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Auguste Gallois : Où va le peuple américain ? de Daniel Guérin

Article d’Auguste Gallois paru dans Force ouvrière, n°238, 20 juillet 1950, p. 11

BEAUCOUP de nos camarades reviennent actuellement d’Amérique. Tout ce qu’ils peuvent nous dire nous intéresse toujours passionnément. Toutefois, si vigilant à observer, si lucide soit-on, il n’est pas bien certain qu’en six semaines ou deux mois il soit possible de dégager des appréciations absolument pertinentes sur un pays.

Un pays, un peuple, surtout lorsqu’il s’agit d’un grand pays comme les U.S.A., ne se laisse pas pénétrer profondément en si peu de temps. D’ailleurs, il faut ajouter qu’il est indispensable de connaitre couramment la langue pour pouvoir se documenter en prise directe. De plus, nous préciserons que la nécessité de gagner sa vie, le frottement obligatoire avec certaines couches sociales s’imposent quand on prétend juger par soi-même.

Daniel Guérin a pu, grâce à une bourse d’études, séjourner aux Etats-Unis plus de deux années. Il a parcouru le pays en tous sens ; il a connu toutes les couches de la société américaine : il a recueilli une mine d’observations et rassemblé une imposante documentation.

Ce qui intéresse ce spécialiste des grandes études, ce n’est pas tant ce qui est ou ce qui a été, que ce qui sera. C’est pourquoi, à la lueur d’un passé qu’il connait bien, et tout en analysant un présent qu’il a pu pénétrer, deviner ou saisir. Il essaie surtout de découvrir la clé de l’avenir, d’où le titre interrogatif de ce livre.

Pour Daniel Guérin, le monde a, aujourd’hui, les yeux tournés vers l’Amérique. Ce n’est pas seulement curiosité, engouement ou mode, c’est aussi, il faut bien le dire, une peur, la peur d’un monde qui tremble devant ce colosse capable de détruire la planète. La puissance industrielle, l’influence de l’argent, la domination des grands monopoles capitalistes, dont le joug écrase et pervertit la société américaine, effrayent l’observateur attentif, imbu de notre civilisation et nourri de notre culture.

Pour l’auteur, un conflit fondamental domine la question américaine : d’un côté, le capitalisme, avec ses trusts ; de l’autre, des forces sociales progressives en pleine gestation.

Aussi, en dehors de l’immense conflit latent que nous pressentons extérieurement entre deux conceptions inconciliables de la vie, l’Amérique mérite d’être vue de près par l’intérieur, car il est bien certain qu’elle détient la clé de notre avenir.

Elle ne doit pas capter notre attention parce qu’elle a fissionné l’atome, parce qu’elle est riche et puissante et envahissante, mais aussi parce que la société future, celle a laquelle aspire, depuis des décades et des décades, l’avant-garde de l’humanité, est « en train de prendre forme dans son sein ».

Le travail de Daniel Guérin se composera de deux volumes. Dans le premier, dont il est ici question, il campe les deux principaux antagonistes : les Trusts et le Travail.

Il montre comment s’est aggravée depuis quelques années la concentration économique de ce pays et quels ravages les trusts exercent en certains secteurs de la vie américaine. Il nous parle des ouvriers, des fermiers pauvres et des nègres.

Le tableau — dit la prière d’insérer — est saisissant et n’avait jamais été brossé avec un tel relief.

Ensuite, Guérin raconte l’épopée de ce qu’il appelle la révolte ouvrière. Pour lui, la naissance récente du syndicalisme américain, dont il trace à grands traits l’histoire, est le plus grand des événements du XXe siècle. Les travailleurs des industries de base n’avaient jamais été organisés, pour des raisons qu’il analyse rapidement. Puis, enfin, il montre le grand rôle joué par des hommes comme John E. Lewis, William Green, Muste, Lovestone, Dubinsky, Murray, etc., et il expose comment les exploités ont réussi à renverser les obstacles qui retardèrent trop longtemps l’organisation syndicale.

Malgré une bureaucratisation récente, dont il redoute les néfastes effets, il est d’avis que le mouvement syndical américain, avec ses divisions, ses faiblesses, ses luttes de personnes, est plein d’un dynamisme constructif, qui lui vient du très vif sentiment d’unification venant de la base.

C’est certainement sur la question ouvrière et syndicale le livre le plus précieux qui nous soit offert par un historien qui a vu et feuilleté sur place tout ce qui peut s’observer ou se compulser.

Pour lui, le destin de l’Europe — notre destin — se décidera aux Etats-Unis.

Des réserves s’imposent peut-être concernant certaines thèses ; mais, dans l’ensemble, le travail substantiel qui nous est présenté s’efforce de tracer les linéaments de la civilisation de masses dont l’Amérique apporte l’espoir au monde.

Nous sommes ici en présence d’un livre fondamental.

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