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Algérie : les langues se délient

Dossier paru dans Sans Frontière, n° 12, 22 avril 1980, p. 10-11


La culture en question

Dans un Maghreb en ébullition, l’Algérie manifeste une revendication qui, pour être relativement localisée, n’en est pas moins universelle par ses motivations et capitale par son intérêt : l’identité culturelle d’un peuple.

Comme on pouvait s’y attendre, la manifestation des étudiants de Tizi-Ouzou du 11 mars dernier, qui faisait suite à l’interdiction faite à l’écrivain M. Mammeri d’animer une conférence sur « La poésie kabyle ancienne » (voir S.F. du 25.3.80), a fait tâche d’huile en Kabylie, atteignant même Alger et Sétif.

A Alger, plusieurs manifestations d’étudiants ont eu lieu, mobilisées par les revendications des étudiants de Tizi-Ouzou : reconnaissance de la langue berbère et, au-delà, le droit de cité à l’expression populaire dans le pays.

L’entrevue entre les étudiants de Tizi-Ouzou , et le coordinateur du parti unique, le F.L.N. d’une part, celle ayant réuni une délégation de neuf enseignants, « conviée » par le préfet de Tizi-Ouzou à une rencontre avec le ministre de l’Enseignement Supérieur d’autre part, auront pu laisser présager un apaisement et une bonne volonté susceptibles d’amorcer une négociation intelligente et réfléchie.

Mais, compte tenu des échos de la récente « mise au… point du chef de l’Etat, et de ce qu’il était absent du pays lors de ces « avances », il semble bien plus réaliste de conclure, soit à un déphasage d’opinion à l’intérieur du pouvoir, soit à une tactique « anesthésiante » mise en place en attendant le retour du chef de l’Etat.

Malgré la dynamique du soutien dont en particulier les travailleurs de tous les secteurs (la réussite de la grève du 16 avril est de ce point de vue fort significative) et la population de Kabylie ont consolidé le mouvement de revendication, le chef de l’Etat a, selon la presse ri, clairement réaffirmé le triptyque idéologique des ulémistes des années 30 : l’ordre et la syntaxe seuls ont évolué (*2).

Le parallèle fait entre la revendication populaire et les négociations actuellement en cours avec la France et les U.S.A. est un amalgame d’autant plus incongru que, de toute évidence, les étudiants de Tizi-Ouzou n’ont pas pu avoir prévu que la sortie en librairie du livre de M. Mammeri (aux Editions F. Maspero). qui a motivé leur invitation, allait avoir lieu juste avant cette affaire de gaz. Encore moins auront-ils pu dicter sa décision au Wali (Préfet) censeur juste à ce moment.

Ce refus, incompréhensible, de reconnaître le bon fondement d’un mouvement populaire exigeant l’officialisation et la promotion d’une culture authentiquement populaire cache-t-il une politique du pire, comme semble l’indiquer le renforcement des effectifs militaires et policiers en Kabylie et à ses alentours immédiats ?

Une répression tragique ? Un marché de dupes ? Ou, malgré tout, peut-on espérer une solution qui soit à la hauteur — et à l’honneur — de la meilleure Algérie ?

« Sans Frontière » se propose de donner ici quelques éléments de réflexions et d’information sinon absolument objectifs, du moins sincèrement et librement exprimés par des Algériens.

C’est notre premier apport à un problème qu’à l’instar d’autres médias et organismes nous n’avons peut-être pas, jusqu’encore, saisi dans toute sa complexité et profonde vérité.

Mouloud CHALAH
Farid AICHOUNE

(*) Voir « Le Monde » du 19 avril 1980, en dernière page.

(*2) Le mot d’ordre d’alors, généralement attribué au Cheikh Ben Badis, chef de file du mouvement oulémiste, était : « L’Algérie est mon pays, l’Arabe est ma langue, l’Islam ma religion ». Le colonel Chadli Ben Djedid, chef de l’Etat a, lui, déclaré que l’Algérie était « un pays arabe, musulman, algérien ».


Culture berbère/culture algérienne

Alger, mardi 8 avril.

Venant de la place du 1er Mai, où les traces de la manifestation du lundi 7 avril qui fit plusieurs blessés cher les manifestants, ne ont pas visibles, si ce n’est quelques voitures de police et de gendarmerie stationnant ici et là, je fus accueilli par un déferlement d’étudiants au niveau de l’ex-rue Charras, coupant net avec le relatif calme qui régnait plus tôt. Ce n’était pas vers le restau U que les étudiants se précipitaient : plus bas, un cordon de C.N.S. (*), tenues bleues et visières baissées, barraient le boulevard Amirouche. Les traditionnelles chasses-d’eau anti-émeutes étaient là aussi. Pourtant aucune trace de manifestants sur le boulevard. Des flics en tenue normale obligeaient les gens à circuler, matraques à la main…

C’est en remontant la rue Didouche Mourad que les choses s’éclaircirent : les étudiants avaient tenté une marche des facultés centrales vers la Grande-Poste. Vite dispersée : les brigades anti-émeutes étaient là ausssi. Matraquages et arrestations. Une grande partie des étudiants avait cependant pu regagner l’enceinte de l’université. Bouclés aussitôt par un cordon qui partira quelques temps plus tard. Les étudiants ne quitteront plus la faculté. Rassemblée derrière le grand portail et tout au long de la corniche qui donne sur la rue Didouche et la place Audin, tout l’après-midi, ils crieront les slogans réclamant le droit de cité à la culture berbère et à la culture populaire.

La foule était encore plus dense que d’habitude. Et pas seulement parce qu’on ne pouvait emprunter qu’un trottoir, car celui attenant à la fac était interdit, comme si l’on craignait un plus étroit contact entre la population et les étudiants barricadés.

La chaleur est écrasante. La quasi-totalité des magasins face à la fac étaient fermés. Sans doute, par crainte d’émeutes. Au milieu de la foule, de jeunes policiers obligeaient comme eu boulevard Amirouche les gens à circuler. Devant moi, une matraque venait de s’abattre sur le dos d’un jeune adossé à un arbre : « Je te dis de circuler ». La rue était bien contrôlée. Deux catégories de flics : les « chiens méchants » qui manipulent avec dextérité la matraque et l’insulte, et les jeunes du service national beaucoup plus près de la population. Parmi les « chiens méchants », les inévitable. « S.M. » (sécurité militaire), un discret talkie-walkie à la main.

Brusquement, un grand brouhaha : on venait d’arrêter quelqu’un. Littéralement extirpés d’une petite « Renault 5 » rouge, un jeune et sa compagne sont ipso facto embarqués dans une voiture de S.M. « Police assassin », « Libérez nos camarades », « La police à l’usine », criaient les étudiants. La foule dehors n’a pas bougé. Elle n’a pas osé… « Circulez, circulez », les flics sont encore plus vigilants.

De l’autre côté de la rue, les étudiants continuaient de plus belle : « On est au Chili », « Police assassin ». Peu après, un semblant de revanche : le hasard a fait qu’un panier à salade tombe en panne juste devant l’enceinte. Les flics durent le pousser à la main sous la huée et les « oh ! hisse ! » moqueurs des étudiants…

Azraïn
(correspondance Alger)



(*) C.N.S. : Compagnie Nationale de Sécurité (équivalent des C.R.S. d’ici), en principe dissoute par feu Boumediene à la suite d’un attentat contre lui.


LIBRE OPINION

La part des causes

par R. SADI

Le problème de l’identité culturelle let donc politique) actuellement posé en Algérie et potentiel, si on peut dire par les temps qui courent, à travers toute l’Afrique du nord ne date ni de la colonisation française, ni encore moins, de l’indépendance.

C’est un problème qu’a, de fait posé et perpétué la série de colonialismes qui se sont succède sur ce morceau d’Afrique béni des dieux.

L’explosion multiforme (manifestations, grèves, protestations écrites, etc., suivies des opérations répressives de routine, exception faite de ce « cordon sanitaire » comme le dit si délicieusement France-Soir, mis en place autour de la Kabylie), l’explosion multiforme, disais-je donc, que connaît l’Algérie actuellement n’est qu’un prolongement d’une série d’ « incidents » (voir la chronologie ci-contre) mais aussi et surtout, la conséquence d’une contradiction capitale et quasi-unique dans l’histoire de l’Afrique du Nord :

Sur les années soixante, pour la première fois depuis quelque vingt siècles, l’Afrique du nord, certes encore morcelée en trois pays, se retrouvait néanmoins sinon libre de toute pression extérieure, du moins dirigée par des hommes (surtout) nés d’elle et se réclamant siens.

Malheureusement, cet acquis exceptionnel et historique n’a pas été exploité dans un sens qui, pourtant, allait de soi : redonner en toute priorité la parole à un peuple muré et bâillonné depuis des siècles, des millénaires. Pour cela, il aurait été suffisant – et il reste nécessaire de valoriser l’une et l’autre des deux langues effectivement populaires en Afrique du nord : le berbère et l’arabe authentiquement local, lesquelles langues avaient, dès le départ et ont encore des grands mérites et privilèges que « l’élite » leur retourne en dérision : ceux d’être parlés, déjà et en effet…

Au lieu de cela, un arabisme réactionnaire, archaïque et suranné, paré de la sacro-sainte bannière de l’Islam, a été injecté et imposé à un peuple qui ne l’a jamais ni connu, ni reconnu pour sien.

D’où les événements en cours, comme disait pudiquement la presse lorsque vers les années 54-55, les Aurès et la Kabylie, justement, assumaient leur rôle historique et naturel de fer de lance de la lutte pour l’indépendance.

On comprendra dès lors qu’il est vain et illusoire d’espérer une solution immédiatement et intelligemment « négociée ».


Paris : soutien aux étudiants de Tizi-Ouzou

Un rassemblement a eu lieu lundi 7 avril devant l’ambassade d’Algérie à Paris. « Le berbère à l’école », « pour une culture authentiquement algérienne », « identité berbère = identité algérienne », « arabophones, berbérophones même combat » : quand un millier de personnes crie ceci, cela revêt un accent de vérité qu’il est inutile d’essayer de contester. Ce jour-là, les manifestants venus d’horizons différents s’étaient rejoints sur la base de revendications de l’identité culturelle et de la liberté d’expression en Algérie.

Ce ne fut en aucun cas l’initiative d’un parti politique et d’ailleurs, dans la manifestation, il ne fut permis à personne de récupérer le mouvement. Comme il fallait s’y attendre, l’ambassade refusa une entrevue avec la délégation détachée par les manifestants qui représentaient plusieurs régions d’Algérie Ceux-ci voulaient montrer que la revendication n’était pas le seul lot de la Kabylie mais qu’elle concerne toute l’Algérie, arabophone et berbérophone.

Qu’on ne s’y trompe pas : la revendication de l’identité berbère rencontre un écho plus que favorable dans l’immigration algérienne qui a une longue tradition de lutte pour l’identité politique, économique et culturelle.

Cette manifestation qui s’inscrit comme un acte de solidarité avec les manifestations d’Algérie aura permis de montrer que les immigrés conscients des acquis de la Révolution algérienne, suivent de très près ce qui se passe au pays et que la lutte pour le pain passe aussi par la liberté d’expression.

K.N.


CHRONOLOGIE DES EVENEMENTS

Dès les premières années qui ont suivi l’indépendance nationale, il s’est avéré que les langues populaires allaient être laissées à leur propre sort. sans budget ni politique, et ce au bénéfice de l’arabe classique, décrété langue « nationale », d’enseignement, d’administration et d’information. Quelques personnalités et formations politiques ou syndicales ont attiré l’attention des autorités en place sur ce problème ou même posé, en des termes divers il est vrai, la question de l’identité culturelle algérienne dans leur plate-forme ou leur programme, quand ils en avaient.

Cependant, c’est surtout l’arabisation de fond et de forme des programmes scolaires, des administrations (la justice comprise) et des médias (presse, radio, télévision) et une politique de culpabilisation ambiante mise en place autour des masses populaires qui devait amener l’embryon de prise de conscience initial au stade relativement consistant auquel on peut l’estimer aujourd’hui.

Les faits chronologiquement ordonnés ci-dessous ne sont pas nécessairement les plus probants, les plus graves. Ils sont seulement, le feu de l’actualité aidant en ce qui concerne les plus récents, les plus aptes à « visualiser » et supporter une chronologie cohérente et, comme dit plus haut, sommaire :

Dès les toutes premières années successives à l’indépendance : détérioration des programmes et réduction continue du temps d’émission de la « Chaîne (radio) Nationale II » qui, seule, émettait en berbère (de Kabylie)

Vers 1970-71, sur intervention du gouvernement algérien, semble-t-il, après une réduction progressive de ses horaires, une chaîne radio de l’ex-ORTF qui émettait en berbère pour l’immigration kabyle (très importante) est totalement supprimée.

1974 : Suppression de la chaire de Berbère à la faculté des sciences humaines d’Alger. On propose à son titulaire d’alors (M. Mammeri) d’enseigner… le français.

1974 : une importante manifestation culturelle annuelle de la Haute-Kabylie. « La fête des cerises » fait l’objet d’une tentative d’arabisation forcée. Des affrontements s’ensuivirent qui entraînèrent plusieurs morts (trois ?) dont certaines parmi les « forces de l’ordre ».

En conséquence, interdiction est faite à des artistes kabyles (Aït Menguellet et Ferhat, en particulier) de se produire… en Kabylie. Une vingtaine de lycéens sont arrêtés.

Approximativement à la même période, des jeunes lycéens manifestent un peu partout : Sidi-Aïch, Dellys, la répression est dure : incorporations d’office, mutilations, emprisonnements, etc.

1975 : K. Yacine au Monde : « Nous sommes une majorité tronçonnée. Prendre conscience de notre identité est urgent ! ». Et plus loin et de mémoire : « Une démocratie dans laquelle le débat idéologique serait absent ou faussé n’est qu’un défilé de militaires ».

1976 : Arabisation d’office des noms de personnes et des enseignes commerciales. Les noms et enseignes à consonance berbère sont interdits.

1977 : Profitant de la victoire de leur club (l’ex-Jeunesse sportive de Kabylie, tenue de changer de nom, les supporters manifestent très nettement leur hostilité à la politique d’arabisation du pouvoir, et ce en présence du Chef de l’Etat d’alors (H. Boumedienne), personnellement mis en cause. Du stade « 5 juillet », la foule descend à travers les rues d’Alger.

1978 : Les étudiants de l’université de Tizi-Ouzou invitent Aït Menguellet pour un récital. L’autorisation préalable – et nécessaire, on le sait – est refusée.

1979 : La pièce de K. Yacine, La guerre de 2 000 ans, est censurée.

Juin 1979 : Une troupe mozabite et une chaouie (des Aurès) invitées à Paris dans le cadre d’un festival d’expression d’expression berbère sont interdites de sortie du pays.

Fin 1979-début 1980 : des campagnes d’actions répressives sont menées par des arabisants intégristes (agressions, grèves, etc.). Les autorités laissent faire.

Janvier 1980 : La troupe artistique chaouie Azrou est collectivement arrêtée.

1er et 2 mars : à l’occasion de la sortie de son livre (La poésie kabyle ancienne, chez Maspéro), M. Mammeri donne une importante interview à Libération. Il y dénonce en particulier le « jacobinisme » d’une culture imposée au peuple et qui est tout sauf, justement, populaire.

10 mars : Une conférence du même M. Mammeri sur le thème de son dernier livre est interdite à l’université de Tizi-Ouzou, par le wali (sorte de préfet) local, si on peut dire… En conséquence immédiate :

Le 11 mars : plusieurs centaines d’étudiants manifestent à travers la ville, devant la « Préfecture » et le siège du parti entre autres.

Le 16 mars : une manifestation de soutien est organisée à Alger. Elle est dispersée sans ménagements à tout le moins.

Le 19 mars : Le Chef de l’Etat ne fait pas le déplacement prévu pour cette date à Tizi-Ouzou.

Le 7 avril : Une seconde manifestation est très durement réprimée à Alger. Au moins une centaine d’étudiants a été jetée dans des paniers à salade et emmenée pour les « opérations de routine ». Les autorités démentent qu’il y eut « un mort et plusieurs blessés » et affirment que les « interpellés » ont été relâchés.

Cette manifestation marque un durcissement et une importante amplification du mouvement revendicatif. En particulier, les personnels de l’hôpital de Tizi-Ouzou dénoncent courageusement une de ces classiques « motions de soutien » dépêchées d’un peu partout, en Kabylie, par les diverses organisations officielles ou para-officielles (cellules du Parti, coopératives, etc.) en faveur de la « direction politique du pays » et au nom de leurs membres. Lors de leur réunion, ces personnels en ont librement voté une autre en faveur des étudiants en grève et de leurs revendications.

7 avril : manifestation de soutien à Paris (voir article ci-contre).

11 avril : Les autorités déplacent d’un peu partout des « contre-manifestants révolutionnaires » pour tenter de faire basculer l’opinion nationale et internationale, et organisent ainsi des marches et des meetings à travers la Kabylie, dont un animé par des officiels de haut rang à Tizi-Ouzou même.

16 avril : A l’appel des comités de grève, une grève générale paralyse toute la Kabylie, atteint Alger et même Annaba.

Il semblerait que l’exemplarité de cette grève, qui s’est déroulée dans un calme et une dignité exceptionnels, ait en partie été justifiée par l’impuissante exaspération de la population kabyle face à la supercherie du 11 précédent.

A suivre donc…

P.S. Pour une information plus complète, s’adresser au journal ou à « Scoop Imediazen », 11 rue de Lesdiguière, métro Bastille, ou encore à « Idles amazigh », rue Neuve des Boulets, métro Boulets de Montreuil (12e).

(2) Une manifestation est prévue à Paris pour le 1er mai.



POINT DE VUE

Non à la guerre civile

« Chaque matin, avant tout, je me préoccupe d’avoir la force d’attendre… ». Poème Targui.

Attendre… Nous n’en sommes plus là en Kabylie où il règne depuis plusieurs semaines une véritable atmosphère d’émeute. Ce que l’on appelait autrefois le « particularisme kabyle » est déjà rejeté d’emblée, l’identité nationale proclamée sans conteste. Le droit à la différence dans l’unité s’efface au profit de la généralisation des revendications (liberté d’expression, de pensée et d’opinion, reconnaissance et enseignement des longues populaires). Le peuple Amazigh, berbérophone et arabophone tient à sauvegarder sa civilisation et ses langues, ses valeurs et ses organisations sociales (que ni les invasions ni le temps n’ont pu entamer) au milieu de l’unification jacobine, utopiste, orientaliste et arabe. Replié sur lui-même farouche et rebelle à toute assimilation, l’ « Agadir » kabyle est aujourd’hui le fer de lance d’un vaste mouvement national. Dépassant une genèse immédiate du mouvement, soucieux de préserver les acquis de la révolution, il surprend incontestablement les autorités. Ayant prouvé leur force sur le terrain et leur disposition à négocier, les insurgés de Tizi-Ouzou de Larba Naït Iraten, d’Ain-el-Hammam, d’Azazga, d’Alger, de Dra-Ben-Khedda, de Bordj-Menaïel, de Sidi-Aïch, ont marqué des points. En partageant sans réserves les positions prises à l’intérieur du pays. la manifestation de soutien organisée par le comité de défense des droits culturels devant l’ambassade d’Algérie à Paris a, elle aussi, marqué des points et ce, malgré les déclarations diffamatoires et l’hostilité déclarée de la presse écrite et télévisée. Les tentatives de récupération du mouvement ont toutes échoué. Le mouvement amorcé est purement culturel. Les moyens qui sont actuellement mis en oeuvre pour endiguer cette poussée de fièvre qui descend des montagnes et commence à gagner d’autres régions du pays, à savoir les troupes spéciales qui quadrillent le territoire, les forces de police et de gendarmerie, les services de renseignements, les organisations de masse, la presse et la télévision, la délation et les arrestations arbitraires ne feront que renforcer et endurcir le mouvement qui s’écartera dangereusement de la solution médiane pour n’envisager que les solutions extrêmes. Le combat passera alors dans la clandestinité où de jeunes et fervents nationalistes déterminés se regrouperont et se prépareront à l’action directe. Dans ces conditions, l’épreuve de force qui vient de commencer pourrait bien se prolonger et les « concessions » que fera la comité central du F.L.N. au mois de mai apparaîtront vaines et timorées.

Mammeri Voukhalfa


Texte du tract diffusé à Alger

Suite à la répression qui s’est abattue sur la communauté universitaire, les travailleurs, étudiants, enseignants de Tizi-Ouzou ont décidé de constituer un Comité anti-répression chargé d’expliquer la nature du mouvement, d’informer sur ses développements, de faire des démarches pour libérer les prisonniers de la communauté universitaire, faire cesser la répression et faire respecter les libertés démocratiques en Algérie.

Depuis quelque temps, les étudiants à Tizi-Ouzou et à Alger, soutenus par les masses populaires, organisent la lutte pour la reconnaissance des langues populaires algériennes et contre la répression dont est victime la culture populaire et notamment la culture berbère. Par ailleurs, la presse officielle et étrangère a tenté de déformer le mouvement aux yeux de l’opinion publique et de lui donner un sens erroné. Dans ce cadre, nous dénonçons toute tentative et fausse interprétation du mouvement.

De même, nous dénonçons la répression qui sévit et les atteintes aux libertés démocratiques en Algérie par :

— Le quadrillage policier des universités d’Alger et de Tizi-Ouzou et la violation de l’enceinte universitaire par les Services de Sécurité,

— L’arrestation d’enseignants, d’étudiants, de lycéens et de travailleurs :

* 74 étudiants de Tizi-Ouzou portés disparus,

* L’enseignant SADI Hocine arrêté,

* Les lycéens MEZZI et DENKANOUN portés disparus,

* Le travailleur ABTOUT Areski arrêté.

— L’utilisation des forces de l’ordre à des fins anti-populaires testées sous des régimes de dictature (relevé de l’identité de tout jeune se rendant à Alger, arrestations massives et arbitraires),

— L’utilisation d’armes à feu contre les étudiants comme cela a été le cas à Oued-Aissi le 7 avril 1980 à 22H20.

— La répression qui s’abat sur toutes les villes et villages de la Wilaya de Tizi-Ouzou notamment.

Nous exigeons :

1. La libération immédiate et inconditionnelle des prisonniers arrêtés au cours du mouvement.

2. La cessation de la répression contre la communauté universitaire et
les masses populaires.

3. La reconnaissance des langues populaires algériennes, notamment de la langue berbère,

4. La cessation de la campagne de falsification des objectifs du mouvement, menée par la presse nationale et les autorités locales (C.N.P. (1), Wali),

5. Le respect des libertés démocratiques en Algérie. La communauté universitaire de Tizi-Ouzou est déterminée à poursuivre la lutte jusqu’à pleine satisfaction de ses revendications.

Le Comité anti-répression de Tizi-Ouzou.

(1) Commissariat National du Parti. (NDLR).

N.B. : Cette lettre a été diffusée depuis le 7 avril au moins. (NDLR).

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