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Fernand Doukhan : Misère de l’école publique en Algérie ou l’impuissance du réformisme

Article de Fernand Doukhan paru en deux parties dans Le Libertaire, n° 426, 14 avril 1955 et Le Libertaire, n° 427, 21 avril 1955


L’EXPOSITION sur « La grandeur et la misère de l’Ecole publique en Algérie », organisée par la section d’Alger du S.N.I. et le Comité de scolarisation et de lutte contre l’analphabétisme, inaugurée par Baillet, du Bureau national, et par le recteur, représente un volume imposant d’informations, de statistiques, plans, projets, illustrations.

Elle a nécessité une somme considérable de travail.

Elle nous éclaire sur le réformisme en général et le réformisme colonial en particulier.

Un plan qui devait scolariser un million d’enfants, en vingt ans, est élaboré le 27 novembre 1944 par la haute Administration.

Les techniciens oublient (?) dans leurs calculs un excédent de naissances annuel de 175.000 unités (il est de près de 300.000 actuellement), qui, ajouté à celui des années suivantes atteint le total de plus de deux millions d’enfanta non scolarisés, actuellement, lesquels s’élèveront en 1964 au terme du plan, à plus de quatre millions et demi.

Les normes du plan, elles-mêmes, sont en retard de 19.000 unités, en 1954, retard qui, en réalité, est beaucoup plus important si l’on considère que la moyenne des élèves par classe est de 60, et que l’utilisation des classes à temps réduit, dont le total atteint 2.643 pour les trois départements, se généralise.

Alors que les crédits sur la scolarisation stagnaient ou étaient en diminution, « les événements » ont amené la France à les augmenter de un milliard et demi, en 1955, ce qui « n’est que l’application stricte du plan de vingt ans », dont le Comité de scolarisation et le S.N.I. apprennent aux délégués à l’Assemblée Algérienne, dans une lettre ouverte, qu’ils en ont « maintes fois signalé l’inefficacité depuis que les besoins sont devenus immenses ».

« Les dépenses pour l’éducation sont rentables », apprend-on dans cette exposition.

Nous sommes loin de la Charte d’Amiens, de laquelle l’ancien secrétaire ne craignait pas de se réclamer : l’Etat se met au service de la Communauté, alors qu’il est un instrument de coercition au service de la bourgeoisie, tendant même à se substituer à elle ; patrons et travailleurs se répartissent une part équitable du bénéfice commun, alors qu’ils sont, respectivement, des exploiteurs et des exploités.

« Les objectifs pour régler les problèmes de la scolarisation, y déclare-t-on, sont de trois ordres : démographiques, économiques et culturels. »

Pas un mot du problème politique aux ordres des gros colons, lesquels veulent conserver les terres expropriées et maintenir leurs ouvriers agricoles dans l’analphabétisme et la non qualification professionnelle, afin d’en disposer à volonté et de mieux les surexploiter, les cadres étant réservés aux Français, le régime colonialiste réussissant à empêcher la solidarité des deux éléments ethniques grâce à la discrimination raciale politique, économique et sociale.

(Suite au prochain numéro.)


(suite du précédent numéro)

LE bout de l’oreille politique apparaît dans cette inscription sentencieuse : « Une population peu instruite est instable ».

Quel plus bel aveu que le réformisme est pour l’ordre politique (Soustelle dira la paix). Et comme on s’explique que le terrorisme, qui n’est pas autre chose que la résistance des peuples qui veulent se libérer, et qui menace l’ordre, soit condamné par les majoritaires. D’ailleurs, on ne fait pas, dans cette exposition, la plus petite allusion à l’une des principales causes de la misère de l’école publique, en Algérie : l’hypertrophie des dépenses pour la police et pour la répression. Et quelle inconscience, relevant d’une déformation corporatiste, que de faire dépendre le désordre de l’ignorance, alors qu’il est la conséquence de la volonté d’un peuple de ne plus être esclave et celle des travailleurs de conquérir l’égalité économique.

« Une économie qui repose sur des paysans peu évolués et sur des manœuvres non spécialisés n’est pas viable », y lit-on.

Nos réformistes ignorent, ou veulent ignorer que cette économie est « viable » dans la mesure où les forces de répression du colonialisme (1) réussissent, par des massacres périodiques, à écraser les tentatives des peuples colonisés pour conquérir le droit de disposer librement de leur sort.

Et cette économie ne sera plus « viable » dans la mesure où toutes les forces anticolonialistes, peuples colonisés et travailleurs français solidaires arriveront à l’abattre, en même temps que le pouvoir politique colonialiste.

La doctrine réformiste qui pense aboutir à la société socialiste par des moyens légaux et pacifiques classe les réformistes dans le rang des « utopistes », et en fait des alliés conscients ou inconscients du capitalisme et du colonialisme.

Elle aboutit naturellement, à Alger, à la collaboration au sein d’organismes comme le Comité du plan (le fameux plan de vingt ans qui n’avait pas tenu compte de l’excédent annuel de près de 200.000 naissances), dont la section permanente ne s’est réunie que deux fois depuis 1944, et dont on réclame la remise en fonction, la Commission de la Carte scolaire où les hauts fonctionnaires du Gouvernement général, de la Préfecture, les délégués à l’Assemblée Algérienne constituent une majorité écrasante. On constate amèrement que les promenez au personnel de faire partie des comités d’études et des groupes de travail de la commission Le Gorgeu n’ont pas été tenues.

On demande qu’un Office algérien des constructions scolaires soit mis directement sous l’autorité du recteur, avec des sections départementales présidées par l’inspecteur d’académie, le personnel y collaborant.

Comme si le recteur ne recevait pas les ordres du Gouverneur général et des gros colons et les crédits n’étaient pas votés par l’Assemblée Algérienne porte-parole et exécutante docile de ces derniers.

Comment s’étonner, finalement, de la grande misère de l’école publique alors que les réformistes ne reconnaissent pas qu’elle est liée à l’existence d’un régime, alors qu’ils collaborent avec ce régime au lieu de l’abattre en se solidarisant effectivement avec les partis nationalistes véritablement représentatifs de la grande majorité du peuple algérien.

La lutte pour la scolarisation est liée à la lutte du peuple algérien pour la liberté et l’égalité politiques, et à celle des travailleurs algériens pour l’égalité économique. Et la place des syndicalistes dignes de ce nom est du côté des nationalistes qui luttent dans leurs syndicats, leurs Comités de lutte contre la répression, pour l’abrogation du décret instituant l’état d’urgence, qui atteint en monstruosité tout ce que le fascisme a pu fomenter pour l’assassinat de la liberté des hommes et des peuples, pour la libération de Messali Hadj et de tous les militants emprisonnés, pour la levée de l’interdiction du M.T.L.D. et de son journal « L’Algérie Libre », pour le retrait du contingent et de toutes les forces de répression, pour la reconnaissance des peuples d’Afrique du Nord à disposer librement de leur sort.

Cette lutte n’offre pas la sécurité des démarches réformistes auprès des élus, de congratulations avec les fonctionnaires d’autorité ou les grèves de tout repos, mais les risques qu’elle comporte permettent de se mettre en règle avec sa conscience de véritable syndicaliste, de syndicaliste révolutionnaire.

FERNAND


(1) Ce dernier mot ne figure pas une seule fois dans cette exposition, car nous ne devons pas perdre de vue que l’Algérie est trois départements français ». Et, en cela, l’accord le plus complet existe avec le Gouverneur général Soustelle qui a apporté, à l’occasion de son discours inaugural « un démenti aux voix étrangères qui dénoncent le prétendu colonialisme de la France ».

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