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Fernand Doukhan : D’Alger, solidarité néo-colonialiste

Article de Fernand Doukhan paru en deux parties dans Le Libertaire, n° 419, 24 février 1955 et Le Libertaire, n° 420, 3 mars 1955


Le bulletin de la section d’Alger du Syndicat National des Instituteurs publie la motion adoptée au cours de la réunion interdépartementale des sections algériennes du 9 décembre 1954.

Cette motion est présentée au nom des 10.000 adhérents que ces dernières réunissent.

J’ignore ce qui s’est passé dans les départements voisins mais, à Alger, seul le bureau de la Section a voté une motion sur les événements que j’ai commentés dans l’Ecole Emancipée.

Au cours de l’assemblée générale du groupement, les responsables qui sont en même temps responsables de la Section, à quelques exceptions près, et qui du fait que le groupement d’Alger est le plus nombreux, font appliquer le plus souvent les décisions du Bureau de Section par le Conseil syndical (ô démocratie) ont refusé de discuter de la répression en Algérie, alors que les militants du M.T.L.D., dont Moulay Merbah leur secrétaire, étaient appréhendés, soumis aux tortures par la Gestapo algérienne et placés sous mandat de dépôt plusieurs jours après leur arrestation, que les journaux nationalistes du P. C. et le Libertaire étaient saisis ou supprimés, que les troupes rapatriées d’Indochine affluaient vers l’Algérie, flanquées de C.R.S. et de gendarmes.

POURTANT, la motion adoptée par le bureau de section, à Alger, reconnaissait qu’il fallait éviter « une répression aveugle et brutale qui ajouterait à la confusion générale et créerait un climat défavorable au rapprochement des différents éléments ethniques ».

Encore une fois, les réformistes ont montré ce qu’ils sont en réalité, des velléitaires que toute action vraiment efficace et courageuse effraye (il fallait du courage pour se dresser effectivement contre la répression, alors qu’une atmosphère de panique et de massacre était entretenue par la presse colonialiste), en liaison avec les organisations ou les individualités représentatives du peuple algérien.

Les champions de « la sérénité nécessaire à la résolution du délicat problème algérien », sérénité au nom de laquelle ils ont refusé « impitoyablement » un article « Ecole Émancipée » pour la Tribune Libre, envisageant le problème algérien sous ses aspects inséparables, politiques, économiques et sociaux, en refusant que la discussion se poursuive en assemblée générale, ont montré leur crainte des réactions de la base, à l’occasion d’événements révolutionnaires.

Pour en revenir à la motion du bureau d’Alger qui a servi de base de discussion à l’élaboration de la motion interdépartementale, les groupements de la section n’en ont pas discuté. Ce qui n’a pas empêché Hassan, délégué d’Oran, de la présenter au nom des trois sections algériennes au C. N. de Noël, et on va présenter la motion pour approbation à la prochaine réunion du C. S., à Alger. Tout cela doit être placé sur le compte de la « sérénité » bureaucratique.

Venons-en à cette motion « sereine » de l’union des sections algériennes : elle « met en garde les pouvoirs publics contre une répression aveugle et brutale qui ne pourrait que désunir les populations algériennes ».

Cette mise en garde est faite avec toute l’aménité que réclament une collaboration confiante et la défense d’intérêts communs… sur le plan administratif.

Remarquer l’emploi prudent du conditionnel qui peut laisser entendre
que la répression, comme la désunion, ne se sont pas produites effectivement.

La motion « met en garde l’opinion publique, également contre les propos et gestes inconsidérés qui, infailliblement, empoisonneraient (c’est nous qui soulignons) dangereusement le climat de notre pays ».

Au lieu de cette forme vague, pourquoi n’avoir pas parlé de la presse
colonialiste subventionnée par les propriétaires des centaines et des milliers d’hectares et autres groupes bancaires franco-algériens (celui des Servan-Schreiber, Lazard, dont le défenseur était Mendès-France, et celui des Rothschild, dont le défenseur est René Mayer), qui fabriquent l’opinion du petit bourgeois algérien moyen.

Le troisième paragraphe de la motion « dénonce et condamne le terrorisme qui frappe aveuglément des victimes innocentes. Demande le châtiment des criminels conformément aux lois républicaines ».

En tête dans la motion du Bureau de la section d’Alger, ce paragraphe est passé en dernière position, sous l’action de la section d’Oran, parmi les dirigeants de laquelle existe un apparenté U.D.M.A. Il est question des lois qui étendent leurs bienfaits sur les autochtones des « trois départements français » et éclairent de leur lumière sereine le maintien Indispensable de l’Ordre néo-colonialiste ! …

Pas un mot du « terrorisme administratif » : droit électoral tronqué par l’artifice des deux collèges non représentatifs du nombre respectif d’électeurs, suppression, en fait, de ce droit électoral ; élection du « candidat officiel » sous la pression de l’administration et le tripatouillage des urnes, sauf dans quelques circonscriptions des grandes villes, afin que l’élection de quelques opposants fasse la preuve que les élections ont été libres ; élections à la manière d’Hitler et de Staline inaugurées à la honte du parti dit socialiste par le sinistre Naegelen, présenté à la Présidence de la République avec l’appui des Staliniens, élections au cours desquelles les Algériens étaient amenés aux urnes par cheikhs et caïds et où les maires et administrateurs enlevaient des urnes les bulletins des électeurs mal votants pour les remplacer par ceux du « candidat officiel ».

Terrorisme administratif qui se manifeste ainsi :

« où les partis sont dissous en vertu du seul bon plaisir du gouvernement, le Parti du Peuple Algérien il y a quelques années, le M.T. L.D. maintenant, où leur chef est arrêté et condamné administrativement, sans inculpation ni jugement, à la résidence forcée ; où des centaines d’Algériens sont arrêtés sans que rien n’établisse leur participation aux événements qu’on leur reproche »… « Tant que, en raison de tout cela, ajoute R. Louzon de la Révolution Prolétarienne, la liberté politique et la liberté de propagande ne seront pour eux qu’un leurre, il faut s’attendre à ce qu’au terrorisme administratif réponde le terrorisme (les administrés ou leur rébellion. »

(Suite au prochain numéro.)


(Suite du numéro précédent.)

NOTRE FAMEUSE MOTION affirme que :

« les syndicalistes universitaires … ont demandé inlassablement qu’en Algérie disparaissent les fléaux que sont l’analphabétisme, le chômage et la misère physiologique et morale d’une grande partie de la population ».

Je me souviens d’une réunion syndicale, après les grèves d’août 1953, où le Secrétaire du cartel des syndicats autonomes à Alger, en même temps secrétaire adjoint du S.N.I., a refusé d’ajouter quoi que ce soit à la motion corporative de la F.E.N. au sujet de l’égalité des droits sociaux et économiques du secteur agricole avec le secteur industriel et commercial.

Cette position est dans l’ordre du corporatisme colonial : en se solidarisant avec le secteur privé, les Universitaires ainsi que les fonctionnaires se verraient reprocher d’oublier qu’ils bénéficient de la parité avec le traitement métropolitain plus le tiers colonial et se verraient menacés dans leurs privilèges acquis, eux qui représentent « des éléments stables de la population », à la condition qu’on fasse droit à leurs légitimes revendications (motion présentée par toutes les centrales de fonctionnaires algériens).

Les Universitaires ne craignent pas de s’honorer dans leur motion des efforts qui ont été tentés en faveur de la scolarisation de 500.000 enfants arabes, alors qu’il y en a 2.000.000 qui ne le sont pas. Le Gouvernement Général a augmenté dernièrement le nombre de classes construites annuellement de 600 à 800 ; l’excédent des naissances approche des 300.000 unités. Sans commentaire.

Et on « demande ardemment » une action pour la scolarisation, les réformes économiques et l’application loyale du Statut de l’Algérie. Les Universitaires sont les seuls avec les Staliniens à réclamer cette dernière, et les nationalistes les plus inoffensifs n’en veulent plus.

Et pour conclure nous lisons dans cette motion : « … Les instituteurs
d’Algérie affirment solennellement que l’Union de tous les Français, de quelque origine qu’ils soient, est possible dans ce pays et qu’elle se fera par l’égalité sociale et l’amitié », les Algériens n’étant pas mûrs pour l’égalité politique. Position reprise par Forestier et qui est le fidèle écho du discours programme de Mitterrand. On ne peut mieux juger du caractère du réformisme qui, par essence, adopte les positions gouvernementales bourgeoises même s’il s’agit d’un gouvernement impérialiste.

Avec cette motion néo-colonialiste, nous sommes en retrait sur la motion du Congrès sur l’Union française qui affirmait que cette dernière ne « saurait être fondée que sur le principe d’une libre coopération des peuples qui la composent en dehors de toute idée de nation suzeraine » et qui était « persuadée que la mise en œuvre de véritables réformes politiques et sociales accompagnée d’une large amnistie, est seule capable de rompre le cycle infernal attentats-répression… »

Il s’est produit dans l’intervalle des événements qui ont renforcé les liens… administratifs et doctrinaux qui unissent les dirigeants réformistes au gouvernement bourgeois. Forestier ne pouvait pas risquer, en prenant le contre-pied des sections algériennes dont les membres craignent pour leurs privilèges coloniaux, pardon, leurs avantages acquis, de perdre l’appoint d’une centaine de mandats qui, au Congrès, votent majoritaire avec une unanimité vraiment réconfortante.

Il faut signaler que, depuis les événements du 1er novembre, un membre français du conseil municipal à Alger, à l’occasion de sa réunion, a dénoncé « les coups, les supplices de la baignoire, qui sont monnaie courante… », dont sont victimes les détenus ; il a parlé également de lynchage ; un autre membre du conseil a dénoncé « le passage aux aveux d’élus municipaux, présentés au juge plusieurs jours après leur arrestation et « portant encore les traces des coups reçus ».

Quant à J. Chevallier, ministre et maire d’Alger, lui-même… « il ne saurait admettre que des hommes, tant (?) qu’ils ne sont pas convaincus d’une action tombant sous le coup de la loi, subissent des traitements qu’on ne songerait pas à infliger à des condamnés de droit commun ».

Ainsi, les responsables des Sections algériennes auront été et seront les seuls à ne pas dénoncer les tortures, et à se contenter, d’une manière combien jésuitique, à « mettre en garde » les pouvoirs publics contre une « répression aveugle et brutale ».

F. DOUKHAN


A ajouter au dossier de la mort de Monnerot

LE S. G. de la section d’Alger nous apprend que la relation de l’assassinat de notre malheureux collègue Monnerot « a été donnée par nos camarades de la section de Constantine ». Il ajoute : « Avant de la rendre publique… du temps et des précautions étaient nécessaires à toute conscience honnête », il « félicite » la section de Constantine (les responsables certainement) d’avoir fourni « ce document irréfutable ».

Or, voici ce que Gilles Martinet nous dit dans « France-Observateur » du 16 décembre 1954 :

« J’ai reçu plusieurs lettres de Français d’Algérie – où l’on me reproche de n’avoir pas suffisamment parlé de la mort de l’instituteur Monnerot. « Pourquoi n’avez-vous pas dit, me demande l’un de mes correspondants, que Mme Monnerot avait été violée ? » Je ne l’ai pas dit parce que la nouvelle a été purement et simplement inventée par un journal d’Alger. Tous les renseignements que j’ai pu [sic] n’avait pas été préméditée. Le jeune instituteur français et sa femme avaient été autorisés par les maquisards à remonter dans leur autocar lorsque le caïd qui se trouvait à leurs côtés sortit brusquement son revolver pour contraindre les fellagha à la retraite. L’un des maquisards le vit et tira le premier. Monnerot fut tué dans la fusillade… »

Que penser de la confiance accordée par notre Secrétaire national et les responsables de la rédaction en publiant la lettre des responsables de Constantine dans l’ « Ecole Libératrice », puisque cette version s’avérait dépourvue de toute l’impartialité et l’honnêteté indispensables dans une circonstance tellement grave ?

La réponse est simple : Forestier défend à tout prix ses électeurs du S.N.I. des Sections algériennes et… la politique de Mendès soutenue par ses amis de la S.F.I.O.

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