Article paru dans Pouvoir ouvrier, n° 29, mai 1961, p. 7
Dans le passé, seuls les amateurs de « bouts de jardin », de petites propriétés se retrouvaient dans des trains qui les transportaient vers les bords de la Marne, la vallée de Chevreuse, les pavillons « Loi Loucheur ».
A présent les travailleurs habitent la banlieue par obligation. Chaque soir, ils se précipitent… et leur journée va se prolonger d’une, souvent de deux heures. Des milliers de personnes s’entassent dans ces mêmes trains, pas plus rapides, à peine plus nombreux.
Aussi pas de ménagement, à la ruée les plus forts seront assis ; les places du fond sont appréciables car, on peut lire son journal, pour le reste, eh bien, l’art est de bien pousser. Le moindre accroc fait éclater la dispute, et l’on se lance des arguments de priorités, de justice, de droit. On s’insulte, on invoque l’âge.
Malheur aux jeunes qui sont toujours coupables ! Malheur aux vieux qui sont trop fatigués !
D’une façon générale nulle bonne humeur, nulle détente. Et pourtant la journée de travail est finie pour tous.
Pendant ce transport, qui n’a en commun que la servitude, les gens n’échangent rien d’autre que de la mauvaise humeur. Ils apprennent par France-Soir la nouvelle enquête de la science moderne qui fait voyager un homme dans l’espace. Dans ce même temps ils mettent péniblement une heure pour franchir 15 ou 20 kilomètres.
A l’arrivée on est un peu à la campagne… Les banlieusards vont-ils en profiter ?
Le libre-service est là. Il faut faire hâtivement quelques achats pour une cuisine rapide. La caissière n’a guère le temps de parler. C’est beaucoup mieux ainsi car le consommateur n’a pas le temps non plus.
L’ascenseur…, et puis chacun rentre dans sa petite case, sans avoir elle temps de regarder une maigre pelouse qui s’étire au milieu des immeubles.
Cet illusoire progrès qui permet aux travailleurs de loger dans des appartements neufs, ne fait que les asservir et les isoler encore davantage.