Article de Gérard Lamari paru dans Courant alternatif, n° 97, mars 2000, p. 17-18
Afin de ramener la paix dans le pays, le président de la république algérienne, A. Bouteflika, a fait voter en septembre dernier une loi d’amnistie des terroristes islamistes. Cette loi qui s’intitule « loi de concorde civile » a été votée à plus de 98 % au suffrage universel. Aujourd’hui qu’elle est mise en pratique, elle est loin de faire l’unanimité.
Le 13 Juillet dernier paraissait dans le journal officiel de la république algérienne le projet de loi sur la « concorde civile ». Ce projet est en fait le premier acte politique du tout nouveau président « élu » dans des conditions uniques les autres candidats se sont en effet retirés la veille du scrutin car des fraudes massives avaient été préparées en faveur de Bouteflika. Cette prochaine loi venait donc à point pour donner enfin une légitimité au nouveau président. Celle-ci était en effet présentée par les médias algériens comme annonciatrice de la paix tant espérée. De plus au niveau de la forme, l’adoption de la loi devait passer par le traditionnel aval de l’assemblée nationale, mais et en plus validée par le peuple. Sans que ce dernier ne connaisse la teneur exacte de la loi sur la concorde civile, il fut appelé à voter en sa faveur lors du référendum de septembre 1999.
Avant même, la parution du projet, Bouteflika fit libérer plusieurs milliers d’islamistes – 5 000 selon des sources judiciaires et 12 000 selon des sources officieuses.
Que prévoit cette loi ?
Elle a pour objet l’arrêt des poursuites contre les personnes appartenant à la mouvance islamiste mais n’ayant commis ni participer « à la commission de crimes, de massacres collectifs ayant entraîné mort d’homme, d’attentats à l’explosif… ». Cette loi stipule aussi une amnistie des détenus. Pour ne pas froisser l’autre camp, on a pris la précaution d’ajouter un article concernant les victimes des actes ou leurs ayants droits. Ils seront « recevables à se constituer partie civile » contre tout islamiste libéré avant la fin de sa peine.
On peut trouver le texte intégral de cette loi sur le site du journal en ligne Algeria Interface (http://www.algeria-interface.com). On peut y trouver aussi des articles sur l’actualité des négociations entre le pouvoir et les groupes armés. Le présent article s’en réfère largement.
Les « bons » intégristes
L’objectif premier de la « concorde » est d’entériner la régularisation des éléments de l’AIS (Armée Islamique du Salut), bras armé du FIS (1) dissout. Rappelons que l’AIS avait annoncé sa reddition dès septembre 1997. Plus même, il s’agit d’intégrer ses éléments dans les corps armés de l’Etat.
Mais l’amnistie des combattants de l’AIS et l’auto-dissolution de cette organisation n’influence pas réellement la configuration des maquis islamistes. Les principales redditions obtenues par le gouvernement grâce à la « concorde civile » (un peu plus d’un millier seulement) n’ont pas réellement affecté les autres factions armées. Le GIA (Groupe Islamique Armé) de Antar Zitouni et le GSPC (2) (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat) de Hassan Hattab ont poursuivi sans relâche les attentats aveugles et les attaques contre les forces militaires.
Quant aux combattants de l’AIS, cela fait plus de deux ans qu’ils ont cesser de perpétuer des attentats. Ils ont commencé à évacuer les maquis vers la mi-janvier de cette année. Ils ont convenu de remettre leurs armes aux autorités en échange d’une attestation les exonérant de toute poursuite judiciaire pour les crimes commis entre 1993 et 1997 (dates de création du mouvement et de l’annonce de la trêve). Chaque amnistié devrait réintégrer son emploi et percevoir une prime de 10 000 dinars (le SMIC algérien est à environ 4 000 dinars) et une indemnité mensuelle de 3 000 dinars. Par ailleurs des témoignages venant du pays signalent que les familles de ces ex-terroristes se sont vues attribuer des logements nouvellement construits bien qu’initialement prévus aux non logés.
Par ailleurs, les camps de l’AIS, installés dans des hameaux désertés par leurs habitants au plus fort de la violence, sont progressivement occupés par des détachements militaires lourdement équipés.
L’AIS était implantée dans l’Est du pays et « cohabitait » avec le GIA dans les banlieues Ouest d’Alger. Depuis la défection des frères ennemis de l’AIS, les massacres des populations de cette région se sont multipliés. Le GIA se venge ainsi contre les soutiens logistiques de ses anciens alliés !
Le malaise des « patriotes »
La réhabilitation des éléments de l’AIS risque d’aller encore plus loin. Les autorités algériennes sont entrain d’examiner un certain nombre de points dont : l’intégration de combattants islamistes dans les milices contrôlées par l’armée, le maintien des groupes de l’AIS dans certaines zones où le GIA est actif, la libération des détenus du FIS, l’amnistie des militants exilés à l’étranger et la protection des chefs islamistes graciés par le président de la république.
Cette évolution dépasse en fait largement le cadre de la loi sur la « concorde civile ». De nombreux « patriotes » (civils engagés dans la lutte antiterroriste) ont exprimé leur frustration. Il faut rappeler que les « patriotes » étaient la cible privilégiée des groupes islamistes armés. Paradoxalement, bien que défaits (militairement en tout en cas), les intégristes risquent de se retrouver mieux lotis qu’eux.
Leur frustration est d’autant plus grande que le parti les soutenant le plus (RCD) (3), et dont d’ailleurs plusieurs de ses militants font partie des groupes d’autodéfense, a depuis intégré le gouvernement dans lequel siègent des islamistes. Pourtant, la caractéristique principale de ce parti était son intransigeance par rapport au FIS et plus généralement les intégristes.
L’amnistie a également soulevé un tollé au sein de plusieurs associations de victimes du terrorisme. La situation est tendue dans de nombreux villages où sont revenus des graciés ou des repentis qui y avaient semé la terreur pendant quelques années. L’armée algérienne, par crainte de représailles, a désarmé des membres de groupes d’autodéfense « patriotes » et renforcé sa présence.
Vers de nouvelles recrues
Le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) de Hassan Hattab est, semble-t-il, entrain de suivre les traces de l’AIS. A ce propos, des sources rapportées par le quotidien londonien Azzaman indiquent que les « émirs » du GSPC se sont concertés le 11 Février dernier pour déterminer la position de leur groupe face aux ouvertures de plus en plus nettes de la part du président Bouteflika. Le quotidien, relayé le journal algérien La tribune généralement bien informé qualifie cette rencontre de « congrès » du GSPC. Les deux quotidiens précisent que le conclave auquel ont pris part les « émirs » qui militent au centre, à l’est et au sud du pays n’aurait pas été possible sans les facilités accordées par l’armée algérienne. L’attitude de l’armée correspond selon ces quotients à la volonté du gouvernement algérien de se donner encore le temps d’obtenir de l’organisation de Hattab la cessation définitive de ses opérations. Ce dernier aurait reçu des garanties de l’armée avant de battre le rappel de ses troupes. A ce sujet l’armée a pris soin de mettre ses unités en stand-by dans la région où devait se dérouler ce « congrès ». La partie est néanmoins incertaine car plusieurs éléments influents de cette organisation s’opposent à toute idée de reddition. Parallèlement, il y a la réalité du terrain : plusieurs membres du GSPC ont déjà déserté les maquis. Dans ce contexte, la dissolution de ce groupe couverte par l’amnistie serait une aubaine pour les combattants de cette organisation.
Voilà qui explique le report de l’opération « Seif el Hadjadj » (Épée des visiteurs de la Mecque) qu’avait prévue de lancer l’armée algérienne après l’ultimatum du 13 Janvier contenu dans la loi de la « concorde civile ». On notera le sobriquet à forte odeur islamiste de cette opération.
L’accolade islamo-militaire
Les vraies victimes de cette situation que sont les civils sans défense sont tenus loin de toute transaction et sont encore moins informés de tout ce qui se trame actuellement. Dès lors qu’ils ont voté la loi, cela n’est plus leur affaire. La transparence, décidément, n’est pas pour demain en Algérie.
Quant à la paix tant attendue, elle n’est pas non plus au rendez-vous – bien que la fréquence des assassinats ait tendance à se tasser.
Pour ce qui concerne les tenants du régime, ils ont pu sauvegarder (difficilement parfois) leurs intérêts durant toute la crise. Aujourd’hui, ils cherchent à consolider leur position. La voie est toute trouvée : absorber en leur sein les forces islamistes armées. Sur le plan idéologique, le pouvoir n’a pas de gros efforts à fournir ; les thèses islamistes étant depuis quelques années mises en application dans les domaines vitaux que sont l’enseignement, la culture, les informations…
Les « sorties » médiatiques de Bouteflika donnent encore quelques espoirs à quelques naïfs mais les dérapages commencent à s’accumuler. Récemment, il affirmait à un journaliste occidental qu’il n’avait pas de problèmes avec les militaires… ; mais que c’étaient les civils qui le préoccupaient en refusant de se « mettre au travail ».
Le champ des libertés démocratiques est en Algérie depuis quelques années restreint, et ce essentiellement pour cause de terrorisme. Après le probable ralliement (ou la disparition) de tous les groupes islamistes, l’opposition démocratique doit s’attendre à subir un nouveau tour de serrure. Le pouvoir commence en effet à distiller par le biais des journaux du FLN (5) des rumeurs faisant état d’une prochaine révision de la constitution. Le régime deviendrait présidentiel et le gouvernement ne sera plus responsable devant le parlement. Il ne rendrait des comptes qu’au président. Les critiques du président Bouteflika à l’égard du système parlementaire sont d’ordre fascisantes : il estime
« ne pas comprendre que le gouvernement qu’il nomme soit obligé de soumettre son programme à l’assemblée populaire nationale (élue au suffrage universel direct) dès lors qu’il était lui-même élu au suffrage universel direct sur la base d’un programme politique ».
Mis à part le FFS (6) et le PT (7) (ayant respectivement 20 et 4 députés), l’opposition parlementaire est pourtant loin d’être acerbe.
Il faut croire que les futures pilules à avaler sont particulièrement amères.
G. LAMARI
1. Front Islamique du Salut d’Abbassi Madani.
2. Le GSPC de Hassan Hattab est une scission du GIA. Actuellement le GSPC contrôle les maquis de la Kabylie et du Centre-Est du pays alors que le GIA en contrôle l’Ouest. C’est par exemple le GSPC qui a été accusé par le pouvoir (à son corps défendant) d’être l’auteur de l’assassinat de Matoub Lounès.
3. Rassemblement pour la Culture et la Démocratie.
4. Chef religieux d’un groupe armé.
5. Front de Libération Nationale, proche du pouvoir.
6. Front des Forces Socialistes d’Aït Ahmed.
7. Parti des Travailleurs (Trotskiste Lambertiste).