Articles parus dans L’Internationale, n° 31, mars 1965, p. 7
L’ASSASSINAT DE MALCOLM X est un coup sévère à la lutte pour la liberté aux USA et, avec elle, à la lutte pour le Socialisme dans le monde.
L’identité politique de ceux qui ont comploté l’assassinat n’a pas encore été établie. Cependant, le 16 février, Malcolm X, a déclaré dans un meeting public, dont il a été rendu compte par l’hebdomadaire trotskyste « The Militant », que l’attentat commis deux jours plus tôt contre son domicile avait été ordonné par le leader des Musulmans noirs, Elijah Muhammed. Il indiqua que Raymond Sharrieff, le chef suprême du « Fruit de l’Islam », l’organisation militaire des Musulmans noirs, l’avait menacé, dans un télégramme public. II accusa les Musulmans noirs d’entretenir des relations cordiales avec le Ku-Klux-Klan et l’organisation nazie de Lincoln Rockwell. Il cita plusieurs tentatives contre son existence et accusa la police de n’avoir rien fait, bien qu’elle connût les plans pour s’attaquer à lui. Ses hommes en uniforme étaient dans l’assistance lorsqu’il fut abattu.
Les forces les plus réactionnaires des Etats-Unis, avaient leurs raisons pour vouloir la mort de Malcolm X. Il était en passe d’apparaître rapidement comme la voix la plus authentique des masses noires en quête de liberté. Ce qu’il représentait, c’était la montée d’une nouvelle conscience militante qui commence à mettre en question la vieille direction conservatrice et pacifiste. Ses vues évoluaient, et bien qu’on ne puisse savoir jusqu’où il serait allé, il était nettement attiré par le socialisme révolutionnaire. Fréquentant le mouvement trotskyste américain, il lui manifestait un grand respect, entretenait des relations amicales avec certains de ses membres et de ses dirigeants, et commençait à étudier ses principes. Récemment, il s’était abonné à « World Outlook ».
Malcolm X appartenait à la génération qui s’était formée idéologiquement dans les circonstances nées de la seconde guerre mondiale et marquées par les fautes et les trahisons des partis communistes stalinisés. Ces circonstances exercèrent une action particulièrement forte sur lui, en tant que membre d’un peuple opprimé.
Sa révolte, comme c’est souvent le cas, prit d’abord la forme primitive de la délinquance. Cependant, après des expériences amères et un long séjour en prison, il commença à rechercher les causes de sa situation misérable dans la société. Ses premiers pas dans cette voie ne furent pas non plus originaux. Il décida que la religion qu’on lui avait donnée était mauvaise. Mais il s’orienta pas directement vers une conception scientifique. Il n’y avait pas de mouvement communiste ou socialiste puissant pour franchir cette étape. Il passa par une phase de transition, en recherchant une religion plus humaine et plus positive. Pendant un moment, il crut l’avoir trouvée dans la foi des Musulmans noirs. Mais cela non plus ne devait pas satisfaire son esprit curieux en voie d’évolution. Rompant avec Elijah Muhammed, il se tourna vers les sources musulmanes orthodoxes. Il n’était pas sorti de cette phase lorsqu’il fut assassiné.
Le développement du mouvement noir aux USA, favorisé par les circonstances de la seconde guerre mondiale et la grande montée révolutionnaire d’après-guerre dans le monde colonial, commençait à faire sortir Malcolm X de la coquille de la religion pour le faire entrer dans le monde actif de la lutte politique. Un talent incontestable le conduisit au rôle de dirigeant dans ce puissant mouvement, et la télévision aida à faire de lui une figure nationale de premier plan dans un délai remarquablement court. Il n’était pas douteux qu’il fût appelé à jouer un rôle important dans la lutte pour la liberté aux Etats-Unis.
Son orientation dans cette voie, représentative de la tendance du secteur le plus prometteur au sein du mouvement nationaliste noir, fut rendue évidente lorsqu’il fonda un groupement politique, l’organisation de l’unité afro-américaine.
Sa principale position, qui lui donna un ascendant extraordinaire sur les masses noires, était le droit à l’auto-défense, et l’invitation à exercer ce droit. Par là, il préfigurait la prochaine grande étape du mouvement pour les droits civils aux Etats-Unis.
Avec un instinct infaillible, ses ennemis montèrent ce point en épingle en commentant son assassinat. Défigurant sa position en la dépeignant comme un plaidoyer pour la « violence », ils proclamèrent que sa mort prenait le sens d’une sorte de justice naturelle. C’est ainsi que le « New York Times » déclara dans son éditorial que « sa croyance brutale et fanatique en la violence non seulement le séparait des dirigeants responsables du mouvement pour les droits civils, mais le destinait aussi une fin violente ». Les éditeurs allaient même jusqu’à dire qu’il avait « engendré » les forces qui avaient provoqué sa mort.
Selon cette logique, le « prince de la paix » a engendré les forces qui l’ont cloué sur la croix. Le prophète moderne de la non-violence, le Mahatma Ghandi a agi de même, car il est mort de la main d’un assassin. Le Révérend Martin Luther King, un disciple américain de Ghandi, n’est pas sans une propension analogue, car il a failli mourir sous le couteau d’un fanatique.
L’aveuglement incroyable des rédacteurs du « N.Y. Times » est rendu encore plus évident par leur oubli des assassinats continuels, dans le sud, de partisans de la non-violence. Que prouve alors leur sacrifice ? La position de Malcolm X sur ce problème doit être jugée d’après ses propres mérites. Les victimes d’attaques violentes ont-elles le droit de se défendre ? Un groupe opprimé a-t-il le droit d’organiser une défense réelle contre la violence de ses oppresseurs ? Tout l’histoire de l’humanité, à commencer par celle des révolutions, répond oui. Ce à quoi les rédacteurs du « N.Y. Times » et ceux qui pensent de la même façon s’opposent, c’est, en réalité, à ce qu’un peuple opprimé et, en particulier, le peuple noir aux Etats-Unis, se défende contre une violence qui s’exerce de façon endémique, à l’échelle de la nation. S’il faut adresser une critique à Malcolm X, c’est de n’avoir pas prévu, à son meeting, une défense suffisante, après les menaces répétées contre sa vie.
La génération à laquelle appartient Malcolm X a dejà produit des figures éminentes : Fidel Castro, Che Guevara, Patrice Lumumba. Ces hommes ont trouvé leur voie vers la lutte révolutionnaire de façon indépendante, faisant la preuve qu’il est possible de dépasser l’étape du Stalinisme. D’autres hommes semblables se forment dans les mouvements d’émancipation à travers le monde. Ils deviendront les héros et les modèles de la jeune génération qui reçoit maintenant sa formation idéologique.
Cette génération, on peut en être certain, n’oubliera pas ses martyrs : Patrice Lumumba et Malcolm X.
Joseph HANSEN
MALCOLM X A PARIS
Au retour d’un voyage en Afrique, Malcolm X donnait en novembre dernier une conférence à la Mutualité sous l’égide de « Présence Africaine ».
Dans la salle M, trop exiguë pour contenir tous les sympathisants et curieux, il fut difficile de se frayer un chemin au milieu des journalistes de toutes tendances, d’intellectuels, et surtout des Africains et des Noirs américains.
Encadré par l’écrivain et homme politique Aimé Césaire, par Emile Saint-Lô, ambassadeur d’Haïti, et par Diop, représentant « Présence Africaine », Malcolm X fit un exposé de la condition des Noirs au sein de la société américaine et parla avec chaleur et enthousiasme des pays africains qu’il venait de parcourir : Guinée, Algérie, Egypte, Ghana.
Il stigmatisa les méfaits de la colonisation, mais ne précisa pas son programme futur, tout en laissant deviner qu’il comptait à son retour impulser son mouvement : l’Organisation de l’unité afro-américaine. Sa conférence émaillée de proverbes et de phrases lapidaires, souvent teintée d’un humour acerbe, se prolongea par un débat au cours duquel aux questions précises : « Quels vont être vos moyens d’action ? Avez-vous l’intention de collaborer avec le parti : « Freedom Now » ? (dans lequel milite l’avant-garde américaine), il répondit qu’il envisageait désormais une solution globale au problème des Noirs américains.
A des Africains, il déclara qu’il préconisait des voyages, des séjours en Afrique, des « retours aux sources » en quelque sorte, à son avis fructueux, mais non l’installation de la communauté noire américaine sur la terre des ancêtres.
Il prit un soin extrême à ne pas s’appesantir sur les questions posées touchant la religion, affirmant être musulman, mais que c’était là l’affaire de chacun.
A travers diverses interventions et des réponses « à effet », dont il aimait apparemment user, on pouvait relever trois mots qui avaient été prononcés : politisation, organisation, révolution.
Il est évident que Malcolm X surmonta par étapes un passé difficile, qu’il rompit avec les théories fumeuses des Blacks Muslims pour aller, semble-t-il, vers une juste appréhension des problèmes politiques.
Une aussi rayonnante personnalité — douée d’un réel ascendant sur les Noirs de Harlem — ne pouvait qu’être gênante, en commençant à diffuser un langage nouveau.
R. R.