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Gérard Lamari : Algérie. Une élection plurielle avec un candidat unique

Article de Gérard Lamari paru dans Courant alternatif, n° 90, juin 1999, p. 20


Abdelaziz Bouteflika a « remporté » l’élection présidentielle algérienne immédiatement contestée par l’opposition au régime. Les six autres candidats se sont retirés en dénonçant les fraudes massives en sa faveur. Ils contestent depuis la légitimité de ce scrutin et donc celle du nouveau président.

De l’homme du consensus…

Le cercle du pouvoir réel est en crise depuis plusieurs mois. Les généraux ont dépecer à leurs profits personnels les secteurs les plus juteux de l’économie du pays. Aussi, des tensions « concurrentielles » inéluctables viennent régulièrement secouer le sommet du pouvoir. Les revirements de positions sont en effet de plus en plus fréquents de la part des dignitaires du régime. Des règlements de compte par presse interposée ne sont plus une nouveauté en Algérie. Mais le coup de théâtre eut lieu en octobre dernier : alors que rien ne le laissait présager, l’ancien président, le général Zeroual, annonce en direct sa démission à la télé. Rappelons que c’est grâce à une fraude tout aussi massive qu’il a été lui-même élu.

Afin de se donner une énième légitimité, le pouvoir, usé jusqu’à la corde, sortit de son chapeau l’homme de consensus : Abdelaziz Bouteflika, l’ancien ministre des affaires étrangères de Boumedienne. Il garda ce portefeuille pendant treize ans, c’est à dire pendant tout le règne du dictateur. Bouteflika tentera sans succès, à la mort de ce dernier en décembre 1978, de le remplacer à la tête de l’Etat. Mis à l’écart par le clan de Chadli, il disparut de la scène politique.

Durant ces treize années, l’ex-ministre eut le temps de détourner d’importants fonds et de se constituer une immense fortune personnelle. Il poussa le culot jusqu’à fêter ouvertement son « seizième milliard » quelques années avant son limogeage. La cour des Comptes algérienne l’épinglera et il sera même dénoncé dans les colonnes d’El Moudjahid, organe du pouvoir. Mais Bouteflika s’est entre-temps envolé vers les pays du Golfe où il séjournera plusieurs années. Moins d’une semaine après son élection, le nouveau président renvoya l’ascenseur : son premier invité officiel n’est autre le roi d’Arabie Saoudite.

… à l’homme de Camdessus

Le balancier politique du cercle du pouvoir algérien peut aller d’une extrémité à l’autre. On peut aisément le mettre en évidence à la lumière en reprenant deux citations de Bouteflika.

Pendant les débats autour de la charte de 1976, il déclara :

« La vocation profondément socialiste de l’Algérie constitue une option irréversible ».

Récemment, lors d’un meeting, le même personnage confit à l’auditoire :

« Le libéralisme est un choix irréversible ! »

Thatcher elle-même n’a jamais osé aller aussi loin.

Lors de la récente campagne électorale, la teneur de ses discours est sans équivoque. Il prône le rééchelonnement de la dette et le démantèlement des sociétés publiques non rentables. Il prévient que la manne pétrolière servira de moins en moins à combler les déficits publics… Jacobin ténébreux, il somme les Algériens de se mettre au travail et les a même traités publiquement de fainéants.

En Kabylie, il a affiché une arrogance sans égale envers tout ce qui est berbère. Il a été jusqu’à demander aux kabyles de s’arabiser ! L’exhibition de la déclaration de la Cour des Comptes par des militants du MCB, lors de son meeting à Bougie, l’a mis hors de lui. Psychopathe, il a menacé de poursuites l’un des jeunes qui la lui brandissait.

Annonce du retrait des six candidats des élections présidentielles

Et l’opposition ?

Depuis qu’ils ont retiré leur candidature, les six concurrents de Bouteflika n’en sont pas resté là. Bien que très différents et opposés idéologiquement, ils se sont régulièrement retrouvés au siège du FFS (1) pour mettre au point le manifeste refusant « l’ordre totalitaire ». Dans ce document en treize points, les « six » se déclarent pour l’alternance politique, l’indépendance de la justice, la liberté d’organisation, de presse, le pluralisme syndical, politique, etc. Mais la liberté de culte, les graves problèmes de la femme, de l’école, de la culture berbère sont passés sous silence. Les libertés démocratiques mises en exergue par ce document sont très nettement en deçà du minimum de ce que peut revendiquer tout « démocrate moyen ».

Parallèlement, le pouvoir distille quelques rumeurs quant à la participation du RCD (3) au prochain gouvernement. Cette formation politique, bien qu’ayant boycotté les élections depuis le début semble prête à franchir le pas. Ses dirigeants ont indiqué qu’ils consulteraient avant cela leur base.

Deux camps se dessinent dès lors : d’un côté le pouvoir militaire au bout du rouleau, mais trouvant toujours une rustine à se coller pour durer encore un peu; de l’autre une opposition influente et très combative, mais porteuse de mots d’ordre limités comme on peut le constater dans son manifeste.

Une « troisième voie » existe réellement, notamment à travers le mouvement associatif qui est très riche mais éclaté, à l’image du MCB (4) ou de l’extrême gauche. Des syndicats autonomes, tels que le SATEF (5) ou le CNES (6), peuvent de manière naturelle apporter une contribution intéressante. Le mouvement des femmes, à l’image de Tighri N Tmettut (TNT), a une capacité de mobilisation impressionnante.

Les médias, qu’ils soient locaux ou étrangers, les ont toujours occulté même quand ils organisent une année de boycott de l’école, un rassemblement de 300 000 personnes devant l’assemblée nationale ou lorsqu’ils bloquent plusieurs villes (dont Alger) par des manifestations.

Aujourd’hui, on constate l’incapacité de ces groupes à se fédérer et constituer ainsi un pôle puissant. Les problèmes liés à la sécurité de ces militants figent pour le moment cette évolution. Il est vrai que les GIA, alliés objectifs du pouvoir, opèrent toujours et contribuent ainsi à faire perdurer la situation. Mais quelque soient les péripéties conjoncturelles du futur, la vie ne reprendra en Algérie qu’avec le rassemblement autour de ce pôle démocratique.

G. LAMARI


1. Front des Forces Socialistes. Cette formation, dirigée par Aït Ahmed, fait partie de l’internationale socialiste.

2. Aït Ahmed, Djabellah, islamiste ; Taleb Ibrahimi, arabo-islamiste (ancien ministre de Boumedienne) ; Sifi et Hamrouche, anciens premiers ministres ; Katib, ancien directeur de campagne de Zeroual.

3. Rassemblement pour la Culture et la Démocratie. Implanté essentiellement en Kabylie.

4. Mouvement Culturel Berbère.

5. Syndicat de l’enseignement primaire et secondaire.

6. Syndicat de l’enseignement supérieur.

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