoun, Soltani, Houidek, Abassi Madani. Des proches de Ben Bella et d’Aït Ahmed tournent également autour de cette organisation, comme Mohamed Khider (beau-frère d’Aït Ahmed).

Cette association va faire parler d’elle lors de la répression exercée par Nasser contre les frères musulmans. Dans les années 60, les islamistes égyptiens constituent une force non négligeable. Sayed Kobt, leur figure de proue, est arrêté pour complot contre l’Etat au profit de la CIA. Son passage aux Etats-Unis de 1949 à 1951 renforce l’accusation. L’Egypte nasserienne est à cette époque au cœur des tensions internationales (crise de-Suez, guerre israélo-arabe de 67). Les frères musulmans s’inscrivent objectivement dans une stratégie de déstabilisation de l’Egypte qui apparaît comme le phare des pays arabes et de la lutte anti-impérialiste. Sayed Kobt est exécuté en décembre 1966.

L’association El Qyam après avoir exigé sa libération, proteste auprès des gouvernements égyptien et algérien. Cette agitation conduit à son interdiction le 22 septembre 1966. Elle est légalement dissoute le 17 mars 1970 ainsi que l’association Djounoud Allah (soldats de dieu). En 71, une réforme de l’enseignement supérieur est mise en oeuvre dans le sens de son arabisation. Or les intégristes sont les fervents défenseurs de la langue arabe (celle du Coran mais aussi celle des coopérants égyptiens, syriens). Ils vont s’emparer de l’arabisation pour s’affirmer sur le terrain universitaire. L’année suivante, le pouvoir lance la révolution agraire. Le PAGS qui approuve celle-ci, scelle alors, avec le régime, une alliance. A partir de 1972, les milices du PAGS vont quadriller les universités pour le grand profit de Boumédienne dont les sbires ont maté, en 1971, l’Union Nationale des Etudiants Algériens. Les Pagsistes vont refouler les islamistes des campus manu militari. En 1973, la mosquée de l’Université centrale d’Alger est volontairement incendiée. S’en suivent de violents affrontements entre la gauche algérienne et les intégristes.

En 1976, le régime abandonne ses alliés du PAGS devenus trop gênants. Réaffirmant son attachement à l’Islam dans la charte et la Constitution de 1976, Boumédienne multiplie les concessions aux intégristes. Le 12 mars 1976, les paris, la vente d’alcool aux musulmans sont interdits. Le 16 août, le repos hebdomadaire passe du dimanche au vendredi, jour de prière.

Mais cela n’empêchera pas les intégristes de critiquer la charte et la constitution de 76. Le passage du dimanche au vendredi renforce leur position.

En effet, cela permettra aux Algériens de se rendre en plus grand nombre à la mosquée le vendredi. Or, expulsés des universités, les islamistes se sont réfugiés dans les mosquées, certes contrôlées très strictement par le pouvoir. Mais, entre 1965 et 1975, leur nombre a triplé. Cette croissance leur a laissé une marge de manœuvre réelle. Ils se structurent d’ailleurs en associations à vocation religieuse.

Ainsi lorsque Boumédienne meurt en 1978, le mouvement islamiste est prêt à repartir à l’offensive. La révolution islamique iranienne et le combat des moudjahidines afghans vont venir lui apporter la matière nécessaire à sa relance.

En février 1979, le régime du shah d’Iran tombe. Derrière la figure emblématique de Khomeyni se rangent la population, les intellectuels, et même la gauche iranienne dont le PC. S’appuyant sur l’exaspération populaire, une république des mollahs voit le jour. La révolution islamique en Iran obtiendra la sympathie du peuple algérien et de son régime aussi. Mais surtout, elle va redonner espoir aux intégristes algériens. A leurs yeux, l’instauration d’une république islamique devient réalisable. Ils sont convaincus que seule la violence pourra les y mener rapidement et sûrement.

L’invasion de l’Afghanistan par les troupes soviétiques donnera encore plus de poids à cette thèse. L’Afghanistan va de même permettre à certains intégristes algériens d’acquérir une expérience désastreuse pour leur pays. En effet, ils seront un certain nombre à se rendre là-bas pour combattre les Soviétiques au nom du djihad, grâce aux bons auspices de la Ligue mondiale islamique et du croissant rouge saoudien. De retour en Algérie, ils formeront les rangs des maquis islamistes. On les désigne par le vocable d’Afghan.

A partir de 1979, les islamistes algériens n’hésitent plus à partir a la conquête du terrain. Les premiers vitriolages (jets d’acide sur des femmes jugées indécentes) apparaissent à cette époque. L’Université demeure un lieu d’affrontement. En 80, des grèves y sévissent. Les islamistes s’allient aux Baath’istes autour de l’arabisation de l’enseignement et contre la gauche laïque et francophone. 1980 sera marquée par de nombreux heurts violents et la répression policière (notamment du printemps berbère). En 82, un sommet est atteint par l’assassinat à coup de sabre d’un étudiant trotskyste. Mais 82, est aussi le moment où une fraction du mouvement intégriste décide de recourir à la violence comme méthode de conquête de l’espace politique. Ce sera l’épisode Bouyali et la constitution du Mouvement Islamique Armé connu pour l’attaque le 30 octobre 82 d’un commissariat de police, une fusillade le 23 novembre avec un barrage de gendarmerie, l’attaque d’une usine en janvier 83, l’assaut d’un commissariat de police le 27 août 85 et enfin la mort de Bouyali le 3 avril 87. Au total près de 200 personnes seront impliquées dont Abassi Madani. Mais ce phénomène armé n’est pas nouveau. Déjà dans les années 70, il existait des groupes armés comme Ansar Allah très durement réprimé et dirigé par Mahfoud Nahnah. Bien que condamné à 15 années de prisons en 76, Nahnah en est ressorti rapidement en 81 et il dirige aujourd’hui, en homme très respectable, le parti islamiste modéré Hamas.

Tous les islamistes algériens ne sont pas lancés sur la voie armée. Bien au contraire, certains ont créé leur propre espace politique à l’intérieur des mosquées. Il s’en est construit au rythme d’une tous les deux jours. En 84, 1/3 d’entre elles sont entre leurs mains. Ils ont investi également le champs des 11 000 associations religieuses.

On retrouve ici, les influences étrangères de l’islamisme algérien. En effet, l’Arabie saoudite grâce à la largesse de ses finances a contribué fortement à la multiplication des mosquées. Au demeurant, l’activisme islamiste saoudien s’inscrit plus globalement dans la démarche des Etats-Unis d’endiguement du communisme. Aussi l’intégrisme musulman (sauf celui d’obédience iranienne) peut-il être considéré comme le fruit de la guerre froide. L’aide saoudienne a continué quand le mouvement algérien s’est transformé en partis. Aissa Khelladi raconte l’anecdote suivante à propos de « l’utilisation d’un laser, lors de certains rassemblements des militants du FIS, tenus pendant la campagne électorale des municipales. Devant une assistance ébahie, les noms de dieu et du prophète illuminèrent le ciel (…). Jamais plus le FIS ne renouvela l’expérience. Ce laser fût introduit par les diplomates saoudiens (dans des valises diplomatiques).

A la suite des événements d’octobre 1988, une nouvelle période s’ouvre : la conquête du pouvoir politique à travers l’organisation en partis politiques. Cette orientation va porter ses fruits puisque le FIS remportera les élections municipales puis le premier tour des législatives.

Le FIS, principal parti islamiste, va réaliser la jonction entre deux catégories de population pourtant opposées et éloignées par leur condition sociale : la bourgeoisie commerçante et les fonctionnaires arabisants ; la grande masse des jeunes exclus.

Il ne faut donc pas présenter le FIS comme un bloc monolithique. Abassi Madani reconnaît lui-même : « Le FIS n’est pas un parti classique. C’est un front qui rassemble plusieurs tendances. Mais les grandes lignes du discours sont identiques ». Ainsi, il existe en son sein deux grands courants : les Salafistes (anciens ou dogmatiques), ils se réfèrent au wahabisme saoudien, nostalgie de la cité islamique des temps du prophète ; les Djazaïristes (algérianistes), ils prônent un islam algérien et sont légalistes. Ils conduiront le FIS aux élections législatives.

Le mouvement islamiste n’est pas uni non plus. Aux cotés du FIS, on trouve le HAMAS ex « al irchad wal islah », qui s’opposera au FIS au niveau de sa stratégie en juin 1991, autour de l’image modérée de Nahnah, le mouvement de la renaissance (nahda) islamique (MRI) ou encore appelé Al Nahda dirigé quant à lui par un jeune imam.

Même organisé en partis, l’islamisme ne rejettera pas l’action armée, ou tout au moins la violence. En novembre 89, une infirmière est vivement brûlée par des intégristes parce que dans le cadre de son travail, elle est amenée à toucher des hommes ; l’appartement d’une enseignante appartenant à une association d’émancipation des femmes est incendié. Début décembre, une manifestation contre les agissements du FIS regroupe 5 000 personnes à Alger, les intégristes répondent en faisant défiler 100 000 404 bâchées c’est à dire 100 000 femmes portant le Hijab pour dénoncer la recrudescence des attaques contre l’islam. Elles scandent notamment : « not east, not west, islam is the best, islam is a way of life », ou encore « non à la mixité ». En janvier 1990, les intégristes attaquent une salle de l’université de Constantine où se déroulait un meeting avec Aït Ahmed. Le pouvoir fera jouer constamment les islamistes contre le reste de l’opposition. Ce type d’incident se reproduira donc souvent. Le 10 janvier, un commissariat de police est attaqué à Alger. Le 16, le palais de justice de Blida est soumis à un violent assaut de la part d’intégristes. En février 90, le premier de ce mois, des étudiantes sont agressées à la cité universitaire des 2 000 lits à Constantine.

En avril 90, le 3, à Blida une étudiante est agressée et notamment fouettée. Le 8, près de Bou Saâda, l’appartement de 4 femmes divorcées est incendié.

Cela n’empêche pas le FIS de remporter les élections municipales en juin 90 avec 4 331 472 voix soit 57,44 %. Toutes les grandes villes du pays sont sous sa coupe. L’islamisme est bien une tendance lourde de la société algérienne. Le FIS a faim. En conséquence, il réclame la dissolution de l’assemblée populaire nationale. Le Gouvernement refuse dans un premier temps, puis fixe pour juin 1991 des élections législatives.

L’adoption le 2 avril 1991 d’une nouvelle loi électorale va relancer les tensions. Le FIS réclame immédiatement son abrogation et des élections présidentielles anticipées. Le 3 avril, l’armée lui répond dans son journal, El Djeich, de façon fort violente : « l’extrémisme politico-religieux, qui s’est avéré dans sa pratique, un moyen insidieux de désintégration des structures modernes des Etats » a deux objectifs : « perturber le système éducatif et culturel afin de priver nos pays de leurs ressources intellectuelles » et « la détérioration des relations armée-nation mais aussi l’échec des expériences de développement ou de démocratisation ».

Le FIS, suivi par 8 partis : le MAJD, le MDA, le PRA, le PNSD, le RCD, l’UDL, l’UFD, l’UFP, menace à son tour d’organiser une grève générale politique. Le 15 avril, il se permet même de lancer un avertissement à l’armée dans l’hypothèse où elle tenterait de s’opposer à son action.

Le 12 mai, les listes électorales sont closes. Seuls le FIS est le FLN sont à même de présenter un candidat dans chaque circonscription. Il semble donc que le FIS souhaite aller jusqu’au bout du processus électoral. Pourtant, il n’y aura pas d’élection le 27 juin 1991. Dès le 17 mai, l’armée dispose des troupes autour des principales villes du pays.

Le 23 mai, le FIS lance un mot d’ordre de grève générale illimitée. Il est aussitôt condamné par le FFS, le MDA, le HAMAS et le PAGS qui proclame la patrie en danger. Du 25 au 28 des marches ont lieu dans Alger. Mais elles ne rassemblent pas grand monde : 30 000 manifestants le 28. Le FIS qui a concentré son activité dans les entreprises à travers le syndicat islamique du travail, subit en effet les contre coup de ses revirements lors de la guerre du Golfe et de sa gestion communale. A la perte de crédibilité s’ajoute celle de leur principale source de financement : l’Arabie Séoudite. Mais cela n’est pas suffisant pour expliquer pourquoi, le FIS a eu recours à la grève générale en mai 91 puis à la violence comme méthode d’action, ce malgré la proximité des élections. Il existe en effet, un autre élément de réponse. Il réside dans la crise interne au FIS entre les différentes personnalités mais aussi tendances du courant intégriste algérien.

Aussi, le journal Le Monde du 31 mai écrit en conséquence : « à un mois des élections en Algérie, les islamistes ont subi un grave revers ». Mais, les événements rebondissent par l’occupation de l’université Bab Ezzouar. Le FIS décide de changer de tactique et d’occuper les places publiques d’Alger. Les brigades anti-émeutes interviennent dans la nuit du 3 au 4 juin. Aux grenades lacrymogènes des gendarmes, les islamistes répondent par les cocktails Molotov, les barricades et démontrent leur organisation : talkies-walkies, jumelles à infrarouge, masques à gaz, armes à feu.

Alger devient ainsi le théâtre d’une véritable guérilla urbaine qui selon les sources aura fait entre 3 et 17 morts dont un capitaine de gendarmerie et plusieurs dizaines de blessés.

Mais surtout, ces événements sont le prétexte idéal pour l’armée de reprendre en main les politiques. Un jour seulement après la signature de l’accord avec le FMI, l’Algérie vit sous l’état de siège. Les élections sont reportées. Le gouvernement est démis. Le couvre-feu est instauré. On assiste donc à une répétition grandeur nature du coup d’état de janvier 92. L’armée reprend ce qu’elle avait concédé à l’issue des émeutes d’octobre 88. Les mouvements de troupes encerclant les villes, du 17 au 22 mai n’ont pas été ordonnés par les pouvoirs exécutif et législatif. Ils résultent d’une initiative unilatérale de l’Etat major comme l’indique le communiqué de ce dernier à l’Agence APS le 22 mai.

Le 7 juin Ghozali devenu premier ministre, annonce que des élections législatives auront lieu avant la fin de l’année. Le même jour, le FIS proclame la fin du mouvement. Tout semble redevenir calme. Cependant, une première vague de répression a lieu. 244 personnes sont inculpées de rébellion. 12 000 salariés grévistes sont licenciés. 20 morts et 213 blessés sont officiellement dénombrés. Les affrontements reprennent le 20 juin. Le lendemain, Ali Belhadj exhorte au stockage d’armes et d’explosifs. L’armée exige le rétablissement des devises républicaines sur les façades des APC ; que les élus du FIS avaient fait enlever. Du 24 au 26 juin, des fusillades éclatent dans Alger. Elles feront une vingtaine de morts dont 13 dans la capitale. Les tensions internes au FIS conduisent 3 des membres de son Majlis El Choura (comité central) à dénoncer Abassi Madani lors d’une émission à la télévision.

Alors que l’armée met en garde le FIS, Abassi Madani appelle le 28 juin au Djihad contre l’armée. Le 30 juin Abassi Madani et Ali Belhadj sont arrêtés pour conspiration contre la sûreté de l’Etat. Une vaste opération de démantèlement de l’organisation du FIS est lancée. 2 600 personnes sont arrêtés (8 000 selon la ligue algérienne des droits de l’homme). Des centres de sûretés sont ouverts. Amnesty recense 2 601 interpellations et 693 inculpations, ainsi que des cas de torture.

Le 1/8/1991, Ghozali dresse un bilan officiel de trois mois de violence : 55 morts (300 selon la LADDH) dont 4 militaires, 326 blessés, 2 976 interpellations, 1 100 incarcérations, 809 personnes déférées devant la justice militaire.

Entre temps, le calme est revenu. Les dernières violences datent du 12 juillet 1991 : un mort et 11 blessés à la mosquée de Kouba. Le 17 juillet 1991, le couvre feu est levé.

Persuadée que le FIS est définitivement éliminé, l’Etat-major autorise en conséquence la poursuite d’un processus électoral bien ébranlé. Une seule chose n’avait pas été prise en compte, l’enracinement réel du FIS dans le tissu politique du pays. Malgré la répression, le FIS conserve sa force qui « consiste à proposer une nouvelle rupture avec l’Etat actuel en retrouvant les mots, le vocabulaire de l’ancienne rupture avec l’Etat colonial ».

Pour revenir à la crise du FIS, une de ses causes est sa composition hétéroclite : « un fond de vrai dévots, un grand bol d’exclus sociaux, quelques pincées de commerçants qui voient loin et, pour pimenter le tout, une copieuse cuillerée de jeunes, qui la rage au cœur, n’ont plus pour boussole que la haine des éternels vaincus ». Mais la cause principale est avant tout la vacance de pouvoir en son sein. Dès le 3 juillet, Mohamed Said s’autoproclame seul successeur officiel et légitime d’Abassi Madani. Enfin, le FIS est traversé par plusieurs problèmes autour de la participation aux conférences gouvernement/partis, aux élections, le passage à la lutte armée. Toutes ces questions seront tranchées lors d’une réunion du Majlis Choura du FIS le 26 juillet à Batna où une partie de la tendance djazairiste réalisera un coup de force.

Le courant « moderniste » du FIS, inspiré par Bennabi et Ben Badis, porté par de jeunes médecins, ingénieurs, universitaires, réussit à élargir la composition du Majlis. Le fait qu’un certain nombre de ses membres soit en fuite ou incarcérés facilite cette opération. Le coup d’état interne est d’abord dirigé vers les salafistes, la tendance rétrograde du FIS, pro-saoudienne et qui avait condamné Abassi Madani. Les tenants de la voie armée sont également la cible des jeunes djazairistes. On y retrouve d’ailleurs aussi bien des djazairistes que des salafistes. L’option violente est transversale à toutes les tendances islamistes. Said Mekloufi et Kameredine Kherbane tous deux d’anciens afghans créeront un groupe intitulé « les fidèles du serment ».

Alors qu’Abassi Madani et Ali Belhadj sont reconduits respectivement aux postes de président et vice-président du FIS, Abdelkader Hachani secondé par Rabah Kébir est nommé président du bureau exécutif du parti. Une purge est également opérée. Des exclusions sont prononcées (A. Marani, B. Fkih), ainsi que des suspensions (Mohamed Karrar, Kameredine Kherbane, Makloufi Said, Hachémi Shanouni, Benazouz Zoubdaj).

Dès le 6 août 91, Chadli annonce la tenue d’élections législatives en novembre. Elles auront lieu en fait en décembre. Dix jours plus tard, 300 islamistes sont libérés. Le 27 août, les détentions administratives cessent. Les centre de « sûreté » sont fermés le 30. Mais la tension reprend en septembre avec la grève de la faim des leaders du FIS emprisonnés. Dans une prière du vendredi, Hachani va même jusqu’à lancer un appel à la désertion aux appelés. Il est arrêté le 28 septembre. Cependant, cela ne contrarie aucunement la levée de l’état de siège le lendemain.

Le FIS pour sa part continue sa réorganisation. Le 2 octobre, il réunit l’ensemble de ses élus locaux. Durant les mois d ‘octobre et novembre, il va multiplier les démonstrations de force : 31 octobre attaque d’un siège du FLN, attaques des meetings de Ben Bella, attaques de ceux d’Hamrouche. Le 31 octobre, il atteint son apogée avec une manifestation de 300 000 à l’issue de laquelle Hachani libéré depuis 2 jours est reçu par le Président de l’Assemblée Populaire Nationale.

Le 3 novembre, le dépôt des candidatures aux législatives est clos. Le FIS et le FLN seront les seules organisations à être présentes dans l’ensemble des circonscriptions. Le 28 novembre Mohamed Said est libéré. Aussitôt, la violence monte d’un cran. En effet, le lendemain a lieu l’attaque du poste frontalier de Guemmar par un commando islamiste. Trois gendarmes sont tués. Le FIS est mis en cause. L’armée montre sa détermination : 27 morts côté islamiste, 10 blessés, 44 arrestations. Le 1er décembre, l’assemblée populaire nationale adopte une nouvelle loi restrictive en matière de rassemblement, de manifestation et autorisant l’armée à participer à des missions d’ordre public. Deux grands rassemblements islamistes se dérouleront les 6 et 23 décembre à Alger.

Au fur et à mesure que les élections s’approchent, la violence s’accroît. Les deux jours précédents le scrutin, des fusillades éclatent. Chadli bien discret depuis les événements de juin 91, sort de sa réserve. Le 24, dans une conférence de presse, il annonce qu’il acceptera de cohabiter avec un gouvernement d’opposition. Mais il met également en garde ceux qui seraient tentés par toute forme d’aventurisme.

Le 26 décembre 1991, la participation est de 58,55 %. Seuls 7,8 millions d’Algériens sont allés voter sur 13,2 millions d’inscrits. 232 sièges sont attribués dès le premier tour : 188 vont au FIS avec 3 260 222 voix (24,79 %), 16 sont gagnés par le FLN avec 1 612 947 suffrages. Le FFS avec seulement 510 661 voix (3 fois moins que le FLN) remporte 25 sièges. Quant aux autres, ils se partages 3 sièges. Le FIS est au demeurant en ballottage dans 199 des circonscriptions restantes. Un séisme politique ébranle une nouvelle fois l’Algérie.

Le 26 décembre 1990, soit un an jour pour jour avant le scrutin, le ministre de la défense avait annoncé que « l’armée était déterminée à protéger et à garantir le processus démocratique ». Après coup (d’Etat), la nomination du Général Larbi Belkheir à la tête du ministère de l’intérieur le 16 octobre 1991 n’était pas fortuite. « Avec le général Khaled Nezzar, ministre de la défense, ils pourraient être amenés à prendre le contrôle du pays, notamment en cas d’instauration, une nouvelle fois de l’état de siège. La transition vers la démocratie s’achèverait alors sur une impasse. Et commencerait, comme le souhaitent de plus en plus de responsables au sein du FLN et dans l’entourage du président, la voie autoritaire vers l’économie de marché. A la chilienne ou à la sud coréenne… » pouvait-on lire dans le Monde diplomatique en décembre 1991.

Ajoutons-y les propos d’Abassi Madani et nous avons tous les éléments pour compléter le puzzle algérien qui prévaut désormais : « si l’armée sort des casernes, nous (NDR les islamistes) sortirons tous, nous serons une armée islamique au service de la cause du prophète » .

Trois années plus tard, l’affrontement pouvoir militaire/intégrisme a fait 30 000 victimes. On voit donc que la remise en cause des résultats du 26 décembre 1991 a renforcé les tenants d’un islam politique violent. Cependant, il serait faux de croire que tous les islamistes souhaitent recourir à l’action armée. La preuve en est la participation de certains de leur dirigeants à la réunion de Rome avec d’autres partis algériens.

Mais cela fera l’objet d’un second article : islamisme et violence depuis le coup d’Etat de 1992.

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